mardi 5 mai 2020

"Tout est exacerbé" : comment les psys et leurs patients surmontent la crise sanitaire

LCI

Antoine Rondel  4 mai 2020

DISTANCIATION - Comment poursuivre les consultations en psychothérapie en cette période de confinement ? Malgré l'isolement et l'obligation de passer par le téléphone, des patients et des professionnels de la santé mentale ont su retrouver le fil de leurs séances. Et parfois réussi à y trouver leur compte. Enquête.


Soigner les corps sans oublier les âmes. En temps de crise sanitaire, on a vite fait d'oublier qu'au-delà de ses besoins primaires, l'être humain est aussi un animal social. Pourtant, "au-delà de la vie du corps, réduit à son fonctionnement biologique, il y a une vie faite de paroles, de rencontres, d'échanges",  éclaire Luca Torrani. Raison pour laquelle ce psychologue, qui intervient en Espace solidarité et d'insertion, une structure qui accompagne des femmes en situation de grande précarité, enceintes ou mères d'enfants mineurs, continue d'assurer ses consultations en psychothérapie auprès de ses patientes. "Dans un temps de crise, tous envahis par l'angoisse de la maladie, de la mort, nous risquons de vouloir réduire le monde à des catégories de 'purs' ou d''impurs'", selon qu'on soit contaminé par le Covid-19 ou non. Une gageure pour les patients comme leur thérapeute, qui ont dû s'adapter pour préserver le maintien de ces séances.

La thérapie sans face-à-face, une frustration à dépasser


C'est que le traitement de la santé mentale n'est plus un sujet mineur, notamment en ces temps de pandémie. L'Inserm a ainsi lancé un questionnaire en ligne évaluant le bien-être des personnes dès la première semaine du confinement. A l'heure du confinement et de la distanciation sociale, quel rôle pourraient alors remplir la psychothérapie ou la psychanalyse ? Un rendez-vous au téléphone ou par visio-conférence aurait-il le même impact chez les patients que les traditionnels entretiens en présentiel, sur le divan ou le fauteuil du cabinet ? 
Après une courte période d'expectative, Pierre a rapidement compris que la poursuite du travail serait pourtant indispensable. "Après les annonces de Macron, le 16 mars, j'ai été pris de crises de panique et j'ai pris rendez-vous pour le lendemain", nous raconte ce trentenaire. Marie a attendu un peu plus longtemps. "Spontanément, j'ai dit à ma thérapeute que ça allait, que je préférais laisser ma place à ceux qui en avaient besoin". Mais cette quadragénaire toulousaine, à la vie sociale particulièrement remplie, a été rattrapée par la dureté du confinement : "Je partais en live. [...] Au lieu de sortir, je me suis mise à beaucoup penser, et ce n'était pas bon pour moi". Illana aussi pensait qu'elle pouvait s'en passer. La nature de sa thérapie, une conversation où elle a "la parole les deux tiers du temps", rendait "capitale" la présence de sa thérapeute. Mais la difficulté à être en permanence avec son fils et son mari l'ont amenée à reprendre le fil, "un peu frustrée", mais pouvant compter sur la "relation assez construite" qu'elle a avec sa psy, qu'elle fréquente depuis deux ans. 

"Le travail psychologique ne s'arrête pas"


La frustration, c'est aussi ce que ressent Hélène Romano, psychologue spécialiste des blessés psychiques, face à la visio-conférence. Une séance en face-à-face, dit-elle, "permet de s'adapter à l'intensité du regard, de réagir à une gestuelle". Une difficulté qui se fait d'autant plus ressentir avec ses patients les plus jeunes, des enfants de parfois 4 ou 5 ans : "Avec eux, c'est quasiment impossible : ils sont dans l'interaction, ils jouent, c'est difficile de capter leur ressenti de cette façon". "La visio-conférence dans le travail psychologique est un apprentissage. Si nous, thérapeutes, nous ne sommes pas à l'aise avec cet outil, les patients vont le ressentir. 
"Au début, certains de mes patients étaient gênés, mais ils ont vite trouvé leurs marques", résume la psychothérapeute Meriem Salmi qui, pour recevoir des sportifs disséminés aux quatre coins du monde, pratique la visio-conférence depuis des années. "Pour moi ce travail suit une logique mathématique. Lorsqu'un problème m’est posé, nous cherchons ensemble des solutions, des stratégies. Les problèmes posés sont souvent complexes. Il nous faut donc accepter que cela soit parfois long et difficile". Luca Torrani, lui, a préféré suspendre les séances dans son cabinet. "Sans face-à-face, ça manque d'intérêt. Mais mes patients vont continuer à faire des lapsus, à rêver. Le travail psychologique ne s'arrête pas."

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire