samedi 6 mars 2021

« Nous sommes tous dans le flou » : en première année de médecine, une mise en place complexe de la réforme

 





Par  et   Publié le 04 mars 2021

La réforme des études de santé, entrée en vigueur à la rentrée 2020, peine à atteindre ses objectifs, les étudiants de première année et les redoublants de l’ex-Paces se partageant un quota de places en deçà des attentes.

Des étudiants en médecine et leurs parents manifestent le 5 décembre 2020, à Nice.

« Nous sommes la génération sacrifiée »« On n’en peut plus »« Je continue de travailler, mais il m’arrive de craquer ». La plupart ont la voix qui tremble, et lisent des textes pour éviter de fondre en larmes. Les témoignages anonymes d’étudiants épuisés affluent auprès du collectif national PASS/L.AS composé d’étudiants et de parents d’étudiants, créé en janvier, afin de défendre les intérêts de la première génération postréforme. Une pétition en ligne « Réforme des études de santé : nous voulons les moyens promis ! Pas de génération sacrifiée ! » a recueilli près de 42 000 signatures.

En septembre 2020, la réforme a introduit deux nouvelles voies d’entrée dans les études de santé. D’un côté, les parcours d’accès spécifique santé (PASS) – les plus ressemblants à l’ancienne première année commune aux études de santé (Paces) –, qui comporte une mineure à choisir dans une autre discipline ; de l’autre, des licences classiques (en biologie, économie, droit…), avec une option accès santé (L.AS). A ce nouveau processus de sélection s’ajoute la fin du numerus clausus, le nombre de places auparavant déterminé par l’Etat – au profit d’un numerus apertus –, fixé désormais au niveau des universités, en concertation avec les agences régionales de santé (ARS).

Objectifs : diversifier les profils des futurs médecins, et assurer une poursuite d’études en licence, pour ceux qui échouent à rejoindre l’une des filières santé. Après une année de PASS ou de L.AS, les étudiants peuvent tenter leur chance une première fois, et, en cas d’échec, une seconde chance leur est donnée à l’issue de leur deuxième ou troisième année d’études.

Mais quelques mois après la mise en œuvre de cette réforme, elle passe déjà mal auprès des étudiants. Fin janvier, le collectif PASS/L.AS a déposé un recours auprès du défenseur des droits afin de dénoncer le traitement inégalitaire des étudiants de première année. Alors que le gouvernement leur promettait la fin du numerus clausus, la désillusion est totale pour ces étudiants qui s’attendaient peut-être à ce que les universités ouvrent les vannes. Ce qui n’est pas le cas.

« Nous commençons à perdre patience »

« Les étudiants se sont fait avoir par ces effets d’annonce », peste Morgane Gode-Henric, présidente de l’Association nationale des étudiants en médecine de France (Anemf). Jusqu’ici, très peu d’universités ont indiqué combien de places seraient disponibles, laissant les étudiants dans le flou quant à leurs chances de poursuite d’études.

Jeudi 4 mars, Frédérique Vidal, ministre de l’enseignement supérieur, s’est entretenue avec le collectif national PASS/L.AS, les doyens des facultés de médecine ainsi que les représentants étudiants. « Nous commençons vraiment à perdre patience, confie une mère, membre du collectif. La loi prévoyait que les capacités d’accueil en deuxième année du premier cycle des études de santé soient affichées dans les facs au plus tard le 31 mars 2020, avant que les étudiants valident leurs vœux sur Parcoursup. On les attend encore, un an plus tard ! »

Pour respecter les objectifs de la loi qui fonde la réforme, il faudrait financer une augmentation exceptionnelle de la capacité d’accueil « d’a minima 33 % pour cette année de transition et pour toutes les facultés qui mettent en place la réforme cette année », plaide le collectif. Ce taux de 33 % correspond en moyenne à celui déjà mis en place dans les universités qui ont testé la réforme avant l’heure en 2019 (Angers, Paris-V, Paris-VI et Paris-VII et université de Bretagne occidentale) pour gérer la dernière promotion autorisée à redoubler la Paces. « Une augmentation de 47 % de la capacité d’accueil a même été accordée à la Sorbonne dans le cadre de cette expérimentation », insiste le collectif.

Jusqu’ici, le ministère de l’enseignement supérieur est resté plus que discret. Interrogée par les députés de la commission des affaires culturelles et de l’éducation, le 27 janvier, Frédérique Vidal avait refusé de parler d’étudiants « sacrifiés » et assuré que ses services étaient « en train de distribuer les financements nécessaires à l’accompagnement des étudiants ». Elle avait ajouté qu’un site Internet dédié était à la disposition des étudiants et de leurs enseignants afin de « poser toutes leurs questions ». La ministre a néanmoins mandaté l’inspection générale pour dresser un état des lieux de la mise en place de la réforme sur le terrain. Outre les capacités d’accueil dans les différents parcours, la mission se penchera notamment sur le contenu des mineures disciplinaires et les relations avec les ARS.

De son côté, la commission des affaires culturelles et de l’éducation de l’Assemblée nationale a décidé, le 10 février, de lancer une « mission d’information flash » sur la mise en œuvre de la réforme des études de santé. Les corapporteurs, Benoît Potterie (Agir ensemble, Pas-de-Calais) et Valérie Bazin-Malgras (Les Républicains, Aube), présenteront leurs conclusions devant la commission à la mi-avril.

Les « mineures », un stress en plus

A ce stade, les capacités d’accueil seraient en hausse de l’ordre de 8 % à 9 % par rapport à 2020, selon les informations recueillies par l’agence de presse spécialisée AEF, soit environ 1 400 à 1 600 étudiants supplémentaires. Cette augmentation devrait être maintenue en 2022 dans certaines universités pour que les étudiants en deuxième année d’une L.AS puissent rejoindre, grâce à leur seconde chance, l’une des filières de santé.

« Ce qui devait m’aider à me réorienter me fait finalement échouer », précise Lisa, étudiante en PASS

Autre désillusion du côté des étudiants : la réforme prévoyait également un allégement des programmes. Or, les étudiants de PASS, inscrits dans un double cursus, se retrouvent avec une masse de travail énorme. « La charge de travail est toujours la même, avec une mineure en plus », précise Hugo Houacine, étudiant en L1 PASS à l’université Clermont-Auvergne, mineure droit.

Et cet « effort en plus » dans les mineures peut parfois nuire à leurs résultats en médecine, comme pour Lisa, étudiante en PASS qui a requis l’anonymat. Au premier semestre, elle a fini parmi les meilleurs du classement L.AS. Avec le système de notation, sa mineure lui a fait perdre une centaine de places. « Ce qui devait m’aider à me réorienter me fait finalement échouer », déplore-t-elle. « Nous devons avoir le même niveau que le reste des L1 de notre mineure », renchérit Hugo Houacine. Dans les faits, « la plupart des étudiants bachotent leur mineure la veille des examens », affirme Hélène Michel du collectif PASS/L.AS.

A l’arrivée, de nombreux étudiants craignent à la fois de ne pas pouvoir passer en deuxième année de médecine mais aussi de ne pas valider leur L1. Ils seraient alors obligés de se réinscrire sur Parcoursup, ou de postuler en L1 L.AS, sans être prioritaires face aux néobacheliers.


Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire