lundi 14 décembre 2020

Plastique : les dangers d’une pollution incontrôlée

En France, 900 000 tonnes de déchets de ce type sont enfouies chaque année, note un rapport parlementaire. 

Par   Publié le 14 décembre 2020

Sur une plage de Chennai, en Inde, le 18 novembre.

Un chiffre suffit à prendre la mesure du péril. Chaque minute, l’équivalent d’un camion-poubelle rempli de déchets plastiques se déverse dans les océans. Ce chiffre et bien d’autres, tout aussi impressionnants, sont compilés dans un volumineux rapport publié, lundi 14 décembre, par l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques (Opecst). « Pollutions plastiques : une bombe à retardement ? », s’interrogent les auteurs, la sénatrice (PS) du Lot Angèle Préville et le député (MoDem) du Maine-et-Loire Philippe Bolo.

L’Opecst avait été saisi, en avril 2019, par le Sénat, afin de « dresser un état des lieux des risques que cette pollution fait peser sur l’environnement et la santé humaine et animal », et des solutions pour la réduire. Près de 140 auditions (chercheurs, associations, agences sanitaires, industriels…) et dix-huit visites sur le terrain plus tard, l’Opecst dresse un tableau très sombre et pointe les résultats « médiocres » et les nombreuses « limites » d’un modèle en échec reposant essentiellement sur le recyclage.

En moins d’un siècle, le plastique est devenu le troisième matériau le plus fabriqué au monde, après le ciment et l’acier. Au total, 359 millions de tonnes ont été produites en 2018, chiffre qui grimpe à 438 millions de tonnes en tenant compte des plastiques présents dans les textiles et les caoutchoucs synthétiques. Et, au rythme actuel, cette production devrait doubler d’ici à 2050. Cette forte croissance est tirée par l’essor du secteur de l’emballage : avec une part de marché de 36 % au niveau mondial (soit une production de 158 millions de tonnes en 2018), il en constitue le premier débouché. Résultat : 81 % des plastiques mis en circulation deviennent des déchets au bout d’une année.

Taux de recyclage « médiocre »

Régulièrement, des images de plage paradisiaque engloutie sous les détritus, ou de cachalot échoué l’estomac gorgé de déchets, refont surface : 1,4 million d’oiseaux et 14 000 mammifères marins sont retrouvés morts chaque année, en raison de l’ingestion de plastiques. Ces images ne reflètent que la partie émergée de l’iceberg : les macroplastiques, dont la taille est supérieure à 5 millimètres. Entre 1950 et 2015, la production cumulée de polymères, de fibres synthétiques et d’additifs a atteint 8,3 milliards de tonnes. Et 5,8 milliards de tonnes (soit 70 %) de ces matériaux sont devenus des déchets. En France, où 900 000 tonnes de déchets plastiques sont enfouis chaque année, le taux de mise en décharge est de 32,5 %, supérieur à la moyenne de l’Union européenne (24,9 %).

A côté de cette pollution visible prospère une pollution invisible, mais tout aussi dangereuse, liée aux microplastiques (inférieur à 5 millimètres). On estime ainsi que l’érosion des pneumatiques libère chaque année 5,86 millions de tonnes de particules à l’échelle de la planète, et on évalue entre 18 000 et 46 000 tonnes par an le relargage de fibres textiles dans l’environnement, au niveau européen. Une menace pour les écosystèmes et la biodiversité, mais également pour la santé. Par l’intermédiaire des substances chimiques qu’ils contiennent, les déchets plastiques peuvent être sources de perturbateurs endocriniens ou de polluants organiques persistants.

Face aux « dangers d’une pollution incontrôlée par les microplastiques », l’Opecst tire la sonnette d’alarme : « Il est urgent de faire jouer le principe de précaution » et de « prendre dès maintenant des mesures adaptées pour lutter contre les fuites de plastiques dans l’environnement ». Car, aujourd’hui, précise le rapport, la réduction de la pollution chimique par les microplastiques ne fait l’objet d’« aucune stratégie spécifique ». 

L’Opecst est tout aussi sévère avec la pierre angulaire de la politique de réduction des déchets : le recyclage. Le rapport relève que les taux de recyclage des plastiques sont « particulièrement médiocres » en France : ils s’élevaient à 24,2 % en 2018. Très loin de l’objectif du gouvernement d’atteindre les 100 % à l’horizon 2025.

« Présenté comme le levier ultime de l’économie circulaire », affirment les rapporteurs, le recyclage se heurte à de nombreux obstacles. Une limite économique, tout d’abord, liée à l’absence de rentabilité : le plastique recyclé n’est pas compétitif face aux résines vierges dont les prix se sont effondrés avec la chute du prix du pétrole. Des limites techniques, ensuite : nombre de plastiques ne sont toujours pas recyclables, les polymères se dégradent lors d’un tel processus… Des freins réglementaires, enfin, qui empêchent par exemple le recyclage de produits mis sur le marché par le passé et fabriqués avec des substances désormais interdites.

Politiques « trop timides »

Le rapport juge également « trop timides » les politiques de réduction des usages des plastiques. Amorcée en 2016, avec l’interdiction des sacs de caisse à usage unique, une nouvelle étape devrait être franchie en 2022, avec l’interdiction du conditionnement dans des emballages en plastique des fruits et légumes frais. Des mesures trop récentes (et pour la plupart non encore entrées en vigueur) pour produire des effets, juge le rapport. Un tour sur les marchés suffit pour constater que les sacs plastiques n’ont pas disparu.

Quant aux pistes privilégiées par les pouvoirs publics (progrès technologique, amélioration de la gestion des déchets, responsabilisation des citoyens, croissance verte…), elles sont jugées « inefficaces ». Elles restent « trop axées » sur l’amélioration de l’efficacité du recyclage au détriment d’« une politique plus volontariste de réduction de la consommation » et de développement du réemploi et de la réutilisation. Les rapporteurs concluent que la lutte contre les pollutions plastiques implique « un bouleversement de nos modes de production et de consommation » et exige de « se questionner en profondeur sur un modèle de société de surconsommation ».

Aussi, le rapport formule une longue série de recommandations allant de l’interdiction des lâchers de ballons à un traité mondial visant à réduire la pollution plastique avec la mise en place de l’équivalent du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC). L’Opecst préconise en outre de définir une liste des plastiques dont il faut réduire la fabrication en priorité, des incitations fiscales et réglementaires pour encourager l’incorporation de plastiques recyclés, le retour de la consigne en verre pour les boissons, l’obligation d’afficher en magasin la possibilité pour le consommateur de laisser les emballages en caisse, ou encore l’intégration d’au moins une opération de ramassage de déchets dans les parcours scolaires.


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