lundi 5 avril 2021

Enquête Sur TikTok, les mamies et papis cartonnent

par Elise Viniacourt  publié le 4 avril 2021

Qui a dit qu’il y avait une limite d’âge pour devenir influenceur ? Mis en scène par leurs petits-enfants, sur TikTok, les grands-parents cartonnent. Des comptes à plusieurs millions de vues qui, dans les familles, resserrent les liens entre les générations, séparées par la pandémie de Covid.

Sur une instru chaloupée, les paroles de Jul abondent : «J’fume la beuh d’Amsterdam, celle qui est bonne, qui t’monte au crâne.»Casquette à l’envers et moulinets fébriles du poignet, la chorégraphie de Claude et Josette est bien huilée. Sur TikTok, elle cumule même plus de 300 000 vues. Petit détail : ces stars de l’appli ont 89 et 85 ans.

Derrière le téléphone et aux manettes du montage, on trouve Valérian, leur petit-fils. Pour le trio, tout a commencé en août : «La première vidéo qui a marché, on m’entend appeler ma grand-mère, elle me regarde et elle me sourit», retrace ce salarié dans la communication, âgé de 25 ans. Un sourire ravageur puisqu’il entraîne près de 400 000 vues. «J’ai trouvé ça incroyable, on me dit des choses très gentilles, on me dit que je suis belle… à 85 ans !», minaude Josette, flattée.

Depuis, les vidéos se sont multipliées. Les concepts, aussi, se sont diversifiés avec des moments en compagnie de Josette, manettes à la main, expliquant être en train de «taper un Top 1 sur Fortnite», des séquences émotions avec une série sur le mariage du couple ou, encore, des blagues «à papa» (souvent signées Claude). Avec plus de 600 000 abonnés, ça ne manque pas : le couple et leur petit-fils font pleuvoir les likes.

«Anticyclone de bienveillance»

Sur TikTok, ils sont loin d’être les seuls. Derrière les hashtags #grandsparents, #mamie ou #papi, des comptes - souvent humoristiques et tenus par les petits-enfants - génèrent des millions de vues, des centaines de milliers d’abonnés. Tout ça sur une appli fréquentée en grande partie (38 %) par des utilisateurs âgés de 13 à 17 ans. La cerise sur le gâteau ? Dans les commentaires, quasiment que du positif. «On a un anticyclone de bienveillance quand on montre des grands-parents, c’est impressionnant», s’étonne Valérian.

Cet anticyclone, Sylvie le connaît aussi. L’éclat de rire ponctuant chacune de ses fins de phrase vaut à cette mamie une cascade de compliments à chaque vidéo postée par sa fille, Boise. «Je suis plutôt étonnée de l’intérêt de beaucoup de gens car je ne me trouve pas intéressante moi-même», rigole0-t-elle. Pourtant, depuis que les utilisateurs de TikTok l’ont vue chevaucher le scooter de son petit-fils, la mamie rebelle dispose de sa propre communauté de fans. Rien que la semaine dernière, elle a reçu des milliers de messages pour ses 95 ans. «Quand elle fait la tête, je lui lis les commentaires, là elle reprend la forme puissance 10, raconte Boise. Elle n’a plus de dents mais les gens lui disent qu’ils la trouvent super belle, qu’ils adorent ses cheveux, ça la valorise.»

Une valorisation qui, selon sa fille, a longtemps manqué à sa mère : «Pendant ces 40 dernières années, avec la retraite, c’était compliqué. Quand elle ne vivait pas encore avec nous, la police nous la ramenait parce qu’elle se perdait… Maintenant, il y a des gens qui me disent qu’elle devrait être remboursée par la sécu pour la joie qu’elle apporte.» Claude, le grand-père de Valérian, confirme. Contrairement à certains grands-parents de l’application, avec sa tablette et ses compétences en montage, il est certainement l’un des papis les plus connectés. Pour autant, touché, il confesse : «Quand on a une idée de vidéo et que l’on voit que ça plaît, que l’on arrive toujours à toucher un public jeune, ça fait plaisir.»

