mardi 23 février 2021

Dans l’est parisien, un « safe space » au féminin

Par Célia Laborie   Publié le 19 février 2021

Prenant le relais de l’initiative lancée en 2017 par une jeune femme victime d’agression sexuelle, l’association Safe Place organise, dans le 20e arrondissement de Paris, tables rondes et groupes de parole sur des questions liées au féminisme et aux communautés LGBT+.

Giulietta Canzani Mora, Thaïs Klapisch et Lisa Dayan de l’association Safe Place.

Sorcières de Mona Chollet (La Découverte), Bad Feminist de Roxane Gay (Denoël), L’Origine du monde de Liv Strömquist (Rackham)… La bibliothèque qui trône au-dessus de leurs bureaux donne d’emblée la couleur : féministe. Dans leurs petits locaux partagés du 20e arrondissement de Paris, Thaïs Klapisch, Lisa Dayan et Giulietta Canzani Mora s’échangent des livres, débattent de l’actualité des droits des femmes… Et œuvrent ensemble à matérialiser le concept de « safe space ».

Si l’association Safe Place a officiellement vu le jour en septembre 2020, tout a commencé avec une conversation entre adolescentes, en 2017. « A 17 ans, j’ai subi une agression sexuelle. A l’époque, en en parlant à mes meilleures amies, j’ai réalisé qu’on avait toutes subi des violences de ce type-là », témoigne Thaïs Klapisch, agent d’image pour artistes aujourd’hui âgée de 20 ans. « Aucune de nous ne voulait se confier à ses parents ni aux institutions. Alors on a lancé un appel à témoins sur Instagram : on demandait aux femmes ayant subi des agressions de toutes sortes de nous écrire. Le soir même, on a reçu plus de 150 mails. »

« Moments entre femmes »

Les quatre lycéennes nomment leur projet Safe Place, en référence au dialogue bienveillant qu’elles aimeraient instaurer, sans connaître le concept militant de ces espaces où les individus, souvent issus de minorités ethniques ou sexuelles, peuvent évoluer sans avoir à craindre des jugements ou des comportements considérés comme offensants. Leur espace prend d’abord la forme d’un compte Instagram où s’accumulent des témoignages vidéo de victimes de harcèlement, de « revenge porn », de viol. Au cours de l’année 2019, Thaïs est rejointe par Lisa Dayan, scénographe de 35 ans, et Giulietta Canzani Mora, 32 ans, connue comme DJ sous le nom de Piu Piu. Ensemble, elles organisent des événements publics à Paris, avec des tables rondes sur des questions liées au féminisme et aux communautés LGBT +. « A chaque fois, on a reçu près de cent personnes d’âges très différents, qui manifestaient toutes l’envie d’apprendre à vivre ensemble sans violence », s’enthousiasme Giulietta Canzani Mora.

« L’idée, c’est de leur parler de confiance en soi et de sororité, pour progressivement leur donner des clés d’“empouvoirement”. » Giulietta Canzani Mora membre de Safe Place.

Dès que les conditions sanitaires le permettront, elles doivent aussi organiser des ateliers dans des écoles et des groupes de parole dans des centres sociaux parisiens. « On prévoit de se réunir un jour par mois avec des petits groupes d’adolescentes. Si nos événements publics sont ouverts aux hommes, ces moments-là auront lieu entre femmes, pour aborder des sujets plus intimes. L’idée, c’est de leur parler de confiance en soi et de sororité, pour progressivement leur donner des clés d’“empouvoirement” », précise Giulietta.

Concrètement, comment Lisa, Thaïs et Giulietta fabriquent-elles les conditions de la sécurité psychique et physique de leurs interlocutrices ? « Au début des ateliers, on va poser les bases d’une discussion “safe” : toujours attendre qu’une personne ait fini de parler avant de prendre la parole, écouter l’opinion des autres sans émettre de jugement, même si on n’est pas d’accord », explique la DJ trentenaire. Pendant les tables rondes en public, elle a aussi pris l’habitude de prévenir son audience quand elle aborde des sujets potentiellement douloureux.

Accusation de communautarisme

Autre réflexe : demander aux intervenants qu’elle ne connaît pas avec quels pronoms elle peut s’adresser à eux. Les trois associées, qui sont aussi amies, essayent d’incarner cette bienveillance jusque dans leurs relations interpersonnelles : « On fait souvent des mises au point pour parler de nos ressentis, se mettre à la place les unes des autres, et expliquer quand on a pu se sentir blessées »,insiste Lisa Dayan. A terme, elles aimeraient surtout créer un lieu d’accueil permanent, avec une programmation culturelle, des ateliers et une salle de consultations avec une sexologue.

Lorsqu’elles évoquent leur projet autour d’elles, ces militantes bénévoles, qui ne bénéficient d’aucune subvention, sont souvent accusées d’adopter une posture victimaire, voire communautariste. « Le problème de base, c’est que le monde n’est pas safe. Les femmes se font agresser dans la rue, au sein de leur famille, au travail. C’est la raison pour laquelle nous avons besoin de créer un espace où nous reposer et reprendre de l’énergie », se défend Giulietta Canzani Mora. Un lieu pour changer de regard sur leurs propres traumatismes, aussi. Quatre ans après, Thaïs Klapisch dit voir Safe Place comme « une forme de revanche » face à l’agression qu’elle a subie adolescente.

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