dimanche 27 septembre 2020

Pourquoi on n’aime pas les gros

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Publié dans le magazine Books n° 111, octobre 2020. Par Anna Katharina Schaffner.

L’obésité a beau être en nette progression partout dans le monde, les personnes en surpoids continuent d’être stigmatisées. Si le jugement porté sur les gros s’est fait plus sévère au fil des siècles, nos ancêtres ne valorisaient pas tant que cela la corpulence. Le gras a toujours suscité des sentiments ambivalents.


© Amir Cohen / Reuters

Israël, 2011. Des candidates au concours de beauté Miss Ronde, organisé chaque annéeà Beersheba. Dans la mode, les mannequins «grande taille» sont de plus en plus recherchées.

Ces dernières décennies, les Britanniques ont gagné en corpulence. Selon le rapport 2017 sur l’obésité en Angle­terre, 58 % des femmes et 68 % des hommes sont en surpoids ou obèses, ainsi que 20 % des enfants âgés de 3 à 4 ans et plus d’un tiers des 10-11 ans 1. Le phénomène est mondial : la majo­rité de la population mondiale vit à présent dans des pays où la surcharge pondérale tue davantage que l’insuffisance pondérale. L’obésité – c’est-à-dire un indice de masse corporelle (IMC) ­supérieur à 30 – a quasiment triplé dans le monde depuis 1975.

Les personnes en surcharge pondérale ont beau être de plus en plus nombreuses, elles continuent à faire l’objet de mépris et de discrimination. Malgré des efforts concertés pour lutter contre les préjugés antigros – qu’ils soient latents ou flagrants –, la grossophobie reste la forme de discrimination fondée sur l’apparence physique la plus répandue et la plus acceptée socialement. Des articles alarmistes évoquant une « épidémie » mondiale d’obésité n’ont fait qu’aggraver le problème en donnant l’impression que les plus enrobés de nos semblables étaient sur le point de nous faire basculer dans une apocalypse biopolitique. En 2015, une action particulièrement cruelle avait fait les gros titres. Un groupe baptisé « Les grossophobes unis » avait distribué dans le métro de Londres des tracts qui disaient : « Les glandes n’y sont pour rien, c’est votre gloutonnerie […]. Notre collectif déteste les gros et leur en veut. Nous nous opposons à ce que vous consommiez toute cette nourriture alors que la moitié de la planète meurt de faim. Nous refusons que vous gaspilliez l’argent de la Sécu pour soigner votre goinfrerie égoïste. Et nous refusons que le porc, cet animal magnifique, soit utilisé comme insulte. Vous n’êtes pas un gros porc ou une grosse truie. Vous êtes un être humain gras et répugnant. »

Cette farce féroce avait suscité l’indignation générale, mais le tract résumait parfaitement les principales idées qui légitiment la grossophobie dans l’imaginaire collectif. On associe souvent l’obésité à des traits de personnalité déplaisants (gloutonnerie, faiblesse, manque de maîtrise de soi), à un gaspillage égoïste des ressources (réserves alimentaires, budget du système de santé publique) et à une offensive antisociale contre la santé, le patrimoine génétique et l’avenir du pays. Certains y voient également un attentat esthétique. Les personnes en surpoids provoquent un tel dégoût, laissait entendre le tract, qu’une métaphore animale désobligeante n’est pas suffisante. Leurs corps flasques font d’eux moins que des humains mais aussi moins que des animaux, c’est-à-dire des êtres proches de l’abjection.

Cette aversion collective de la graisse repose sur l’idée que l’obésité est un choix de vie et que maigrir n’est qu’une question de volonté. Cette croyance que la volonté fait tout a bien sûr été battue en brèche par la science. Les psychologues constatent que la suralimentation peut être liée à un traumatisme ou à un deuil, la nourriture servant de dérivatif à des angoisses et des conflits refoulés, tandis que les sociologues ont mis en évidence une corrélation statistique entre obésité et pauvreté. L’épidémiologiste Michael Marmot montre dans « L’écart de ­santé » 2, que la prévalence de l’obésité chez les femmes est de 21,7 % dans les zones les plus prospères du Royaume-Uni et grimpe jusqu’à 35 % dans les plus défavorisées. L’écart est encore plus marqué chez les enfants. À l’âge de 10 ans, la proportion est de 11,5 % dans les zones les plus riches et de 25 % dans les plus pauvres – soit plus du double. Pourquoi ?


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