mercredi 31 mars 2021

Manifestation A Paris, les professionnels de la petite enfance dénoncent une «insulte à leur métier»

par Elhia Pascal-Heilmann et Photos Denis Allard  publié le 30 mars 2021

A l’appel du collectif Pas de bébés à la consigne, près d’un millier de personnes ont défilé dans la capitale, ce mardi, contre le projet de réforme des modes d’accueil en crèche. A l’issue du défilé, des représentantes syndicales ont été reçues au secrétariat d’Etat en charge de l’Enfance et des Familles.

C’est sur l’air du chant révolutionnaire Bella Ciao que la marche du personnel de la petite enfance a commencé, place Denfert-Rochereau, dans le XIVe arrondissement de Paris. Sur fond de maracas, les mêmes que celles que les éducatrices utilisent dans les crèches, près d’un millier de personnes, très majoritairement des femmes, ont entonné des slogans pour protester contre leurs conditions de travail et faire bloc contre la réforme de l’accueil en crèche portée depuis 2018 par Adrien Taquet, secrétaire d’Etat en charge de l’Enfance et des Familles.

Opposés, entre autres, à la réduction de l’espace minimum par enfant et à la diminution du nombre d’encadrants, le collectif organisateur, Pas de bébés à la consigne, et la CGT ont conduit le cortège jusqu’aux portes du ministère de la Santé. En marge de la rencontre, quatre représentantes syndicales du personnel ont été reçues par le cabinet d’Adrien Taquet pour exprimer leurs revendications.

«Les nerfs à vif»

Mobilisées depuis plusieurs années pour certaines et depuis quelques mois pour d’autres, toutes portent la même envie de se faire entendre. Cécile (1), 41 ans, est une habituée des cortèges qu’elle arpente «dès qu’elle en a l’occasion». Auxiliaire de puériculture dans une crèche municipale du Xe arrondissement depuis 2004, elle est représentante du personnel auprès de la mairie de Paris. En dix ans, elle assure avoir été témoin «de la généralisation d’un ras-le-bol» au sein de la profession. «En crèche, c’est constamment la course. Une seule personne se retrouve parfois à gérer douze enfants. Cette loi, sous couvert de réforme, nous demande d’en faire encore plus. Alors forcément, ça nous met les nerfs à vif», déplore la jeune femme.

Malgré sa «détermination», les heures supplémentaires et la difficulté d’entretenir sa vie de famille «entament son moral». De près de vingt ans sa cadette, Enola a elle aussi parfois «du mal à garder la motivation» que lui demande son activité d’auxiliaire. Comme son amie Eléonore, 41 ans, qui travaille dans la même crèche, elle trouve le quotidien «lourd et stressant». Depuis le début de la pandémie, les protocoles sanitaires occupent une grande part de leur journée et «affectent la qualité de leur travail». Dans ce contexte, la réforme Taquet les inquiète. «On est déjà en sous-effectif constant et on est fatiguées de ne pas pouvoir prendre de congés tant il y a de travail. Avec la loi Taquet, ce sera pire», assure Eléonore.

«La loi Taquet transformera nos crèches au mieux en entreprises de gardiennage, au pire en machines à fric.»

—  Oumilda, éducatrice de jeunes enfants dans une crèche de Seine-Saint-Denis

En dépit de leur situation, les deux jeunes femmes s’estiment «chanceuses». Contrairement à certaines de leurs collègues plus âgées, elles sont en bonne santé. Isabelle, 50 ans, se plaint, elle, de récurrents maux de dos et d’épaules causés par son activité d’auxiliaire de puériculture qu’elle exerce depuis vingt-et-un ans dans le Val-de-Marne. Elle songe même à une retraite anticipée. «Ce n’est pas les 1 500 euros net que je touche par mois qui me retiennent», ironise-t-elle. Engagée au côté du collectif Pas de bébés à la consigne depuis 2018, elle voit cette réforme comme «une insulte à son métier».

«Les élus broient des vocations»

Derrière sa pancarte «Ni pieuvre ni Shiva», Oumilda, éducatrice de jeunes enfants de 34 ans dans une crèche de Seine-Saint-Denis, ne cache pas sa rancœur. Avec ses douze ans d’ancienneté, elle sent que «son métier se vide peu à peu de son sens». Elle l’assure, «la loi Taquet transformera nos crèches au mieux en entreprises de gardiennage, au pire en machines à fric».

A l’approche du bâtiment du ministère de la Santé, quelques voix déraillent tant elles ont chanté, surtout celle de Mathilde, 49 ans, qui ne rate aucune manifestation. Reconvertie en éducatrice dans une crèche du XIXe arrondissement après une carrière dans le tourisme, elle en «veut aux élus qui portent la réforme et broient des vocations». A l’issue de la rencontre avec le secrétariat d’Etat en charge de l’Enfance et des Familles, la porte-parole du collectif Pas de bébés à la consigne, Emilie Philippe, se dit elle aussi «dépitée». «On a senti de l’intérêt pour nos propositions, mais cela ne changera probablement rien à la réforme», regrette-t-elle.

(1) Le prénom a été modifié.


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