mardi 19 janvier 2021

Troubles de l'apprentissage de l'enfant : fait-on trop de diagnostics ? L'avis d'une psy

 Sophie Carquain  

Multidys, TDAH, haut potentiel… de plus en plus d’enfants relèvent de ces troubles de l'apprentissage, selon des bilans effectués par des professionnels. A tort, d’après la psychologue Emmanuelle Piquet, qui, avec son dernier livre, jette un pavé dans la mare.

« En recevant les bulletins de CE2 de Tibo, j’ai pensé qu’il était flemmard et n’avait pas assez travaillé. Mais la professeure m’a convoquée pour me dire qu’il avait un comportement bizarre, agité et fanfaron. Elle a émis l’hypothèse d’un trouble de l’attention. On a consulté un neuropsychologue dans la foulée, qui a confirmé le diagnostic », raconte Coralie. Dyslexie, dyspraxie, précocité, TDA avec hyperactivité ou non : en une petite dizaine d’années, les troubles liés aux difficultés d’apprentissage ont flambé. Alertée par ce phénomène, la psychothérapeute Emmanuelle Piquet publie avec Alessandro Elia, psychologue, Nos enfants sous microscopeTDA/H, hauts potentiels, multi-dys & Cie : comment stopper l’épidémie de diagnostics (Payot). Un livre qui risque de créer la polémique…

Une explication qui peut soulager

« Ce qui pose d’abord problème, analyse Emmanuelle Piquet, c’est le fait que l’on psychiatrise et médicalise les états d’âme. Il suffit de jeter un coup d’œil sur le DSM-5, le catalogue des affections psy, pour y lire de nouvelles “maladies”, comme “trouble oppositionnel”, “hyperphagie incontrôlée” (le fait de manger trop) ou “tristesse pathologique” (quand on continue à pleurer deux mois après un deuil). C’est comme l’horoscope, tout le monde peut s’y retrouver ! ». En outre, selon la psychologue, cette épidémie de diagnostics ne permet pas toujours d’améliorer les troubles. « Dans mon cabinet, confie la psychothérapeute, je vois arriver pléthore d’enfants qui, après avoir été testés, cherchent encore une façon d’aller mieux ».

Un avis que ne partage pas la psychologue Jeanne Siaud­-Facchin, spécialiste des enfants surdoués et en difficulté d’apprentissage. Pour elle, mettre le doigt sur un trouble permet de le soigner. « On a une cartographie nette de ce que l’on est et, au moins, on cesse d’accuser l’enfant d’être “paresseux”, ce qui est la double peine pour lui », souligne­-t-­elle. Nombre de parents peuvent le confirmer. « Adèle était en grande souffrance à l’école, raconte Elyane.Quand nous avons su qu’elle était multidys et souffrait d’un trouble anxieux, on a pu demander une prise en charge. C’est un soulagement énorme ».

Emmanuelle Piquet le reconnaît : « Je ne nie pas du tout que ça puisse être aidant dans certains cas. Comme dans celui de June, qui, à 13 ans, était en grande difficulté dans sa relation avec autrui. Quand elle a su qu’elle était “Asperger”, ça l’a beaucoup aidée. Elle savait qu’elle ne pourrait être comme les autres et qu’il lui faudrait impérativement apprendre certains codes pour pouvoir communiquer avec eux ».

Attention à l’effet Golem

Mais, Emmanuelle Piquet n’en démord pas, souvent, la désignation du trouble ne fait qu’aggraver la situation : « Le diagnostic n’est pas psychodégradable, regrette la psychothérapeute, et poser une étiquette risque de figer un comportement à un moment donné, alors que chez l’enfant tout est en devenir ». Et la psy d’insister : « Le risque est de paralyser l’enfant dans son symptôme. Et de l’empêcher d’évoluer. C’est ce que les spécialistes nomment la prophétie autoréalisatrice. Dites à un enfant qu’il est timide ou anxieux, il peut s’en persuader. On appelle cela l’effet Golem, l’inverse de l’effet Pygmalion », dénonce Emmanuelle Piquet.

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