vendredi 12 juin 2020

Coronavirus : au cœur de la bataille immunitaire contre le virus

Par  et    Publié le 12 juin 2020




DÉCRYPTAGES« Le Monde » a reconstitué la façon dont ce virus, le SARS-CoV-2, prend principalement place dans l’organisme, et pourquoi il est redoutable chez certains patients.
Totalement inconnu il y a six mois, le virus SARS-CoV-2 s’est répandu sur cinq continents et dans quasiment tous les pays du monde, provoquant une pandémie d’autant plus difficile à contrôler que les scientifiques ne savaient quasiment rien de ce nouveau virus d’origine animale.
Septième coronavirus connu à pouvoir infecter les humains, le SARS-CoV-2 est le virus responsable du Covid-19, une maladie respiratoire bénigne dans au moins 80 % des cas, mais hautement symptomatique chez 15 % des patients et très grave chez 5 % des sujets.
Six mois après son émergence, le Covid-19 est désormais relativement bien décrit par de nombreux travaux scientifiques, mais n’a eu de cesse de surprendre les chercheurs par la variété des symptômes et des troubles engendrés dans le corps humain.
Voici comment l’infection prend principalement place dans l’organisme, et pourquoi ce virus, le SARS-CoV-2, est redoutable chez certains patients.
ÉTAPE 1
Une gouttelette expulsée par une personne infectée et contenant des milliers de virions de SARS-CoV-2 entre par la bouche, le nez ou les yeux, les trois portes d’entrées de l’organisme.
Les gouttelettes contenant des centaines, voire des milliers de virions de Sars-CoV-2, pénètrent dans l'organisme via la bouche, le nez ou les yeux.
ÉTAPE 2
Le virus se rend rapidement au contact des muqueuses, notamment celles des fosses nasales où il s’y répliquera le mieux. Lors du contact, la protéine S (spicule) du virus réagit avec l’enzyme ACE 2, un récepteur présent à la surface de certaines cellules humaines qui permet au virus de s’y fixer solidement et de pénétrer la cellule en moins de quinze minutes.
Sa membrane va alors fusionner avec la membrane de la cellule, libérant dans celle-ci le contenu du virus : quelques protéines mais surtout son génome, présent sous la forme d’ARN.
Le virion entre en contact avec les cellules des muqueuses respiratoires, s'accroche via un récepteur appelé ACE 2 et pénètre dans la cellule en une quinzaine de minutes.
ÉTAPE 3
Le virus, incapable de se reproduire seul, va pour cela détourner la machinerie chimique de la cellule. Son génome, un brin d’ARN, est répliqué dans la cellule puis est transporté dans les ribosomes, les usines à protéine de la cellule.
L'ARN est lu par les ribosomes, qui fabriquent une protéine
Ces ribosomes « lisent » l’ARN viral (comme une notice de montage) puis fabriquent les protéines du virus qui y sont encodées.
Celles-ci serviront principalement à fabriquer le « bouclier » de l’ARN (les capsides) puis à former la membrane du virus. Tous ces composants s’assemblent alors pour former de nouveaux virions, qui sont ensuite expulsés de la cellule hôte : le virus s’est répliqué.
L'ARN du virus se réplique, puis va dans les ribosomes pour qu'ils fabriquent les protéines dont elle est porteuse du code. Une fois ces protéines fabriquées, de nouveaux virions s'assemblent et quittent la cellule infectée.
Le nombre de virions qu’une seule cellule infectée peut fabriquer et libérer diffère selon les virus (de quelques dizaines à plusieurs dizaines de milliers). Ce chiffre est en moyenne de 6 000 pour le virus de la grippe A, mais demeure encore inconnu pour le SARS-CoV-2.
ÉTAPE 4
Le système immunitaire, qui a détecté la présence du microbe, réagit à l’infection avec son arme antivirale principale : les interférons de type I, des messagers chimiques qui permettent aux cellules qui les recoivent d’activer leurs défenses afin qu’elles acquièrent une résistance au virus pour en bloquer la réplication.
Les interférons sont la première défense antivirale de l'organisme et permettent d'activer les défenses des cellules attaquées pour combattre l'infection.
ÉTAPE 5
En complément, le système immunitaire dépêche « sur place » les premières défenses de l’organisme : les macrophages, les cellules tueuses naturelles (NK), les neutrophiles et les cellules dendritiques.
Les premières cellules immunitaires sont dépêchées sur place pour combattre le virus et détruire les cellules infectées
ÉTAPE 6
Les cellules dendritiques sont les premières à réagir et jouent un rôle central : elles digèrent les virions et migrent dans les ganglions lymphatiques où elles présentent la « carte d’identité » de l’agresseur au système immunitaire pour mieux le cibler par la suite.
Pendant ce temps, les macrophages, cellules NK et neutrophiles combattent l’infection en ingérant à la fois les virus et les cellules infectées.
Les cellules dendritiques jouent un rôle important, elles capturent le virus et en rapportent la carte d'identité au système immunitaire, qui pourra mieux le cibler par la suite.
