mercredi 31 mars 2021

Puériculture Réforme des modes d’accueil : «C’est de la petite plomberie»

par Amandine Cailhol  publié le 30 mars 2021

A l’appel du collectif Pas de bébés à la consigne, les professionnelles de la petite enfance se mobilisent, ce mardi, contre le projet de loi du gouvernement. Pour le sociologue Pierre Moisset, le texte passe à côté de l’essentiel et ne résoudra pas la «crise de sens» et le manque de reconnaissance dont souffrent ces salariées.

Sociologue et consultant en politiques sociales et familiales, Pierre Moisset s’est penché sur les conditions de travail dans l’accueil collectif de la petite enfance. Son étude (1) lancée au printemps dernier met en lumière des professionnelles peu payées, en quête de sens et de reconnaissance. Ce mardi, ces salariées, souvent dans l’ombre, seront en grève pour s’opposer à la réforme des modes d’accueil prévue par la loi d’accélération et de simplification de l’action publique. Cette dernière prévoit notamment une évolution à la baisse du taux d’encadrement des enfants dans les structures.

Votre étude sur la qualité de vie et le bien-être au travail a recueilli près de 1 000 témoignages de professionnelles. Qu’est-ce qui caractérise ces travailleuses ?

Selon les types de métiers – auxiliaire de puériculture, éducatrice de jeunes enfants, directrice d’établissement, salariée non-diplômée ou titulaire de CAP ou BEP petite enfance –, les profils varient. Mais dans l’ensemble, les niveaux de rémunération sont assez faibles. Pour un ordre d’idée : les auxiliaires de puériculture commencent leur carrière autour du smic. L’évolution salariale d’une assistante petite enfance est d’environ 200 euros sur toute une vie professionnelle. Leur possibilité d’évolution de carrière est très limitée, alors qu’elles ont un diplôme et pas mal de responsabilités au quotidien. Ce qui crée un sentiment de mal-être au travail. Comme dans [le reste des] professions du care, massivement féminisées, ces métiers sont globalement peu valorisés financièrement et socialement.

Que disent-elles sur leurs conditions de travail ?

Il y a une souffrance physique et psychique dans les établissements d’accueil du jeune enfant. Ce ne sont pas forcément des douleurs invalidantes, mais les trois quarts des personnes ayant répondu à l’enquête évoquent une souffrance physique au travail. La combinaison lombalgie et douleurs articulaires, liées aux positions contraintes et aux manipulations d’enfants, est celle qui revient le plus souvent. On retrouve aussi des problèmes de peau avec l’usage des produits d’entretien. Le niveau d’affection physique au travail est légèrement au-dessus de la moyenne nationale dans l’accueil collectif de la petite enfance. Mais si la dureté du travail est réelle, l’enjeu est peut-être ailleurs : aujourd’hui, dans ces établissements, le sens du travail est fortement affecté.

D’où vient cette crise du sens ?

On a donné de plus en plus d’objectifs à ces structures : l’accueil de la petite enfance est devenu un enjeu de politique nationale, on parle d’«investissement social sur la petite enfance», alors qu’avant il s’agissait simplement d’une annexe de la politique de l’emploi et du soutien à l’activité des parents, notamment des femmes. Depuis les années 2000, on est passé d’une mission de garde d’enfants à une notion d’insertion et de promotion éducative, en faveur de publics précaires. D’une part les objectifs s’enrichissent, on additionne les missions, mais sans ajouter ni moyens pour améliorer et repenser les pratiques ni considération. On envoie ces professionnelles au front, sans leur donner les moyens de s’adapter.

La réforme peut-elle améliorer les choses ?

C’est une réforme sur des critères gestionnaires principalement, sans grandes perspectives. L’idée étant de créer des places supplémentaires de garde d’enfants pour répondre à des promesses électorales, et ce par une logique de dérégulation des normes. C’est de la petite plomberie, on va essayer de gratter à droite et à gauche pour gagner de la place, sans penser aux professionnelles. Forcément, elles s’insurgent. Il y a aussi un problème de formation qui n’est pas comblé par la réforme : la formation initiale ne correspond pas à ce qu’on demande à ces salariés. Leur métier ne se limite pas à faire du gardiennage, à changer des bébés : elles participent au développement, à l’épanouissement des enfants. Politiquement et socialement, leurs métiers ont de plus en plus de valeur mais on ne veut pas le reconnaître. Derrière, il y a un pacte faustien, car si on renseignait la richesse réelle de ces pratiques, il serait alors indécent de laisser les niveaux actuels de salaires…

Quelles sont les attentes de ces salariées ?

Dans le cadre de la contestation de la réforme, les syndicats dénoncent les mesures visant à réduire la surface nécessaire par enfant dans les établissements ou encore le taux d’encadrement. Il y a une crispation sur les normes réglementaires. L’autre combat est celui de la valorisation financière. J’y ajoute celui en faveur d’une plus grande «réflexivité», c’est-à-dire la capacité donnée aux salariés de penser leur travail. Certes, la réforme formalise l’existence de «temps d’analyse de la pratique», soit trente minutes par mois d’échanges collectifs pour parler de leur quotidien et d’éventuelles difficultés. Ce n’est pas assez. Mais ce temps-là, c’est du temps de travail hors enfants, ça a un coût, alors… Pendant la crise sanitaire, les professionnelles ont été en première ligne, des établissements sont restés ouverts pour garder les enfants des salariés indispensables, puis l’ensemble des structures a rouvert. Elles ont été exposées, et ce avec une certaine légèreté réglementaire. Cela a eu un effet très net dans leur prise de conscience de la valeur de leur métier. Et cela a aussi nourri leur agacement, qui s’exprime aujourd’hui.

(1) Etude pour le compte de l’association d’économie sociale et solidaire spécialiste de la petite enfance Label Vie, avec la Mutuelle familiale et la Caisse nationale des allocations familiales.


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