lundi 8 février 2021

Parentologie : les « monstres d’actu », nouvelles terreurs des enfants

Publié le 06 février 2021

CHRONIQUE

Nicolas Santolaria

Les enfants ont toujours peuplé les placards de créatures redoutables. Avec la pandémie et le confinement, notre surconsommation d’infos anxiogènes déteint sur leur imaginaire.

Souvent, au moment de s’endormir, mon fils cadet me fait part de ses angoisses enfantines. Il y aurait « des monstres dans le placard », dit-il, en désignant les deux portes battantes de la penderie. Incroyablement vivace, la peur du monstre est récurrente chez l’enfant, puisque ce dernier, jusqu’à un certain âge, ne fait pas vraiment de différence entre le fruit de son imagination et le monde réel. « Chez les enfants, les peurs apparaissent souvent comme des étapes de maturation et sont liées à des émotions archaïques comme l’abandon ou la dévoration », explique la thérapeute Stéphanie Couturier, dans son ouvrage Aider votre enfant à maîtriser ses peurs. Exercices et outils pour apaiser ses émotions (Marabout, 2017).

Lorsque je discute avec mon fils pour essayer de le rassurer, revient, au fil de la conversation, une figure monstrueuse plus effrayante que les autres, celle du « voleur d’enfants ». D’où sort cette étrange expression, un poil vintage ? A 6 ans, mon fils serait-il tombé sur une spéciale « Crimes et faits divers » consacrée à Michel Fourniret en zappant sur NRJ 12 ? C’est une hypothèse que l’on ne peut exclure. Pour lui, le « voleur d’enfant » est une catégorie un peu fourre-tout, aux frontières de la pédophilie, du kidnapping et de l’infanticide, synthétisant un ensemble de menaces dont les échos sont parvenus jusqu’à lui. Cette vision horrifique s’articule à une angoisse plus générale du trépas. Mon fils, qui ne cesse de nous répéter qu’il veut vivre « jusqu’à 120 ans », s’est, il y a peu, découvert mortel, ce qui n’est jamais facile.

Problématiques sociétales

Sa peur est donc un mélange d’imaginaire (ce truc dans le placard où l’on a pourtant vérifié qu’il n’y avait rien), de menace hypothétique (ces prédateurs qui rôdent dans les rues de nos villes, au sein des familles, des institutions) et de trouille plus globale de la disparition. Mais cette angoisse protéiforme semble aussi décuplée par la morosité du climat ambiant. Quand je demande à mon fils d’où sortent ces monstres, il me répond qu’ils viennent « de la réalité », des histoires que nous, ses parents, évoquons en discutant, à table ou ailleurs, comme lorsqu’on débriefe un fait divers, par exemple. On ne s’en aperçoit pas forcément, mais les récits sombres qui caractérisent la période actuelle rebondissent en cascade sur la psyché des plus jeunes, et l’obscurcissent.

L’enfant se trouve intégré à des discussions plombantes dont les enjeux ont sur lui un effet d’autant plus violent qu’il n’a aucun moyen de les relativiser

Voyant leur part fantasmatique s’amenuiser au profit de leur part réelle, les figures effrayantes qui peuplent les esprits des petits sont donc, de plus en plus souvent, des « monstres d’actu », synthétisant les problématiques sociétales dont nos journaux et nos JT regorgent. Comme le révélait un sondage Ipsos/Secours populaire de 2019, 62 % des enfants français de 8 à 14 ans craignent de devenir pauvres un jour, alors qu’ils n’étaient « que » 58 % quatre ans plus tôt. On peut voir là un sous-produit du souci global des parents, qui ne sont plus que 3 % (sondage Gece, 2019) à penser que leurs enfants vivront mieux qu’eux. Ce défaitisme chronique du tuteur accentue certainement l’incidence de ce que l’on appelle les « peurs transmises ».

Dans ce climat, l’enfant, souvent considéré comme un petit adulte en puissance, se trouvera parfois intégré à des débats de grands qui le dépassent, des discussions plombantes dont les enjeux auront sur lui un effet d’autant plus violent qu’il n’a aucun moyen intrinsèque de les relativiser. « Les enfants n’ont pas encore un cerveau tout à fait mature et ne réagissent pas comme les adultes, précise la thérapeute Stéphanie Couturier. En effet, malgré une amygdale cérébrale tout à fait opérationnelle (donc un centre d’alerte au top dès la naissance), le cortex sensoriel (centre d’analyse des sens) et l’hippocampe (siège de la mémoire) sont, eux, encore immatures. On comprend dès lors qu’un enfant n’a pas les moyens physiologiques pour se calmer et se raisonner par lui-même. »

Sans digue pour contenir la réponse émotionnelle, le monstre d’actu ne pourra que grossir au fur et à mesure que s’accumuleront les strates de nouvelles catastrophes. Lorsque ce ne sont pas des bribes de conversations qui parviennent à leurs oreilles ou des images qu’ils chapardent sur une chaîne télé, les jeunes, qui reçoivent en moyenne leur premier smartphone avant 10 ans (étude « La Parentalité à l’épreuve du numérique », 2020), s’immergent alors par eux-mêmes dans ce bain d’infos inquiétantes. Aujourd’hui, 71 % des 15-34 ans consultent quotidiennement l’actualité sur les réseaux sociaux et 15 % se déclarent même « accro » à l’information (Médiamétrie, 2017).

Des pouvoirs incroyables

Dans la tranche d’âge du dessous, le pouvoir anxiogène de l’actualité est également manifeste, ainsi qu’en atteste « L’encyclopédie des monstres », un petit livret réalisé en cours d’art plastique par des CM1 et CM2 de l’école de mes enfants, que nous nous sommes procurés auprès d’un jeune lanceur d’alerte. Dans ce document combinant textes et gravures, on découvre des monstres tels que les enfants de 9 à 11 ans les imaginent aujourd’hui. Beaucoup de ces entités ont des pouvoirs incroyables, comme « la refermeture des blessures »(Venomo) ou la capacité à transformer quiconque « en statue »via un simple regard (Veikulia). Leurs régimes alimentaires sont horriblement variés : les monstres mangent des pommes, des zombies, des râmen (plat japonais à base de pâtes et de bouillon), des croque-monsieur, du McDo…

En vivant loin de la civilisation, au fond des mers, dans la forêt amazonienne, ou bien « dans une cité inca perdue dans un monde parallèle », ils réussissent à échapper à l’influence néfaste des activités humaines. Mais le plus notable, dans ce bestiaire qui procède souvent d’hybridations flippantes (humain-serpent), est sans doute l’influence qu’y exerce l’actualité plus ou moins immédiate. Avec son masque sur le visage et sa bonne tête de virus hérissé de pics de protéines, « Fantôme Covid », qui se nourrit exclusivement de merguez, fait directement référence à la pandémie. Tout comme SirenHead, qui « vit en Algérie », « mange du kebab » et est malheureusement atteint du « Covid-50 ».

Si beaucoup de monstres se présentent comme de simples composés de peurs ancestrales et de préoccupations pluscontemporaines, d’autres apportent des solutions. C’est le cas de la « Vampipieuvre », bestiole à cinq yeux et sept tentacules, dont le CV laisse pantois : « Je nage à 1 000 km par seconde. Je mange du plancton et des algues. Je vis dans les profondeurs de l’Atlantique. Je purifie les océans. » Et que dire de « Néné le poulpe terrestre » ? Parce qu’il a l’incroyable pouvoir de « transformer la lave en eau », le séquençage de son génome pourrait permettre de résoudre le problème du réchauffement climatique. Ouf, non ! ?


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