mardi 30 mars 2021

Emploi et handicap : Philippa Motte, briseuse de tabou

Par   Publié le 29 mars 2021

De ses propres troubles, la consultante a su faire un levier en faveur de la dé-stigmatisation du handicap psychique.

Philippa Motte chez elle à Paris le 22 mars.

Philippa Motte est une pionnière. Depuis une dizaine d’années, cette consultante indépendante est spécialisée dans la formation et l’information des entreprises et des pouvoirs publics sur un sujet encore mal connu, voire tabou : le handicap psychique. Depuis deux ans, la quadragénaire accompagne également en individuel des personnes touchées et leurs proches. Ses objectifs sont triples. Il s’agit pour cette battante de lutter contre les discriminations à l’encontre des personnes victimes de maladies psychiatriques, de favoriser leur inclusion dans la société et le monde du travail et de les aider à trouver en elles les capacités pour s’en sortir.

Le chantier est vaste. Tout reste à faire. Et ça tombe bien : « J’ai toujours aimé les grandes causes », confie Philippa Motte, qui travaille en partenariat avec le Comité national coordination action handicap (CCAH) et avec l’association Clubhouse France. Ce lieu d’accueil de jour, non médicalisé, accompagne dans leur réinsertion les personnes atteintes de troubles psychiques. Cet accompagnement se fonde sur la « pair-aidance », cette entraide des personnes touchées. Un modèle qui a fait ses preuves depuis plus de soixante ans dans plus d’une trentaine de pays. Le premier Clubhouse français a été ouvert à Paris en 2011. Forte de sa réussite, l’association essaime sur le territoire national : à Bordeaux, Lyon, Nantes…

Philippa puise sa force dans sa propre histoire et dans son long combat avec un handicap invisible. « J’ai un parcours psychiatrique très lourd », raconte-t-elle. Impossible pourtant de deviner, derrière son lumineux sourire, cette vulnérabilité cachée. A l’âge de 20 ans, l’avenir lui souriait. « J’étais quelqu’un d’assez joyeux. Mais à la suite d’événements personnels, je suis entrée dans une dépression assez sévère. » Un antidépresseur lui est prescrit, qu’elle arrête « un peu intempestivement ». La jeune femme bascule alors « dans une crise psychique grave, avec des hallucinations, un sentiment de persécution et une forte dimension mystique ». Interpellée par la police, elle refuse de coopérer et se retrouve « menottée, plaquée au sol ». Terrifiée, incapable de décliner son identité, elle est conduite à l’infirmerie psychiatrique de la Préfecture de police de Paris. Mise à l’isolement, « piquée de force », elle y restera soixante-douze heures.

Internement sous contrainte

Suivent « une dépression très profonde » et deux mois d’hospitalisation. Le diagnostic tombe, sans vraiment la convaincre : trouble bipolaire. De fait, lors de sa dernière crise, il y a deux ans, un autre diagnostic sera posé : une triade associant une forme d’épilepsie, un haut potentiel et un trouble du déficit de l’attention avec ou sans hyperactivité (TDHA).

« L’immense chance que j’ai eue, ce sont ces très longues périodes entre deux crises, où je me suis toujours redressée. » Soutenue par un entourage bienveillant, elle construit un parcours « un peu chaotique, mais cohérent ». Avec ce secret longtemps tu : « J’avais le sentiment que si j’en parlais, on ne me ferait plus confiance. »

Philippa Motte, consultante et formatrice spécialisée dans la santé mentale et le handicap psychique au travail, à son domicile parisien, le 22 mars 2021.

