lundi 29 mars 2021

Reportage «Ce n’est pas parce que c’est invisible que ça n’existe pas» : à Montpellier, des ateliers pour les femmes atteintes d’endométriose




par Marlène Thomas et photos Olivier Metzger. Modds publié le 27 mars 2021 

A l’occasion de Journée mondiale contre l’endométriose ce dimanche, «Libé» a suivi une journée du programme d’éducation thérapeutique du CHU de Montpellier. Une façon de donner aux patientes les connaissances nécessaires pour améliorer leur quotidien avec la maladie.

«Ralentissement», «barrière», «stress permanent», «invalidant», «épuisement»… Postées derrière leur écran, les dix participantes au programme d’éducation thérapeutique du patient (ETP) spécifique à l’endométriose, égrènent en un mot leur perception de cette maladie et des douleurs associées, témoignages de vécus variés mais d’une souffrance partagée. En parallèle d’un suivi médical, ce programme, baptisé «Mieux vivre avec l’endométriose», a été coconstruit par l’association EndoFrance et le CHU de Montpellier (Hérault). Il vise à permettre aux femmes d’améliorer leur connaissance de la maladie, et donc, leur qualité de vie. L’endométriose, qui se caractérise par la présence de cellules d’origine utérine en dehors de l’utérus, touche au moins une femme sur dix en âge de procréer. Parfois asymptomatique, elle peut aussi prendre une forme très invalidante s’accompagnant de fatigue chronique, très fortes douleurs, risques d’infertilité…

«On leur apporte une sorte de package pour les aider à se prendre en charge», expose Claire Vincens, gynécologue au CHU de Montpellier et coordinatrice du programme. Sans rien avoir à débourser, plus de 160 femmes de la région Occitanie ont été accompagnées entre 2016 et 2020 via ce programme, premier de ce type à avoir été labellisé par l’agence régionale de santé. Depuis de nouvelles structures ont embrayé : un ETP a été lancé fin janvier par la clinique Axium d’Aix-en-Provence (Bouches-du-Rhône) et d’autres sont en cours d’élaboration.

Le programme montpelliérain se déroule sur deux jours : l’un consacré à la découverte des techniques non médicamenteuses et l’autre comprenant quatre ateliers d’une heure et demie chacun, auxquels Libération a assisté : panorama de la maladie, douleur et apaisement, alimentation et temps d’échange sont au programme. Ces deux journées peuvent être complétées d’une séance dédiée au couple. Crise sanitaire oblige, tout se déroule en visio depuis septembre. «Elles ont beaucoup moins d’échanges entre elles», déplore la coordinatrice. Des regrets également formulés par certaines participantes.

Casser le cercle vicieux de la souffrance physique

Ces sessions répondent aux besoins des patientes. Au terme d’une errance médicale souvent longue et chaotique, «on avait du mal à répondre en consultations à toutes les demandes d’informations et au besoin d’échange des patientes. On ne pouvait gérer que le médical et les traitements», raconte la coordinatrice. Difficile en vingt minutes de recevoir la souffrance, l’incompréhension et la frustration emmagasinées des années durant. En moyenne, sept ans sont nécessaires pour que le diagnostic soit posé. Cet ETP vise d’ailleurs à montrer «que le corps médical les reconnaît dans cette maladie», insiste Claire Vincens.

L’apprentissage démarre par le sujet complexe de la douleur sous la houlette de Christine Triboulet, kiné ostéopathe. «Lorsque j’ai commencé à avoir mal autour de mes 17 ans, ma gynécologue m’a dit que “j’étais stressée”. Concernant les douleurs pendant les rapports sexuels que peut provoquer l’endométriose, un autre médecin m’a répondu “vous n’avez qu’à boire un petit coup ça vous détendra”», témoigne Manon, 28 ans, dont le diagnostic est tombé après sept ans à courir les cabinets médicaux. «Le genre d’horreurs classiques qu’on entend toutes à de nombreuses reprises», appuie celle qui a découvert ce programme via un groupe de soutien sur les réseaux sociaux. «Ce n’est pas parce que c’est invisible que ça n’existe pas»,appuie Christine Triboulet en assurant «que comprendre la douleur est le premier pas pour vivre avec».

La kiné ostéopathe revient sur les différents types de douleur, ses composantes et son fonctionnement. «Les gynécos sont confrontés à une forme d’impuissance face à cette douleur chronique, relevant plutôt du neurologique», ajoute Claire Vincens. Pour casser le cercle vicieux de la souffrance physique, causée notamment par la perte de mobilité des organes, Christine Triboulet martèle : «Il faut vraiment bouger pour vous redonner de la mobilité. Un petit étirement une fois par jour est déjà très bien.» «L’important est de trouver ce qui vous convient», complète-t-elle. Ostéopathie, sophrologie, pilates ou encore yoga… Des actes complémentaires non remboursés mais proposés à des tarifs réduits par son association, EndoZen.

