jeudi 18 mars 2021

Claire Hédon : « Les discriminations minent la confiance dans la nation »

Propos recueillis par   Publié le 18 mars 2021

Selon la Défenseure des droits, 11 000 personnes ont saisi la plate-forme antidiscriminations lancée il y a un mois.

Claire Hédon, Défenseure des droits, lors de l’inauguration du centre d’appel « anti-discrimination » à Paris, le 12 février.

Claire Hédon a succédé le 22 juillet 2020 à Jacques Toubon comme Défenseure des droits. A l’occasion de la publication, jeudi 18 mars, du rapport annuel de l’institution, l’ex-présidente d’ATD Quart Monde souligne que la crise sanitaire a aggravé les conditions d’accès aux droits des personnes les plus en difficulté. Elle dresse un premier bilan de la plate-forme antidiscriminations lancée le 18 février.

Pouvez-vous dresser un premier bilan de la plate-forme de signalement des discriminations ?

La lutte contre les discriminations est une de mes priorités. Or, notre institution n’était peut-être pas suffisamment visible sur ce sujet. Ce terme « antidiscriminations » parle davantage aux jeunes que « la défense des droits ».

En un mois, 11 000 personnes sont entrées en contact avec la plate-forme par le numéro d’appel 39 28 ou le site Internet Antidiscriminations.fr. Nos écoutants, qui ont pris plus de 3 000 appels téléphoniques, sont des juristes en mesure de donner des premiers éléments de réponse ou d’orientation. Ces appels durent en moyenne un quart d’heure. Seuls 20 % nous saisissent réellement ensuite. Certains auront sans doute besoin de nous appeler deux ou trois fois avant de le faire.

Quels types de problèmes vous sont signalés ?

Ce sont d’abord les discriminations en matière d’emploi et de logement. En tête des critères de discrimination évoqués dans ces appels vient l’origine étrangère, ou perçue comme telle, des personnes. Habituellement, nous sommes davantage saisis sur les discriminations liées au handicap. Viennent ensuite aujourd’hui le handicap, l’état de santé et l’apparence physique et le fait d’être une femme.

Je suis surprise de voir que l’on constate encore des discriminations au retour de congé maternité avec des femmes qui ne retrouvent pas leur poste ni leur salaire. La loi est pourtant claire. L’aménagement des postes de travail pour les personnes en situation de handicap reste également un sujet mal connu et mal traité.

Quelles solutions proposez-vous ?

Un de nos objectifs est de trouver des solutions par la médiation. Les gens qui nous appellent ont envie qu’on résolve leur problème et si recourir à la justice est parfois nécessaire, on sait que cela va prendre beaucoup de temps. Par exemple, en matière d’aménagement de poste de travail, une fois qu’on explique la loi aux employeurs et les aides qu’ils peuvent avoir, les solutions sont souvent trouvées.

Cette plate-forme doit être visible, car les discriminations portent bien leur nom, elles minent la confiance dans la nation.

Or selon une étude que nous avions initiée en 2017, seules 12 % des personnes disant avoir été victimes de discrimination liée à leur origine ont entamé des démarches.

La question de la preuve en la matière est compliquée, mais certaines personnes se mettent manifestement trop de freins. On entend parfois au 39 28 : « Ça m’a fait du bien de vous en parler, mais c’est trop compliqué de me lancer dans une procédure. » Notre rôle est de leur expliquer que nos juristes sont peut-être mieux placés qu’eux-mêmes pour apprécier les éléments de preuve.

Le pays est plongé depuis un an dans la crise sanitaire. En quoi cela a-t-il affecté ou pas les droits ?

Cette crise confirme les difficultés d’accès aux droits de certaines personnes, et a même dégradé les conditions d’accès des publics les plus en difficulté. Nous avons eu, en 2020, une augmentation de 50 % des appels téléphoniques, avec des pics pendant le premier confinement car on est resté un service public ouvert. Nos 536 délégués territoriaux, qui traitent 80 % des quelque 100 000 réclamations adressées chaque année au Défenseur des droits, sont restés actifs.

C’est grâce à ce réseau que sont très vite remontées des difficultés élémentaires, comme les mamans qui n’arrivaient pas à entrer avec leur enfant dans les supermarchés, les personnes âgées ou les précaires sans carte bancaire qui ne pouvaient pas payer en liquide, la fermeture des bureaux de poste empêchant le versement de pensions de minima sociaux.

Les services publics ont tout de même mieux fonctionné lors du deuxième confinement…

Oui, il y a eu une volonté de prendre en compte ces difficultés. Mais la crise sanitaire a aggravé une situation qui préexistait, avec des difficultés croissantes d’accès aux services publics et des délais de réponse de plus en plus longs. La situation mérite sans aucun doute des mesures exceptionnelles. Mais, dans un Etat de droit, la restriction des libertés exige la prévisibilité, la nécessité et la proportionnalité. Or, certaines mesures, comme l’interdiction des visites dans les Ehpad [établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes], ont eu des effets délétères, y compris sur la santé.

Cette année a mis en évidence toute la problématique de la dématérialisation des démarches dans les services publics. Nous l’avions déjà souligné, la dématérialisation est une chance pour beaucoup, mais c’est aussi un obstacle supplémentaire pour d’autres. Un accueil physique et téléphonique reste essentiel. Cela ne concerne pas seulement ceux qui n’ont pas accès à Internet. Même les jeunes, très habiles sur leur smartphone, ne sont pas forcément à l’aise pour des démarches en ligne.

Nous sommes une vigie de toutes ces difficultés et les trois quarts des réclamations traitées par nos délégués sont réglées par la médiation, avec une issue favorable qui permet de rétablir les personnes dans leurs droits dans des domaines excessivement variés, comme des difficultés à percevoir sa pension, le rétablissement des points du permis de conduire à l’issue d’un stage ou l’ouverture de centres de loisirs aux enfants en situation de handicap. Mais la question du non-recours reste un sujet majeur.

La déontologie des forces de sécurité n’est pas votre mission la plus importante en volume mais elle est très présente dans l’actualité. Les choses s’améliorent-elles ?

Lorsque nous demandons un rappel à la loi dans nos décisions, nous sommes suivis dans les trois quarts des cas. La difficulté porte sur les demandes de poursuites disciplinaires : la première et unique fois où nous avons bien été suivis a été dans l’affaire Théo [à la suite d’une arrestation, le 2 février 2017, en Seine-Saint-Denis].

Cette question de la confiance de la population dans la police est au cœur de notre démocratie. Les gardiens de la paix sont aussi demandeurs de transparence, car ils souffrent de l’image qui leur est renvoyée. Lorsqu’il y a un usage disproportionné de la force, les personnes doivent être sanctionnées. Je pense par exemple au cas d’un jeune homme à terre, lors d’une manifestation, où l’on voit un policier continuer de le frapper. Nous n’avons pas pu identifier ce policier. Les autres policiers autour disent ne pas le connaître et la hiérarchie n’a pas été capable de dire qui c’était.

Quelle conclusion en tirez-vous ?

C’est étonnant, c’est le moins que l’on puisse dire. Mais il y a des avancées avec le nouveau schéma du maintien de l’ordre. D’abord parce qu’il est écrit. Certaines de nos recommandations, comme la meilleure communication avec les manifestants, ont été suivies. D’autres ne l’ont pas été, comme le fait que les armes de type LBD ne devraient pas être utilisées en manifestation. Quant aux contrôles d’identité délocalisés qui ont empêché des manifestants de rejoindre des points de rassemblement, ils restent une atteinte aux libertés.


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