jeudi 19 novembre 2020

« Le port du masque à l’école élémentaire entrave l’apprentissage des enfants »


Sans occulter les raisons sanitaires, trois psychologues, Gérald Bussy, Jade Mériaux et Mathilde Muneaux, s’inquiètent, dans une tribune au « Monde », des dommages de cette mesure sur le développement cognitif et cérébral des plus jeunes. Ils appellent à entreprendre rapidement des études d’impact.

Publié le 19 novembre 2020


Un élève d’école élémentaire masqué en classe le 12 mai, à Villers-lès-Nancy (Meurthe-et-Moselle.

Tribune. Jeudi 29 octobre, le ministre de l’éducation nationale, de la jeunesse et des sports, Jean-Michel Blanquer, annonçait lors d’une conférence de presse qu’« actuellement, au moment des vacances scolaires, il y avait vingt-sept structures fermées sur les 21 500 que compte le pays, c’est-à-dire 0,04 % » ; que « le nombre de cas Covid sur les sept derniers jours s’établissait à 8 223 élèves, rappelons qu’il y a 12 400 000 élèves dans notre pays, soit 0,07 % » et que « l’école est donc en réalité un espace sécurisé ».

A partir de ces données, le ministre annonçait ensuite : « Le masque devient obligatoire pour tous les élèves à partir du cours préparatoire afin que ces élèves et leurs professeurs se prémunissent au maximum de tout risque de contagiosité éventuelle même si nous savons que la contagiosité des petits enfants vers les adultes est semble-t-il faible ».

Sans nier les raisons sanitaires actuelles, en tant que psychologues spécialisés en neuropsychologie, nous nous questionnons sur l’impact d’une telle mesure sur le développement cognitif et cérébral de l’enfant. D’un point de vue théorique, gérer un masque entraîne une contrainte supplémentaire puisant dans des ressources attentionnelles limitées. Maintenir son attention, en étant privé de la moitié des informations du visage et n’ayant accès qu’à une voix filtrée, demande aussi de puiser dans ces ressources attentionnelles limitées. Pour un enfant, s’exprimer à travers un masque est aussi une contrainte supplémentaire pour s’engager et participer à la vie de classe.

Privés du mouvement des lèvres

D’après Stanislas Dehaene, neuroscientifique et professeur au Collège de France, président du Conseil scientifique de l’éducation nationale (CSEN), les neurosciences ont identifié au moins quatre facteurs déterminants dans la vitesse et la facilité d’apprentissage : l’attention, l’engagement actif, le retour d’information et la consolidation (L’Express, 2018).

D’un point de vue théorique, le port du masque chez les enfants impacterait donc ces deux premiers piliers : attention et engagement. Les fonctions attentionnelles et d’engagement sont fortement liées au cortex préfrontal (partie avant du cerveau) qui mature tout au long du développement de l’enfant et de l’adolescent en fonction de facteurs physiologiques et de stimulations environnementales. Quel impact la contrainte du port du masque peut-elle avoir sur cette maturation ?

Le port du masque prive aussi l’élève des informations sur le mouvement des lèvres, informations très utiles pour percevoir les phonèmes (sons composants notre langue qui sont retranscrits en lettres dans la lecture). L’importance de la perception du mouvement des lèvres sur le traitement de la parole est attestée depuis l’étude de McGurk et MacDonald en 1976 dans le célèbre journal scientifique Nature. Les auteurs ont montré que lorsque le mouvement des lèvres ne correspondait pas au son entendu, les participants adultes percevaient un son différent. Par exemple, lorsque les participants entendaient le son « ba » alors que le mouvement des lèvres le produisant correspondait au son « ga », ils entendaient en fait le son « da ».