Mais pourquoi ces vidéos plaisent-elles tant ? Si Sylvie élude la question ( «Je ne suis pas une experte en devinette», répond-elle, toujours en riant), Boise, elle, a une petite idée. Dans les commentaires, elle retrouve beaucoup de jeunes ayant perdu leurs grands-parents, séparés d’eux par la distance ou le Covid. «Dans notre société, on invisibilise beaucoup les anciens, ou on les infantilise… Or, là, j’ai l’impression que les gens sont en manque de relations intergénérationnelles», analyse-t-elle.

«Sur TikTok, je suis la mamie de tout le monde»

«Mamie ! On mange quoi ce soir ?» Magistralement, Andrée se retourne, une barquette de chipolatas entre les mains : «Je suis ton grand chipolata», chante-t-elle, en reprenant le titre de Téo Lavabo, candidat célèbre de l’émission La France a un incroyable talent. A 83 ans, elle forme avec son petit-fils Mathieu - dit «Mat» - un duo comique déjanté. «Sur TikTok, je suis la mamie de tout le monde», se réjouit-elle. Au quotidien, ils alimentent leur compte de petites saynètes préparées ensemble. «On fait ça pour notre plaisir, ça permet de rigoler. Des fois c’est elle qui dit «aller on fait une petite vidéo»», raconte ce jeune père de famille de 28 ans. Et l’ancienne assistante maternelle partage son enthousiasme : «Je me suis découvert un vrai talent d’actrice !»

A l’origine de cette aventure à désormais près de 800 000 abonnés, l’emménagement d’Andrée chez son petit-fils. «Elle vivait seule alors je lui ai proposé de venir chez moi et, à ma grande surprise, elle a dit oui», retrace ce dernier avant d’ajouter, hilare : «Je ne lui ai pas demandé pour qu’on fasse des vidéos TikTok ensemble hein !» Si le duo affirme avoir «toujours été proche», au quotidien l’écart des générations tendait à se faire sentir : «On n’a pas forcément les mêmes conversations, donc il y a des jours où vivre ensemble, ça peut être compliqué, d’un côté comme de l’autre. TikTok, c’est venu renforcer nos liens, nous donner un loisir commun», constate-t-il.

Même constat pour Marie-Josette, 65 ans, Serge, 70 ans et Anaïs, 21 ans. «On fait des fois des vidéos où on se rend compte qu’on ne se connaissait pas vraiment, là on apprend à plus se comprendre… c’est vrai que ça nous a rapprochés un peu dans nos délires», relève cette dernière. «Mon grand-père découvre l’ASMR», «Qui me connaît le mieux ?», «Je prank ma grand-mère»… Deux fois par semaine, la petite fille se rend chez ses grands-parents. Le mardi, ils discutent des idées de vidéo d’Anaïs, le vendredi, ils tournent. Outre le partage des liens, ici les grands-parents souhaitent surtout soutenir leur petite-fille : «On espère que ça peut l’aider à se faire connaître.»Employée dans le tourisme, Anaïs a perdu son travail en même temps que le secteur s’est effondré avec la crise. Alors, depuis, elle tente de percer et de vivre des réseaux sociaux.

Pour Mathieu et Andrée, justement, les vidéos sont aussi un moyen de mettre «un peu de beurre dans les épinards». Le duo reçoit entre 200 et 300 euros mensuels de la part de TikTok. Pas suffisant pour vivre, mais un apport non négligeable tout de même pour cet ancien salarié de la restauration. Pour autant, il insiste : «Bien sûr, en ce moment, on ne crache pas dessus mais on a surtout envie que ça reste un loisir.»

Un loisir qui, visiblement, a encore de longs jours devant lui. Le retour du beau temps inspire Andrée qui, enthousiaste bombarde son petit-fils d’idées : «Ça va nous donner du peps et on va pouvoir filmer en extérieur. Ça te dit qu’on en fasse dans mon potager ? J’ai des radis, de la salade, des pommes de terre… Je pourrais donner des conseils.»


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