samedi 17 octobre 2020

Au Japon, le coronavirus à l’origine d’une nouvelle épidémie de suicides


 




Après des années de baisse, le nombre de personnes mettant fin à leurs jours est reparti à la hausse. Une conséquence de la pandémie et de ses retombées économiques et sociales.

Par  Publié le 16 octobre 2020

<p>Une hausse du chômage entraîne systématiquement une augmentation des suicides au Japon (ici, au centre d’assistance téléphonique Tokyo Befrienders, destiné à la prévention du suicide, en mai 2020).</p>

La pandémie de Covid-19 avive les craintes d’un rebond durable des suicides au Japon. Les derniers chiffres l’attestent, le nombre de personnes mettant fin à leurs jours est reparti à la hausse après des années de baisse : 1 854 personnes se sont suicidées en août, soit une progression de 16 % sur un an, a annoncé, le 2 octobre, l’Agence nationale de la police (NPA). Il s’agissait de la deuxième hausse mensuelle d’affilée. Le chiffre serait presque passé inaperçu si, parmi les victimes, ne se trouvaient plusieurs personnalités populaires.

L’université de Kyoto a calculé que chaque augmentation d’un point du taux de chômage provoquait 2 400 suicides supplémentaires.

Le 27 septembre, Yuko Takeuchi, héroïne de la série Miss Sherlock et récompensée à deux reprises dans son pays du prix de la meilleure actrice, a mis fin à ses jours. Cet été, l’actrice Sei Ashina, révélée par le film Silk, et l’acteur Haruma Miura, figure montante du cinéma nippon, avaient fait de même. Leurs fins tragiques suivaient celle, en mai, de la catcheuse et star de la télé-réalité Hana Kimura, victime, elle, de harcèlement.

L’annonce du décès de Yuko Takeuchi a poussé le gouvernement à réagir. « Nous assistons à une augmentation du nombre de suicides depuis le mois de juillet. Nous devons admettre que trop de personnes mettent fin à leur ­précieuse vie », a sobrement déclaré son ­porte-parole – et ancien ministre de la santé –, Katsunobu Kato, tout en appelant les personnes en souffrance à ne pas hésiter à ­solliciter une aide. Le ministère de la santé a demandé à bénéficier d’une partie des fonds du plan gouvernemental de relance post-Covid-19, doté de 117 000 milliards de yens (947 milliards d’euros), pour renforcer les moyens à disposition de la prévention du suicide.

Un sujet tabou

Le Japon a longtemps semblé ignorer ces drames personnels. La souffrance psychologique restait un tabou. Le suicide conservait une image d’honorabilité, liée au traditionnel seppuku – rituel des samouraïs. L’archipel a de ce fait toujours figuré parmi les mauvais élèves des nations développées en la matière. D’après la NPA, les questions économiques restent la deuxième cause de suicide, derrière la santé et devant celle du harcèlement. Or la pandémie a une forte incidence sur l’activité économique.

Le PIB du Japon a plongé de 28,1 % d’avril à juin, et le chômage est passé de 2,4 % à 3 % entre février et août, ce qui, à l’échelle occidentale, est un chiffre ridiculement bas mais qui, au Japon, constitue une inquiétante augmentation. L’université de Kyoto a calculé que chaque augmentation d’un point du taux de chômage provoquait 2 400 suicides supplémentaires. Si la crise sanitaire se poursuivait, estime l’établissement, le chômage pourrait culminer à 6 % d’ici à mars 2021, portant le nombre annuel de suicides à 34 000.

L’inquiétude est grande chez les professionnels de l’aide aux personnes en détresse de voir cette prédiction se réaliser. Outre les problèmes économiques, la pandémie due au coronavirus a contraint nombre de personnes à rester chez elles. L’Archipel n’a jamais confiné la population, se contentant d’appeler à rester à la maison ou de fermer les restaurants. La vie sociale a néanmoins été bouleversée.

Les femmes, premières touchées

Ceci pourrait expliquer en partie le doublement des suicides des jeunes en août et sur un an, et, sur la même période, la hausse de 40 % du nombre de suicides des femmes entre 20 et 40 ans, premières touchées par les difficultés économiques. « Le sentiment d’isolement conjugué à la dégradation de l’économie favorise l’anxiété et beaucoup de gens sont incapables d’entrevoir une sortie à la crise », s’inquiète Akiko Mura, directrice du centre de prévention des suicides de Tokyo.

Si bien qu’aujourd’hui beaucoup établissent un parallèle entre la résurgence actuelle des suicides et la situation du Japon en 1998. A l’époque, une hausse de la TVA avait été mise en œuvre alors que le pays subissait le contrecoup de la crise asiatique. La forte hausse des licenciements, qui a porté le taux de chômage à 5,4 % en 2002 – un record historique pour l’Archipel –, avait fait bondir le nombre de suicides à 34 500 en 2003.

Néanmoins, le Japon paraît aujourd’hui mieux armé pour faire face à la recrudescence du phénomène. En 2006, le gouvernement a promulgué une loi sur la prévention du suicide, qui prévoit des mesures et des aides pour l’entourage des victimes. Cette politique a porté ses fruits puisque, en 2019, le nombre de suicides est passé sous les 20 000, pour la première fois depuis 1978 et le début de l’enregistrement de cette statistique.



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