ÉTAPE 7
Chez la plupart des sujets infectés, la réaction immunitaire dite « adaptative » de l’organisme va se manifester rapidement (entre cinq et sept jours).
Informés dans les premières heures par les cellules dendritiques de l’identité du virus, les lymphocytes B vont fabriquer et libérer de nouvelles défenses plus performantes : les anticorps
Grâce à ces cellules dendritiques, les lymphocytes B vont produire des anticorps capables de cibler spécialement le virus.
ÉTAPE 8
Ces anticorps sont conçus pour se fixer spécifiquement et uniquement à des parties précises du virus afin de l’entourer et de le neutraliser. Immobilisé, le virus ne peut plus pénétrer dans les cellules, et va se faire digérer par les macrophages.
Les anticorps se fixent à une partie du virus et l'empêchent de pénétrer de nouvelles cellules. Les macrophages n'ont plus qu'à passer par là et ingérer le tout pour détruire le virus.
Les cellules infectées sont, quant à elles, les cibles des lymphocytes T8 cytotoxiques. Ces lymphocytes « tueurs » vont libérer des protéines pour « perforer » la cellule et la détruire. Les virions contenus dans la cellule sont libérés puis « mangés » par les macrophages, qui les attendaient au tournant.
Image colorisée d'une cellule en train de mourir (gris) car lourdement infectée par de nombreuses particules virales de Sars-CoV-2 (jaune)
Image colorisée d'une cellule en train de mourir (gris) car lourdement infectée par de nombreuses particules virales de Sars-CoV-2 (jaune). NIAID
ÉTAPE 9
A ce stade, la réaction du système immunitaire adaptatif fait reculer l’infection chez environ 85 % des personnes infectées, qui resteront peu ou pas du tout symptomatiques.
85% des sujets infectés restent peu ou pas symptômatiques
Mais l’infection va s’aggraver chez près de 15 % des patients : l’incapacité de leur système immunitaire à contrôler l’infection va conduire à une inflammation violente, qui se retourne contre l’organisme.
En revanche, 15% des patients vont voir leur état se dégrader pour atteindre des formes très symptômatiques, voire sévères de la maladie.
ÉTAPE 10
Dans ces cas graves, l’infection au SARS-CoV-2 est parfois associée à l’inhibition des interférons de type I. Le virus leurre le système immunitaire et réduit ou bloque la production de ces protéines cruciales.
Privé de son arme antivirale numéro un, l’organisme ne peut empêcher l’invasion incontrôlée du virus.
L'organisme est alors incapable de maîtriser la réplication du virus, le virus continue d'infecter les poumons, les vaisseaux sanguins, voire d'autres organes.
ÉTAPE 11
Au bout de sept à dix jours, l’organisme commence à produire les tout premiers anticorps et lymphocytes « tueurs ». Mais le virus s’est répliqué si massivement dans les poumons et les vaisseaux sanguins que l’arrivée de ces défenses va faire l’effet d’une étincelle sur un baril de poudre. Car les lymphocytes et anticorps vont émettre des cytokines pour solliciter le renfort des macrophages, qui vont eux-mêmes produire massivement de nouvelles cytokines.
La réaction s’emballe alors complètement dans les cellules pulmonaires infectées par le virus (les pneumocytes), ce qui va noyer les alvéoles pulmonaires. C'est le fameux « orage cytokinique ».
ÉTAPE 12
Ces alvéoles sont les « sacs » jusqu’où l’air que l’on respire est transporté pour être transmis dans le sang et transporté dans tous nos tissus. Attaquées par le virus et les cytokines, ces alvéoles sont noyées, bloquant les échanges gazeux avec le sang. Leur paroi s’épaissit sous l’effet de l’inflammation. Les difficultés respiratoires deviennent alors critiques.
Les alvéoles pulmonaires, qui permettent d'ordinaire les échanges d'oxygène avec le sang, sont attaquées par le virus et la réaction du système immunitaire. Noyées, inflammées, elles ne jouent plus leur rôle, l'oxygène circule moins.
ÉTAPE 13
A ce stade critique, les patients sont généralement déjà admis en réanimation, mis sous oxygénothérapie (une intubation invasive ou une ventilation plus légère, selon leur état), placés sur le ventre pour faciliter la respiration et parfois mis dans un coma artificiel.
ÉTAPE 14
Pendant ce temps, le virus a utilisé son autre arme, celle qui le rend redoutable : sa capacité à infecter les vaisseaux sanguins, notamment leur paroi (dont les cellules sont dotées du récepteur ACE 2). En les attaquant et en les détruisant, le virus va favoriser la coagulation du sang.
Cercle vicieux : le phénomène est renforcé par le fait que le virus fait disparaître le récepteur ACE 2 de la surface des cellules infectées, une enzyme qui, justement… participe au contrôle de la coagulation.
La coagulation du sang favorise l'apparition de caillots, qui peuvent boucher les veines et artères, augmentant le risque d'un arrêt cardiaque.
