Par Eric Nunès Publié le 09 mars 2021
Dans cette commune des Deux-Sèvres, se projeter dans une formation et un métier se heurte à de multiples barrières – l’éloignement, le financement, la possession d’un véhicule, la connaissance des « possibles »… Un nouveau lieu tente de repérer et d’accompagner ces jeunes.
Voir Ménigoute (Deux-Sèvres), sa chapelle gothique et son église romane se mérite. Il existe plusieurs chemins, plus ou moins longs, pour atteindre le village. Inutile de demander sa route au GPS, qui, faute de réseau, fonctionne en mode aléatoire. Il est toutefois possible de passer par Saint-Martin-du-Fouilloux (Deux-Sèvres), en venant de Parthenay, et de traverser le bocage. Ou alors, il y a le train jusqu’à Saint-Maixent-l’Ecole, et puis 18 kilomètres sur la départementale 58, en passant par Fomperron. Quoi qu’il en soit, il faut une voiture, et le droit de la conduire. Sinon, « t’es bloqué », témoigne Alexandre, 21 ans, enfant du pays. Une prison verte à l’air pur, de laquelle les jeunes les plus fragiles peinent à s’extirper.
Jeudi 4 mars, le « Campus de projets » de Ménigoute, 900 habitants, a rouvert ses portes. Il est installé face à l’église, à deux pas de la poste et autant de la pharmacie. Il succède au « Français », un ancien bar PMU qui a définitivement baissé le rideau. Son activité n’est pas frénétique. Le pays ménigoutais, 4 900 habitants (avec moins de 21 âmes au mètre carré), compte probablement plus de moutons que d’humains. Inauguré début 2020, le Campus de projets, financé notamment au travers d’un appel à projets national lancé pendant la présidence de François Hollande, avait été promptement refermé du fait de la crise sanitaire. Sa raison d’être : retisser un lien avec les décrocheurs ruraux, guider ces jeunes, à pas lents, vers une école, une formation professionnalisante, ou encore vers le sésame indispensable sur un territoire où plusieurs kilomètres séparent chaque village : le permis de conduire.
« Je m’occupe comme je peux »
En ce jour de réouverture, Johanna, 17 ans, passe, hésitante, le seuil de la porte. Réfugiée derrière son masque, elle répond timidement à l’invitation de Marion Godard, conseillère en insertion professionnelle. Lycéenne, sa scolarité n’a pas résisté au premier confinement. « J’ai décroché », reconnaît-elle. Depuis un an, son horizon se rétrécit. Malgré quelques heures de travail comme aide à l’enfance depuis septembre 2020, les semaines sont longues. « Je m’occupe comme je peux. Je dessine, j’aimerais travailler le dessin… » Depuis des années, Johanna remplit des carnets, distribue ses créations. Mais comment rêver d’une école d’art depuis Ménigoute ? L’établissement spécialisé le plus proche est à Niort, à une heure de route. Johanna n’a pas de voiture, ni de permis, ni même l’âge de conduire.
Cet après-midi de mars, Alexandre partage un café avec Marion Godard. Comme Johanna, l’isolement le ronge lentement. Titulaire d’un diplôme en mécanique, le garçon a tenté une spécialisation en mécanique agricole en alternance. « Je devais être pris, mais le patron a préféré un gars titulaire d’un BTS, et surtout du permis de conduire, indispensable par exemple pour pouvoir dépanner une machine hors service sur le bord de la route. » Alexandre a bien tenté de passer le permis : au premier examen du code, il a fait six fautes (il en faut un maximum de cinq pour être reçu). La deuxième fois, plus stressé, il en a fait huit. La troisième, onze.L’auto-école, qui assure des cours en présentiel, est située dans un village à 10 kilomètres du sien, il est difficile de s’y rendre sans être véhiculé…
Les « jeunes oubliés »
Il existe des « jeunes oubliés », reconnaît un « diagnostic de territoire » réalisé par le Centre socioculturel du pays ménigoutais, publié en février. « Ils ne sont ni répertoriés dans les établissements scolaires, ni chez Pôle emploi, et leur lieu d’habitation est souvent très loin du centre-bourg. » Pour le seul pays ménigoutais, « 266 » jeunes gens ont été détectés, compte Denis Thibeaudeau, référent jeunesse de ce centre social et culturel. « Notre mission est de les approcher et de les raccrocher », explique Marion Godard. Pour établir le contact, se limiter à une invitation au Campus de projets est sans effet. « Nous allons leur parler dans les lieux où ils vivent : les bars, quand ils sont ouverts, les arrêts de bus, le skatepark, les terrains de sport. Nous avons un partenariat avec l’éducation nationale, avec laquelle nous partageons le suivi des mineurs décrocheurs. »
Créer un lien ne suffit pas : la petite équipe du Campus de projets doit apporter des solutions clés en main pour des jeunes souvent réfractaires aux contraintes des administrations susceptibles de leur apporter une aide. Pour leur permettre un premier échange avec la conseillère en insertion, Denis Thibeaudeau va convoyer, un à un, chacun des jeunes depuis leur village jusqu’au centre-bourg. A Alexandre comme à Johanna, Marion propose de candidater à une subvention de la région, qui pourra financer tout ou partie de leur permis de conduire, dont l’obtention est, en milieu rural, une condition indispensable à la mise en place de nouveaux projets.
A Johanna, qui travaille déjà dans le domaine de la petite enfance, elle parle du BAFA et indique des outils de financement auxquels elle peut avoir droit. « J’y ai pensé, mais je ne me suis pas trop renseignée », avoue-t-elle. Quant à Alexandre, Marion Godard l’invite à proposer sa candidature dans le domaine où il est diplômé, la mécanique, et pour lequel il dit avoir toujours de l’appétence, afin d’obtenir un contrat en alternance. « Ecrire, c’est pas trop mon truc », admet le mécanicien. « On reverra ta lettre de motivation ensemble. Rendez-vous devant l’église la semaine prochaine. Je viendrai te chercher », promet Marion. Détecter, accompagner, sans jamais lâcher.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire