samedi 19 décembre 2020

Covid-19 : les Français voient la vie en morose

Par Sibylle Vincendon — 18 décembre 2020

Selon une étude menée début décembre, 31% des salariés interrogés auraient un risque de dépression réel, soit 11% de plus qu’en octobre.

Selon une étude menée début décembre, 31% des salariés interrogés auraient un risque de dépression réel, soit 11% de plus qu’en octobre. Photo Jean-Philippe Ksiazek. AFP

Sur un terrain français déjà enclin à la déprime et aux coups de spleen, la crise sanitaire et les deux confinements qui en ont résulté ont fait sombrer les plus fragiles dans une détresse psychologique qui laisse entrevoir un prolongement de la crise sanitaire au niveau de la santé mentale.

Pendant le premier confinement, en avril, quand Sciences-Po et le Cevipof ont demandé quel était leur «état d’esprit» à 1 766 Français interrogés pour le Baromètre de la confiance politique, 4 % ont répondu«enthousiaste». On rêverait de les rencontrer. La très grande majorité des sondés se reconnaissaient mieux dans la méfiance (32 %), la morosité (28 %), la lassitude (28 %) et la peur (27 %). Seuls 17 % affirmaient ressentir de la sérénité, 14 % de la confiance et 11 % du bien-être. En outre, les idées noires (méfiance, morosité, lassitude, peur) étaient à la hausse, tandis que les raisons d’y croire (sérénité, confiance, bien-être, enthousiasme) étaient toutes orientées à la baisse.

Ce coup de sonde, donné en urgence au vu des circonstances de l’épidémie de Covid, constituait la vague «11bis» de ce baromètre. Etabli chaque année depuis 2009, cet instrument mesure les évolutions dans le temps, mais il offre aussi des éléments de comparaison. Les mêmes questions ont été posées au même moment en Allemagne et au Royaume-Uni. Les situations sanitaires étaient différentes d’un pays à l’autre, mais quand même : seuls 10 % des Allemands et 15 % des Britanniques se disaient alors moroses, tandis que 39 % des premiers et 35 % des seconds se sentaient sereins. Peut-être la donne est-elle en train de se modifier au vu de l’évolution du Covid dans ces pays, mais de fait, il existe bien une particularité française. En 2018, dans le baromètre international de la confiance en l’avenir mené par BVA dans 57 pays, la France se situait au 41e rang. Et la crise sanitaire qui dure a peu de chance de renverser la tendance.

Télétravail

En cette fin d’automne, c’est le grand spleen national. A l’approche des fêtes, l’Ifop (1) a mesuré que 10 % des habitants allaient passer seuls le réveillon du 24 décembre, deux fois plus qu’en 2019. Les tablées seront plus réduites (5 adultes en moyenne contre 9 en 2019), les déplacements moins nombreux aussi (10 % contre 24 %). Ce moment viendra clore une année de travail plutôt déprimante. Une étude menée par OpinionWay du 2 au 9 décembre pour le cabinet Empreintes auprès de 2009 salariés dit que 50 % sont en état de détresse psychologique, soit 7 % de plus qu’à la sortie du confinement en mai. Selon cette étude, 31 % des salariés interrogés auraient un risque de dépression réel, 11 % de plus qu’en octobre. Quant au télétravail, il voit sa cote s’écrouler à grande vitesse : les salariés ne sont plus que 55 % à vouloir continuer contre 69 % en octobre.

La France déprime. On peut toujours se consoler avec l’idée que les voisins aussi, mais il existe une prédisposition hexagonale à broyer du noir. «Cela va au-delà d’un moral plombé par l’isolement du confinement ou la crainte de perdre son emploi, explique Bruno Cautrès, chercheur CNRS au Cevipof et responsable du Baromètre de la confiance politique. Le niveau de colère et de peur est très important. La France est un pays avec des niveaux de pessimisme très élevés, mais aussi le seul en Europe à avoir connu un mouvement comme les gilets jaunes.» Que voir dans cette conjonction ? «Peut-être quelque chose de plus profond, le sentiment d’une absence de sens», pense le chercheur. Les Français se demandent «où l’on va».

Bile

Et de quelle manière. Ainsi, quand on les interroge sur la façon dont le pays devrait être gouverné, 44 % des sondés répondent qu’il «vaudrait mieux moins de démocratie mais plus d’efficacité». Le pourcentage est en hausse. Les Allemands ne partagent cette opinion qu’à 34 %, et de plus, ça baisse. Alors quoi ? «Les gens ont le sentiment que le gouvernement navigue à vue malgré des efforts gigantesques, décrypte Bruno Cautrès. Le gouvernement fixe des caps, mais très vite revient le sentiment d’être perdu.»

L’inquiétude dépasse le Covid et les perspectives économiques. «En Allemagne et en Grande-Bretagne, poursuit le chercheur, la crise est perçue pour ce qu’elle est, une crise sanitaire. Dans le cas français, elle vient en écho avec un malaise démocratique. Si on rembobine le film, l’élection d’Emmanuel Macron était un symptôme de cela. Il a reconnu qu’il n’était pas parvenu à casser cette spirale de la défiance. Le stock de pessimisme en France est tel que même un choc national n’arrive pas à inverser la tendance.» Aucune mesure concrète ne vient contrecarrer cette certitude. La bile des Français «étonne les observateurs étrangers qui voient un Etat qui déploie des moyens pour soutenir sa population». Au fond, ajoute-t-il, «les gens ont le sentiment d’être dans un gigantesque embouteillage sans jamais voir une bretelle de sortie». Le spleen, quoi.

(1) Etude Ifop pour Odéro réalisée par questionnaire auto-administré en ligne du 25 au 26 novembre 2020 auprès d’un échantillon de 1 549 personnes, représentatif de la population âgée de 18 ans et plus résidant en France métropolitaine.



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