«Comprendre la maladie de façon presque technique»

La matinée se termine par l’intervention sur l’alimentation de la diététicienne Anne-Gabrielle Dumont, elle-même atteinte d’endométriose. Un levier à ne pas négliger alors que «80% des femmes ayant de l’endométriose ont des douleurs digestives», détaille-t-elle. L’atelier commence par le partage des essais plus ou moins fructueux de chacune : diminution de l’alcool, tisanes diverses, limitation des produits gras et sucrés. La diététicienne les oriente vers un régime anti-inflammatoire, faisant la part belle au végétal. «L’idée est de rééquilibrer, varier les apports et limiter les excès sans être dans des restrictions drastiques.» Pas de recette magique : «Vous allez trouver vous-même ce qui vous fait du bien.»Un propos rassurant pour Bahija, 37 ans : «C’est bien moins restrictif que ce que j’ai vu sur les réseaux sociaux. Apprendre qu’on a l’endométriose et en plus devoir changer complètement son alimentation était trop stressant. Ça m’avait fait fuir».

Symptômes, facteurs de risques, traitements, chirurgie… en retour de pause, la gynécologue «remet les choses au clair sur la réalité de la maladie, ce qu’on sait, ce qu’on ne sait pas et les limites de la thérapeutique.» L’occasion de tordre le cou à certaines idées reçues : «On a tendance à dire “endométriose = infertilité”. Ce n’est pas vrai. 40% des patientes auront un problème d’infertilité.» Une séquence particulièrement attendue par Ftaima. Agée de 40 ans, elle a découvert son endométriose après un parcours de treize ans, marqué par une infertilité longtemps inexpliquée. Inscrite sur le conseil d’EndoFrance, elle cherchait «à mieux comprendre la maladie de façon presque technique».

Face à l’énumération des risques et avantages des traitements par la gynécologue, Alice, 26 ans, remarque : «On finit par se sentir comme des cobayes entre tous les traitements qu’on a essayés, les techniques non médicamenteuses, la chirurgie.» Après avoir presque tout essayé (pilule, anti-inflammatoires, stérilet) et essuyé les plâtres des effets secondaires – «En pleine nuit j’ai craché du sang après avoir pris un anti inflammatoire» –, elle s’est tournée vers ce programme sur le conseil de sa belle-mère. Une voie pour «s’éloigner de la médecine classique qui n’y connaît rien et de la chimie qui ne marche pas», souligne-t-elle. Les douleurs sont apparues dès ses premières règles à 11 ans et ont longtemps été niées, jusqu’au diagnostic à ses 25 ans.

Conseils et contacts précieux de spécialistes

La journée se termine par un temps d’échanges encadré par une psychologue, Gaëlle de Decker. Un point d’orgue pour ces femmes peu comprises et entendues. Depuis son diagnostic le mois dernier, la pression d’enfanter se fait encore plus pesante pour Emeline, 33 ans. «Je n’ai pas envie d’être définie uniquement par mon utérus, que ce soit pour mon endométriose ou ma fertilité», tonne-t-elle. Laure, 32 ans, diagnostiquée en décembre, raconte : «Mes parents m’ont fait comprendre que c’était hyper lourd de savoir que j’ai de l’endométriose et ça s’est arrêté là.» A ce silence pesant s’ajoute de la culpabilisation, car Laure refuse de prendre la pilule, l’un des traitements souvent recommandés. Gaëlle de Decker conseille : «Vous ne devez pas vous mettre comme mission de convaincre les autres de ce qui vous arrive.»

Au-delà du bagage théorique «rassurant», ces ateliers sont l’occasion pour Laure d’échanger avec «des professionnelles spécialisées prenant à cœur la maladie.» Le partage entre «endo girls» – comme elles se surnomment – est lui aussi central. A l’oral ou par écrit, s’échangent conseils et contacts précieux de spécialistes. «Je me sentais esseulée. Je cherchais à rencontrer des femmes vivant la même chose que moi», explique Virginie, 37 ans, diagnostiquée il y a un an et demi après une stérilité inexpliquée. Pour elle, il y a «un avant et un après» : «Je ne vis plus la maladie dans la souffrance, j’ai appris à vivre avec. Sans l’ETP et mon suivi psychologique, je n’en aurais peut-être pas été capable.»

 

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