« L’altération du message verbal pourrait conduire à une compréhension erronée du discours de l’autre »

Plus spécifiquement, certaines études montrent que le port du masque altère la compréhension du discours, notamment dans un environnement peu bruyant (dès 60 Db, Wittum, 2013). Les masques atténuent les hautes fréquences de la parole (2 000-7 000 Hz) et diminuent l’intensité des sons de la parole de trois décibels (masque chirurgical) à 12 dB pour les masques FFP2 (Alexander Goldin et al., 2020).

Dans le contexte de l’apprentissage de la lecture où beaucoup de sons sont souvent très proches (comme « p » et « t » ; « b » et « d »), on peut supposer que la privation des informations liées au mouvement des lèvres impacte les apprentissages fondamentaux. Par ailleurs, l’altération du message verbal, émis par l’enseignant ou par les élèves, pourrait non seulement conduire à une compréhension erronée du discours de l’autre mais aurait aussi un coût cognitif plus important entraînant une chute rapide des capacités d’attention.

Le port du masque entraverait aussi l’accès au traitement des visages, fortement impliqué, entre autres, dans le développement des habilités sociales (voir les études sur le trouble du spectre de l’autisme par exemple). La zone cérébrale spécifiquement dédiée au traitement des visages, le gyrus fusiforme, se développe jusqu’à l’âge adulte (Jesse Gomez et al., 2017). Ce développement est fonction de la maturation physiologique mais aussi de la fréquence d’exposition aux visages et de la diversité de ces expositions. Qu’en est-il de ce développement lorsque la prise d’informations ne peut être faite que sur des visages parcellaires ?

Ainsi, théoriquement, il est plus qu’envisageable d’émettre l’hypothèse d’un impact fonctionnel et structurel sur le développement cognitif et cérébral des enfants portant un masque vingt-quatre heures par semaine au minimum, et jusqu’à quarante heures pour les enfants fréquentant le périscolaire.

Lecture émotionnelle affectée

Depuis l’annonce ministérielle, nous avons cherché des études expérimentales ayant évalué ces effets sur le traitement attentionnel, le traitement des émotions et les habilités sociales. Nous n’avons à l’heure actuelle trouvé qu’une seule étude réalisée avec des adultes dans le champ de la perception des émotions. Cette étude va dans le sens d’un impact négatif dans la relation à l’autre. En effet, les résultats montrent que la lecture émotionnelle est fortement impactée par la présence d’un masque (Claus-Christian Carbon, 2020).

Nous avons aussi cherché des études auprès des instances gouvernementales. Le Conseil scientifique de l’éducation nationale (CSEN) a comme fonction « d’éclairer la décision politique sur les grands enjeux éducatifs de notre temps » (extrait du discours de Jean-Michel Blanquer lors de la création du CSEN en janvier 2018). A l’heure actuelle, le CSEN ne s’est pas exprimé sur la question de l’impact du port du masque sur les apprentissages.

Compte tenu des informations données par le ministre de l’éducation nationale sur le faible taux de contamination dans le milieu scolaire avec le protocole sanitaire mis en place depuis la reprise des cours le 11 mai et des éventuelles conséquences du port du masque sur le développement de l’enfant, nous nous posons la question du rapport coût/bénéfice d’une telle mesure. Nous comprenons les nécessités sanitaires, mais ne serait-il pas pertinent de débuter rapidement des études sur l’impact du port du masque sur le développement et les conditions d’apprentissage des élèves avant de maintenir une mesure qui pourrait s’avérer irréversible sur le développement cognitif et cérébral de l’enfant ?

Gérald Bussy, psychologue spécialisé en neuropsychologie, docteur en psychologie, exerçant en cabinet libéral et en services d’éducation spéciale et de soins à domicile (Sessad) ; Jade Mériaux, psychologue spécialisée en neuropsychologie, exerçant en services hospitaliers de pédopsychiatrie ; Mathilde Muneaux, psychologue spécialisée en neuropsychologie, docteur en psychologie, exerçant en cabinet libéral, en institut médico-éducatif et Sessad.


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