lundi 26 octobre 2020

Plus malades, plus précaires : le Covid cisaille les pauvres

Par Tonino Serafini et Aude Massiot — 

A Saint Etienne, le 22 octobre. La métropole détient le taux d'incidence le plus élevé du territoire.

A Saint Etienne, le 22 octobre. La métropole détient le taux d'incidence le plus élevé du territoire. Photo Hugo Ribes. Item pour Libération

Près de Saint-Etienne ou dans la métropole lilloise, certains des quartiers les plus défavorisés sont aussi les plus touchés par l’épidémie. Les facteurs aggravants liant pauvreté et maladie ont fait l’objet d’une étude de l’Inserm.

En l’espace de dix jours, la situation épidémiologique a pris un tournant plus qu’inquiétant dans certaines régions de France. Entre le 15 au 21 octobre, les métropoles de Saint-Etienne, Lille et Lyon ont atteint des taux d’incidence extrêmement élevés, respectivement de 962, 806 et 721. Cet indicateur correspond au nombre de personnes positives au test PCR pour 100 000 habitants, sur sept jours. En comparaison, le Grand Paris est à 426… Comment expliquer de telles différences avec le reste du pays qui, lui aussi, vit sa deuxième vague, mais à un niveau pour l’instant moins élevé ? Un facteur déterminant semble se démarquer pour éclaircir les raisons d’une telle situation : la précarité des populations touchées.

Les nouveaux épicentres sont-ils liés à la pauvreté ?

Dans une certaine mesure. La métropole de Saint-Etienne en est le parfait exemple. Ce n’est ni une destination touristique ni un «hub» économique. Pourtant, le virus y circule de manière extrêmement rapide. Les zones les plus affectées de la ville sont des quartiers populaires avec une population vieillissante, héritage du passé industriel. Une généraliste du secteur défavorisé de Montreynaud confirme : «Quand des gens vivent nombreux dans de petits appartements, c’est évident que ça se propage vite. Et ceux qui ont une situation économique tendue ne vont pas forcément arrêter de travailler car sinon, ils perdent trop d’argent.» Même situation au Chambon-Feugerolles, commune proche de Saint-Etienne, qui affiche un alarmant taux d’incidence de 1 393 pour 100 000 habitants (donnée du 18 octobre). Le taux de pauvreté s’y élève à 23 % (en 2017), bien au-dessus de la moyenne nationale (14,8 %).

Du côté de la métropole lilloise, on trouve des circonstances similaires. «Dans la zone autour de Roubaix et Tourcoing, beaucoup de familles nombreuses vivent dans des habitats assez réduits, donc la transmissibilité du virus y est favorisée», détaille Benoît Vallet, directeur de l’ARS Hauts-de-France. Avec respectivement des taux de pauvreté de 43 % et 27 %, ces deux villes se trouvent dans le top 10 des communes avec le plus fort taux d’incidence.

Les inégalités sociales provoquent une accumulation de facteurs aggravants face au Covid-19. Onze chercheurs le démontrent dans la revue de l’Institut pour la recherche en santé publique, publiée début octobre. Ils y décortiquent les résultats de l’enquête «Epidémiologie et conditions de vie» (EpiCoV) de l’Inserm. Il y apparaît que «certaines professions dites "essentielles" dans le contexte de l’épidémie ont des taux de surpeuplement de leur habitation élevés : personnel de nettoyage (21 %), aide à domicile (18 %), ouvriers salariés du bâtiment (20 %).» Double peine, ces professions ont aussi été plus fortement exposées au virus car elles utilisent plus souvent que les cadres les transports en commun pour se rendre sur leur lieu de travail : près de 10 % des agents de nettoyage et des aides à domicile contre 4 % pour l’ensemble des personnes qui ont travaillé dans la semaine précédant l’enquête.

Quelle leçon tirer de la première vague ?

Lors de la première vague du printemps, le cas de l’Ile-de-France a été révélateur. En Seine-Saint-Denis, où 27,9 % de la population vit sous le seuil de pauvreté, «les décès de résidents […] ont plus que doublé [dans la période du 2 mars au 10 mai 2020 par rapport à] la période de référence [2015-2019]» souligne l’Insee. Une surmortalité de 110 %, près de deux fois supérieure à celle des Yvelines (+ 61 %) et loin devant Paris (+ 76 %). L’Insee observe que ce fort excédent dans le département a «persisté jusqu’à fin avril, alors qu’il s’est atténué plus rapidement dans les départements très touchés du Grand-Est», comme le Haut-Rhin. «Les caractéristiques sociales de la Seine-Saint-Denis peuvent expliquer en partie cette singularité.» Il pointe la question du logement, qui a pu favoriser les contaminations : un ménage sur cinq (21 %) y vit dans une habitation suroccupée, contre 5 % de moyenne nationale (et 8 % à 16 % dans les autres départements franciliens). Enfin, de nombreux travaux ont démontré le lien entre pauvreté et maladies chroniques. Or la mortalité due au virus progressant avec l’âge et certaines pathologies, comme le surpoids, la tension artérielle et le diabète, le risque de présenter une forme grave de l’infection est renforcé pour ces populations.

Comment limiter cette contamination exacerbée ?

Dans les Hauts-de-France, l’ARS a décidé de lancer un programme dédié. «Nous sommes en train de mettre en place des équipes mobiles, appelées "ambassadeurs de la lutte contre le Covid", annonce Benoît Vallet. Leur rôle sera d’aller parler à ces populations [précaires] sur la nécessité de respecter les gestes barrières et les mesures sanitaires.» Plus largement, les chercheurs de l’Institut pour la recherche en santé publique estiment que «l’action compensatrice de l’Etat n’a pas, à ce jour, véritablement pallié l’accentuation des inégalités sociales». Jean Castex a encore annoncé, samedi, de nouvelles mesures pour venir en aide aux plus pauvres. Mesures qui ont été immédiatement taclées par le monde associatif, considérées comme déconnectées de la réalité.



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