Philippa se lance dans un master en communication politique et institutionnelle, puis réalise un stage dans une agence de presse. « Et là, à 25 ans, nouvelle crise : en surchauffe, je décompense. »Internée trois mois sous contrainte en hôpital psychiatrique, l’étudiante soutiendra son mémoire deux semaines après sa sortie. « Ensuite, je reste au tapis un an, dans un état de dépression lourde et dangereuse. » Mais elle repart au combat. TBWA l’embauche. La vie lui réserve alors un « gag ». L’hôpital Sainte-Anne la contacte pour monter une fondation de recherche en psychiatrie. « Et je me retrouve en réunion avec des chefs de service, dont celui qui m’avait hospitalisée quelques années plus tôt ! »

Philippa Motte, consultante et formatrice spécialisée dans la santé mentale et le handicap psychique au travail, à son domicile parisien, le 22 mars 2021.

Philippa se lance dans un master en communication politique et institutionnelle, puis réalise un stage dans une agence de presse. « Et là, à 25 ans, nouvelle crise : en surchauffe, je décompense. »Internée trois mois sous contrainte en hôpital psychiatrique, l’étudiante soutiendra son mémoire deux semaines après sa sortie. « Ensuite, je reste au tapis un an, dans un état de dépression lourde et dangereuse. » Mais elle repart au combat. TBWA l’embauche. La vie lui réserve alors un « gag ». L’hôpital Sainte-Anne la contacte pour monter une fondation de recherche en psychiatrie. « Et je me retrouve en réunion avec des chefs de service, dont celui qui m’avait hospitalisée quelques années plus tôt ! »

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La jeune femme se marie, met au monde deux garçons. Deux années plus tard, elle rechute et est de nouveau internée sous contrainte à Sainte-Anne. Une nouvelle crise très forte advient un an après. « Là, j’ai eu très peur de perdre mes enfants. Je décide donc de me faire hospitaliser à la clinique du Château, à Garches [Hauts-de-Seine]. » Elle divorce, obtient la garde alternée de ses enfants. « Ils m’ont donné la force d’être leur mère. »

« Faire d’une vulnérabilité une force »

Un psychiatre, Christian Gay, la convainc de rejoindre Clubhouse France. En 2010, Philippa y témoigne pour la première fois sur son parcours : « Mon corps m’a trahie et s’est mis à trembler. Paradoxalement, cela a beaucoup touché. » La découverte du milieu associatif est un déclic : « Il existait des gens qui tentaient de lutter contre la stigmatisation. »

Tous ceux que Philippa a aidés attestent ses précieuses ressources. « Grâce à son analyse fine de sa propre histoire et de son trouble, Philippa est en capacité de venir en aide à beaucoup de monde »,rapporte Lucie Caubel, investie au sein de Clubhouse.

« Ce qui nous plaît, chez Philippa, c’est son optimisme, renchérit Marie-Christine Barjolin, responsable RH diversité handicap de BNP Paribas Cardif. Son témoignage donne de l’espoir. Elle montre comment faire d’une vulnérabilité une force. C’est une vision constructive de l’intégration en entreprise des personnes avec un handicap psychique. »

Odile, 50 ans, est la maman d’une jeune fille de 20 ans, Camille, dont la vie a basculé en 2020. « Ses premiers troubles psychotiques ont fait irruption de façon très violente. Il nous a fallu plusieurs mois pour comprendre ce qui arrivait, et passer par la case hôpital. Mais il manquait une qualité d’écoute, d’empathie, de compréhension profonde. C’est seulement en rencontrant Philippa que nous l’avons trouvée. » Grâce à ce soutien, sa fille « peut se reconstruire et se projeter au-delà de sa maladie ».

Philippa a su forger ses propres outils de résilience. Outre son engagement professionnel et les rapports humains qu’il offre, sa panoplie comprend un travail de psychothérapie, une activité d’écriture (elle fera paraître en mai un roman chez Stock), la pratique de la méditation et du sport, le dessin, la féminité. Et ses deux enfants, bien sûr. « Il m’a fallu dix ans pour me dire : “Philippa, c’est ton histoire ! Arrête d’avoir peur qu’on te juge.” J’ai décidé de ne plus me cacher. C’est fou les portes que cela ouvre ! »


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