ÉTAPE 15
Ainsi, même avec une ventilation mécanique, l’oxygène atteint de moins en moins le sang. Ce qui accélère encore la coagulation de celui-ci, et la formation de caillots sanguins très dangereux, spécialement dans les poumons (mais aussi dans d’autres organes, comme le cœur, les intestins ou le cerveau).
Les vaisseaux pulmonaires se bouchent les uns après les autres, le sang s’épaissit, il circule de moins en moins.
Les vaisseaux sanguins du poumon se bouchent les uns après les autres.
ÉTAPE 16
Les chances de guérison reposent désormais essentiellement sur la capacité des réanimateurs à contrôler à la fois la réaction immunitaire afin de diminuer les difficultés respiratoires et la coagulation du sang pour éviter les caillots.
Des médicaments immunorégulateurs, comme le tocilizumab, sont par exemple utilisés afin de bloquer l’expression des cytokines les plus invasives (dont l’interleukine 6, ou IL-6), et ainsi d’accroître les chances de survie.
Des médecins travaillant sur des échantillons de sang au service de réanimation de l'hôpital Franco-Britannique de Levallois-Perret, le 9 avril 2020
Des médecins travaillant sur des échantillons de sang au service de réanimation de l'hôpital Franco-Britannique de Levallois-Perret, le 9 avril 2020. Lucas Barioulet / AFP
ÉTAPE 17
C’est seulement dans cette seconde phase de la maladie chez les cas sévères qu’apparaissent massivement les anticorps neutralisants que l’organisme a spécialement fabriqués contre le SARS-CoV-2. Ceux-ci permettent souvent de l’éliminer en grande partie de l’organisme. Mais le mal est fait, et à ce stade, les dégâts provoqués par la réaction inflammatoire du système immunitaire menacent plus le malade que le virus.
ÉTAPE 18
Ainsi, même quand le système immunitaire parvient à réduire la charge virale dans l’organisme, à ce stade, la réaction inflammatoire incontrôlée du corps est si violente qu’elle est responsable de la majorité des lésions observées et peut provoquer la mort des sujets.
ÉTAPE 19
En modérant fortement la réaction inflammatoire tout en maintenant la ventilation mécanique, les médecins réanimateurs parviennent ainsi à sauver six à sept patients sur dix.
ÉTAPE 20
Malheureusement, le décès survient ainsi environ trois à quatre fois sur dix en réanimation (selon une estimation de fin avril). La plupart des morts sont causées par une insuffisance respiratoire liée à l’atteinte pulmonaire.
Les troubles de la coagulation sont une autre cause majeure de décès. La plupart des patients qui en sont atteints meurent de coagulopathie disséminée (de nombreux vaisseaux se bouchent), mais aussi d’embolie pulmonaire : un caillot se forme dans l’artère pulmonaire, reliant le cœur aux poumons, et provoque un arrêt cardio-respiratoire (ACR).
Enfin, la coagulation du sang peut entraîner un manque d’oxygénation des organes, et provoquer des accidents vasculaires cérébraux mortels.
ÉTAPE 21
Pour ceux qui sortent de réanimation, la convalescence peut être longue et l’affaiblissement de certaines fonctions est parfois durable. Les complications locomotrices ou neurologiques sont très fréquentes. Le système cardiovasculaire et les poumons sont si atteints après le choc inflammatoire que le risque de développer des pathologies liées, comme la fibrose pulmonaire ou l’atteinte cardiaque, est nettement plus important.
Une partie des patients sortis de réanimation peuvent mourir de ces complications pendant leur convalescence, même plusieurs mois après leur infection.
ÉTAPE 22
Bien qu’elle se soit nettement améliorée au fur et à mesure de l’épidémie, notamment dans les services de réanimation où les médecins ont appris à mieux gérer la phase hyperinflammatoire, la prise en charge des patients atteints de Covid-19 est toujours compliquée, faute de traitements antiviraux efficaces.
Car si les progrès sur la production d’un vaccin sont encourageants et fondent l’espoir de se prémunir contre cette maladie d’ici douze à dix-huit mois, la recherche de médicaments antiviraux efficaces n’a pas encore abouti à des pistes satisfaisantes.
Ce qui ne surprend pas les scientifiques, qui rappellent qu’il existe de nombreux virus pour lesquels il n’existe pas de traitement médicamenteux efficace, même pour des virus aussi communs que la grippe ou la rougeole.
Design : Agathe Dahyot
Iconographie : Agathe Dahyot, A. Rad, Mikael Häggström, Spacebirdy, RexxS, domdomegg, Cancer Research UK, Database Center for Life Science, XcepticZP
Crédits photos : NIAID, AFP
Remerciements : Jean Sibilia, doyen de la faculté de médecine de Strasbourg, Sophie Trouillet-Assant et Alexandre Belot, chercheurs au centre international de recherche en infectiologie (Hospices civils de Lyon) et Frédéric Altare, chercheur au centre de recherche en cancérologie et immunologie (Nantes-Angers).

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