jeudi 18 mars 2021

Suicide assisté : « Il suffirait que le seul produit qui permette une mort douce soit susceptible d’être prescrit par les médecins pour que tout obstacle disparaisse »

Publié le 17 mars 2021

François Galichet Universitaire

Le philosophe François Galichet rappelle, dans une tribune au « Monde », que si l’assistance au suicide est légale en France, il n’est pas possible aujourd’hui de fournir aux patients le pentobarbital.

Tribune. Dix membres de l’association Ultime liberté, dont moi-même, viennent d’être mis en examen pour avoir aidé des personnes, après avoir vérifié leur volonté et leur lucidité, à se procurer à l’étranger du pentobarbital, le produit permettant de quitter la vie dignement.

Il y a là un paradoxe. Contrairement à ce qu’on entend souvent dire, l’assistance au suicide est légale en France. D’abord pour des raisons de principe : le suicide n’étant pas un délit, l’assistance à un acte qui n’est pas un délit ne saurait en être un. C’est pourquoi les poursuites à ce sujet ont toujours recouru au subterfuge juridique d’un autre article du code pénal : celui qui punit la « non-assistance à personne en danger ».

Mais ici encore, les difficultés sont grandes. L’aide à une personne qui se met volontairement en danger, en pleine conscience de ce qu’elle fait, n’est pas punissable, sinon, il faudrait poursuivre les moniteurs d’alpinisme, les fournisseurs de matériel d’escalade et autres sports extrêmes ! On suppose donc que la personne est en danger, non du fait de sa propre volonté, mais du fait d’une maladie qui altère son jugement (dépression, schizophrénie, etc.) ou de pressions insistantes qu’elle aurait subies (« abus de faiblesse »).

Jurisprudence bien établie

Si l’on peut prouver la pleine lucidité et capacité de jugement de la personne, alors il ne saurait y avoir de délit. C’est ce qu’a jugé, en novembre 2016, la cour d’appel de Lyon (jugement confirmé en cassation). Il a acquitté Jean Mercier, qui avait aidé sa femme à prendre les médicaments lui permettant de mourir quand elle l’a souhaité. C’est ce qu’a estimé l’officier de police judiciaire qui, à Grenoble, a décidé qu’il n’y avait pas lieu de poursuivre les proches d’André Béranger, un enseignant et militant très populaire dans son quartier. Ils l’avaient assisté pareillement ; il avait annoncé publiquement son intention de se suicider, du fait d’une grave maladie dégénérative.

C’est enfin ce que semblent avoir estimé les juges du parquet de Paris, qui poursuivent les dix membres de l’association Ultime liberté, dont je suis, pour « complicité d’acquisition et d’importation de substances illicites » et « propagande en faveur d’un produit susceptible d’entraîner la mort ». Ils n’ont pas retenu l’incrimination d’avoir été présents « jusqu’au bout » auprès de personne ayant décidé librement de quitter la vie – alors que nous n’avions pas caché ce point lors de nos gardes à vue.

Il semble donc y avoir désormais une jurisprudence bien établie pour considérer que l’assistance au suicide est légale, si la volonté et la lucidité du jugement de la personne aidée sont clairement prouvées par son adhésion à l’association, par un écrit qu’elle laisse après sa mort, par les témoignages de proches, par l’accompagnement que nous menons auprès d’elle, etc.

Et c’est bien là que le bât blesse. Dans l’état actuel du droit français, on peut aider une personne à mourir, par exemple en se tirant un coup de fusil, à condition de ne pas appuyer sur la détente, ou en se jetant par la fenêtre, à condition de ne pas la pousser. Mais on ne peut pas l’aider en lui procurant le seul produit permettant une mort douce, non violente, non traumatisante pour les autres, préservant sa lucidité jusqu’au bout (contrairement à la sédation terminale de la loi Claeys-Leonetti), entourée de ses proches auxquels elle aurait tout le temps de dire adieu.

Carence des pouvoirs publics

Il suffirait que le pentobarbital soit susceptible d’être prescrit par les médecins, comme c’est le cas en Suisse et en Belgique, pour que tout obstacle disparaisse et que la France se retrouve, sans voter aucune loi, dans la situation de la Suisse. Car l’autorisation de prescrire un médicament ne relève pas de la loi, mais de l’Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM). En France, le pentobarbital a été prescriptible durant des décennies comme tranquillisant. Si on l’a interdit, ce n’est pas seulement parce que d’autres médicaments plus performants sont apparus sur le marché ; c’est aussi et surtout parce qu’à forte dose il permettait de se donner la mort – acte encore une fois parfaitement légal.

L’ANSM est une autorité indépendante. Son conseil d’administration comprend 27 membres et fixe « les orientations de la politique de l’agence ». Les voix sont réparties à parité entre les représentants de l’Etat (9 membres, 18 voix) et les 18 autres membres, parmi lesquels des parlementaires, des professionnels de santé et des représentants des patients. Rien ne les empêche de décider la remise sur le marché du pentobarbital.

S’il était à nouveau autorisé dans la médecine humaine, comme en Suisse, en Belgique et aux Pays-Bas, son usage à des fins létales serait contrôlé par le fait que seul un médecin pourrait le prescrire. Ce médecin, choisi par le demandeur, pourrait être assisté, comme en Suisse, par la personne de confiance et des bénévoles membres d’une association agréée, chargés d’accompagner la personne dans sa réflexion et la vérification de sa volonté. Et comme en Suisse, un contrôle a posteriori, éventuellement assuré par un juge, pourrait s’assurer que les conditions de volonté et de lucidité de la personne ont été respectées. Ce serait nettement mieux pour la santé publique que la situation actuelle où des centaines de personnes cherchent à se procurer le produit à l’étranger via Internet, au risque d’être victimes d’escroqueries et de recevoir un produit frelaté.

En aidant et accompagnant certaines d’entre elles, les membres d’Ultime liberté n’ont fait que suppléer à une carence des pouvoirs publics. Loin d’être poursuivis, ils devraient au contraire être félicités pour avoir évité les dérives que la situation actuelle provoque inévitablement ! Leur mise en examen ne peut que mettre l’Etat face à ses responsabilités : ou bien laisser se prolonger une situation dangereuse du point de vue sanitaire et douloureuse du point de vue moral ; ou bien prendre les mesures, réglementaires ou législatives, pour permettre un usage raisonné et contrôlé du pentobarbital.

François Galichet est ancien vice-président de l’association Ultime liberté et professeur honoraire à l’université de Strasbourg. Il a notamment écrit « Qu’est-ce qu’une vie accomplie ? » (Odile Jacob, 2020).


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