dimanche 14 février 2021

« Où suis-je ? », de Bruno Latour : une invitation à explorer toutes les formes de survie

Par   Publié le 12 février 2021

Dans son essai, le sociologue veut « tirer des leçons positives » du confinement, appelant les humains à revenir sur Terre.

Livre. Voici une métaphysique du confinement qui nous invite à rompre avec le monde d’avant. Car tout a changé depuis que nous vivons la plupart du temps reclus dans nos maisons et nos appartements. Emprisonnés dans la « zone critique », cette atmosphère modifiée par le réchauffement climatique, les contemporains se sont métamorphosés, assure le sociologue Bruno Latour dans Où suis-je ? Leçons du confinement à l’usage des terrestres (La Découverte, 186 pages).

Beaucoup ont sensiblement éprouvé leurs interdépendances avec le vivant et n’existent plus avec la même innocence qu’auparavant. « J’ose à peine taper sur mon clavier, de peur de faire fondre quelque glace lointaine », résume Bruno Latour, qui cherche malgré tout à « tirer des leçons positives du confinement ». Nous vivions hors-sol. Il nous faut atterrir et revenir sur Terre. Changer nos représentations aussi.

A la lutte entre les bourgeois et des prolétaires s’est superposé l’affrontement entre les « extracteurs » et les « ravaudeurs »

Car « le nouveau régime climatique est bel est bien un nouveau régime politique », explique le sociologue. L’insertion du planétaire dans la politique fait éclater les catégories du monde d’hier comme les notions de souveraineté, d’Etat-nation et de frontières, alors que les « terrestres » vivent à l’échelle des vies connectées. Un nouveau conflit politique est même apparu dans lequel s’affrontent de nouvelles « classes géosociales ». A la lutte entre les bourgeois et des prolétaires s’est superposé l’affrontement entre les « extracteurs » et les « ravaudeurs », nous dit Latour. Les premiers poursuivent le développement de l’économie extractiviste dans le déni du réchauffement climatique ; les seconds cherchent à recréer un tissage des territoires par le ravaudage : ils raccommodent, reprisent, rapiècent et retissent un monde abîmé. Ce nouveau conflit, précise le sociologue, « joue aujourd’hui le même rôle, par son ubiquité, son intensité, sa violence, sa complexité, que le précédent », celui existant entre les capitalistes et les prolétaires, « sauf qu’il mobilise au-delà des seuls humains ». 

« Apprendre à reculer »

L’entrée dans l’ère de l’anthropocène appelle une nouvelle conception de l’émancipation. Celle-ci ne sera plus linéaire, comme à l’époque de l’ancienne politique révolutionnaire, puisqu’il n’existe plus qu’un seul monde auquel nous ne pouvons rien substituer. Ainsi, il s’agit « non plus [d’]aller de l’avant dans l’infini, mais [d’]apprendre à reculer, à déboîter dans le fini ». Il ne faudrait cependant pas croire Bruno Latour technophobe. Car« c’est par la technique, étrangement, que l’on capte le mieux cette puissance inventive (…) de Gaïa [la Terre-mère] ». En effet, relève-t-il, loin des idées reçues, « la Terre n’est pas verte, elle n’est pas primitive, elle n’est pas intacte, elle n’est pas naturelle. Mais artificielle de part en part ».

Empruntant aussi bien à La Métamorphose de Franz Kafka qu’aux réflexions du Britannique James Lovelock sur Gaïa, Où suis-je ?n’est pas aussi simple à manier qu’un manifeste écologiste mais constitue le bréviaire philosophique d’un mouvement terrestre. Une invitation à inventer d’autres formes de vie et à « explorer toutes les capacités de survie », puisque nous sommes désormais obligés de « ravauder les restes ».

« Où suis-je ? Leçons du confinement à l’usage des terrestres » (La Découverte, 186 pages, 15 euros).


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