lundi 28 septembre 2020

« Le système éducatif doit permettre aux jeunes de s’affranchir des représentations sexistes »

L’enseignante en lycée professionnel Catherine Ambeau regrette les remontrances subies par des adolescentes à cause de leurs tenues vestimentaires. Selon elle, cette polémique renvoie à la question de la visibilité du corps des filles à l’école et à la tradition patriarcale du contrôle de l’apparence.

Publié le 28 septembre 2020


Tribune. Début septembre, partout en France et dans un contexte de températures au-dessus des normales saisonnières, les tenues vestimentaires ont eu tendance à s’alléger ou se raccourcir dans les établissements scolaires. Les réseaux sociaux ont répercuté de nombreux témoignages de jeunes filles dévoilant les remontrances subies du fait de leurs jupes jugées trop courtes, de crop tops (hauts laissant voir le nombril) ou de décolletés. Un appel a été lancé aux lycéennes et collégiennes à faire du 14 septembre une journée durant laquelle elles ont revendiqué le droit de s’habiller à leur guise, sans être victimes de remarques ou de harcèlement, et dénoncé le sexisme, car ces remarques ne visent pas les garçons.

Cette polémique n’est pas nouvelle au sein de l’éducation nationale, notamment dans les lycées. Elle renvoie à la question de la visibilité − ou de l’invisibilité − du corps des filles et des femmes à l’école et dans la société. Il existe en effet une tradition patriarcale du contrôle de l’apparence qui conduit certaines d’entre elles à se censurer en matière vestimentaire, et pour longtemps. En lycée professionnel, par exemple, beaucoup de sections sont majoritairement masculines. Les réflexions et les regards y sont parfois douloureux pour les filles, aussi bien pour celles qui cherchent à ne pas se faire remarquer que pour celles qui font le contraire afin de s’affirmer.

Développer la réflexion

A Pessac (Gironde) où j’enseigne, le 14 septembre, j’ai fait cours la porte ouverte, en raison de la chaleur, avec un groupe uniquement composé de garçons. Des jeunes filles aux tenues plus courtes que d’habitude mais non « provocantes » sont passées devant notre salle pour se rendre à un cours dehors. Le sexisme de la réaction de mes élèves m’a surprise : ils se sont mis à les siffler. J’ai fermé la porte et engagé une discussion sur leur attitude et ce qui a pu être ressenti par les lycéennes. Mes élèves sont restés sur l’idée que leur réaction avait été « normale », car celles-ci étaient « jolies ». J’ai néanmoins rouvert la porte, car il ne s’agissait pas de punir mais de faire réfléchir ces jeunes, et je compte bien revenir dans l’année sur ce sujet, avec pédagogie.

Il y a quelques années, j’ai pu mener avec des élèves de terminale un travail sur le thème de l’acceptation des autres. A la fin, une jeune fille, précédemment moquée par ses camarades sur ses tenues et son rapport aux autres, s’est affirmée au point de dynamiser sa classe vers la réussite à l’examen. Je regrette que, depuis la dernière réforme du lycée professionnel, en 2019, les programmes d’enseignement moral et civique et d’histoire-géographie ciblent moins qu’auparavant la déconstruction des stéréotypes : ils provoquaient une prise de conscience des élèves sur des sujets tels que la répartition des charges domestiques ou les projets de carrière dans un couple.

Il reste indispensable que le système éducatif se saisisse réellement de ces thématiques pour affranchir les jeunes, filles et garçons, des représentations sexistes et construire des relations plus égalitaires dans la société. Il est également regrettable qu’il y ait si peu de cours d’éducation à la sexualité et de disciplines qui s’ouvrent à cette question et pourraient désactiver bien des stéréotypes. Mais pour ce faire, la formation initiale des enseignants devrait être plus développée sur l’égalité filles-garçons ; seule une politique volontariste dans ce domaine, dont les personnels sont demandeurs, permettra de mieux accompagner les jeunes en vue de leur émancipation.

Valeurs républicaines

Les règlements intérieurs des établissements scolaires sont aussi en cause : ils mentionnent généralement l’obligation du port d’« une tenue correcte », « décente » ou « adéquate ». Ce sont des normes souvent mal définies, subies et incomprises par les jeunes. « Décente » vis-à-vis de la morale dominante et patriarcale ? « Correcte » en fonction d’une norme, alors que la mixité sociale à l’école est en recul et que les problèmes économiques, aggravés par le Covid-19, rendent encore plus difficile, pour certains élèves, d’afficher une apparence vestimentaire leur convenant ? Le terme « adéquate », en revanche, semble plus approprié à ce lieu social qu’est l’école et aux activités que l’on y effectue, notamment en éducation physique et sportive ou en atelier dans les lycées professionnels.

« Dans les faits, il arrive rarement que des tenues qui, disons, “ne conviennent pas” soient constatées »

Le ministre de l’éducation nationale a cru devoir répondre à cette polémique en indiquant qu’il suffisait « de s’habiller normalement ». Interrogé le 21 septembre sur RTL, il a affirmé que « chacun peut comprendre qu’on vient à l’école habillé d’une façon républicaine ». On se représente bien la tenue des agents de la garde républicaine, qui assurent des missions de sécurité publique et de représentation protocolaire, mais la tenue « républicaine » de nos élèves ? Il me semble que les valeurs républicaines ne se décrètent pas, mais se transmettent grâce à l’esprit critique.

Dans l’espace scolaire persiste un flou qui ne permet pas d’expliciter une quelconque norme d’habillement et laisse donc le champ libre à toutes les interprétations. Dans les faits, il arrive rarement que des tenues qui, disons, « ne conviennent pas », soient constatées ; les jeunes concernés sont alors convoqués avec leur famille par les chefs d’établissement pour des échanges qui, généralement, permettent d’apaiser la situation.

Il faudrait cependant que les élèves puissent débattre avec le corps enseignant, notamment par le biais de leurs instances consultatives, des conseils de la vie collégienne et de la vie lycéenne, afin d’établir des propositions pour affiner les règlements intérieurs. De même, le fonctionnement des comités d’éducation à la santé et à la citoyenneté, créés dans tous les collèges et lycées par un décret de 2005, devrait cesser d’être aléatoire. L’école doit aider nos jeunes à se débarrasser d’un sexisme ordinaire encore bien trop présent et qu’il convient de combattre collectivement.

Catherine Ambeau est professeure de lettres et d’histoire-géographie en lycée professionnel et militante syndicale UNSA.

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