mardi 5 mai 2020

« On voit revenir les tableaux Excel » : à l'hôpital, des médecins inquiets du retour des « vieilles habitudes »


PAR 
MARTIN DUMAS PRIMBAULT - 

PUBLIÉ LE 05/05/2020

Crédit photo : CIH
Alors que l'épidémie de coronavirus entame une lente décrue et que la France se prépare au déconfinement, pour les personnels hospitaliers l'heure est au bilan. À l'occasion d'une visioconférence de presse ce mardi 5 mai, le collectif inter-hôpitaux (CIH) a commencé à tirer les leçons de la crise.
En offrant des moyens considérables aux soignants tout en recentrant la gouvernance autour d'eux, l'organisation hospitalière née de l'urgence d'agir face au virus pourrait avoir donné raison au collectif, mobilisé depuis plusieurs mois avant l'irruption du Covid-19. « On est passé de l'activité au soin », résume avec satisfaction le Dr Olivier Milleron, cardiologue à l'hôpital Bichat (AP-HP).
« Nous avons connu le meilleur comme le pire », témoigne le Dr Hélène Gros, infectiologue à l'hôpital Robert Ballanger (AP-HP). Passée une période « d'impuissance » pendant laquelle les journées des soignants étaient rythmées par « les doctrines de l'agence régionale de santé » qui balayaient « toute tentative d'organisation interne », son établissement a pu faire face au virus grâce à la mobilisation des personnels. « Jamais je n'avais vu une telle solidarité du corps soignant », raconte la praticienne. À tous les étages, « les bonnes volontés redoublaient d'ingéniosité et de dévouement » pour soutenir les services les plus en tension et gérer au mieux « l'afflux massif et brutal » de patients.
Mais ce qui a le plus étonné le Dr Hélène Gros, c'est le changement de ton des rapports entre les médecins et leur direction. « Jamais je n'ai entendu le mot impossible lors de nos réunions, toutes nos propositions étaient prises en considération », se souvient-elle. Le renforcement des équipes paramédicales, la présence de cadres partout où il en manquait, le financement de lignes de gardes supplémentaires et même l'achat de tablettes numériques pour les patients isolés… « Nous obtenions tout ce que nous demandions ». Lors des réunions avec la direction, « nous parlions des malades et jamais il n'était question de finances, d'activité ou de codage », rapporte encore la praticienne.
Miracle ou mirage ?
Ce sens retrouvé au travail, le Pr Agnès Hartemann, chef du service de diabétologie de la Pitié-Salpêtrière (AP-HP), en témoigne aussi. « Nous avons eu le sentiment d'être libérés, comme si on nous avait ouvert une porte de prison », illustre la PU-PH. Mais depuis quelques jours, « on vit une douche froide »« On voit revenir les tableaux Excel de la direction, on recommence à compter les lits et on nous dit qu'on est en négatif sur les mois de mars et avril, c'est incroyable ! », s'agace la diabétologue.
S'agissait-il d'un « miracle ou simplement d'un mirage ? », s'interroge le Dr Hélène Gros. Dès la fin du mois d'avril, l'infectiologue a vu « ressurgir les vieilles habitudes » à mesure que fermaient les unités dédiées au Covid-19. Quand la psychologue de son service, mobilisée auprès des patients contaminés dès le début de l'épidémie, ne s'est vue renouveler son CDD que d'un mois, elle a aussitôt alerté la direction, sans réponse. Elle se pose aujourd'hui cette question : « n'aurons-nous donc rien appris de cette crise ou bien serons-nous capables au contraire de nous en inspirer pour réformer nos hôpitaux en profondeur et nous recentrer sur l'essentiel de notre métier : le juste soin pour tous ? »
Populisme médical
Au cœur de la crise, Emmanuel Macron a pourtant eu des mots forts en direction du personnel hospitalier. En visite à Mulhouse le 25 mars, le président de la République a promis « un plan massif d'investissement et de revalorisation de l'ensemble des carrières » dès l'épidémie passée. Pas de quoi rassurer le CIH qui attend toujours le rendez-vous promis par le chef de l'exécutif au Dr François Salachas lors d'une visite à la Pitié-Salpêtrière fin février. Deux mois plus tard, la confiance n'est toujours pas rétablie, estime le neurologue qui met en garde contre le « message d'ignorance » voire de « mépris » que pourrait avoir le silence du chef de l'État et demande un rendez-vous en urgence à l'Élysée.
Les mesures déjà annoncées ? Du « populisme médical », balaye le Pr Jean-Luc Jouve, chef d'un service d'orthopédie pédiatrique à l'Assistance publique-Hôpitaux de Marseille (AP-HM). Les primes à destination des soignants mobilisés ? Une réponse « individuelle très éloignée du terrain », écarte encore le PU-PH marseillais qui juge l'action du gouvernement « inacceptable et inadaptée ».
En attendant une deuxième vague épidémique à laquelle les personnels hospitaliers ignorent encore s'ils pourront répondre efficacement, le CIH va adresser une lettre au président de la République. « L'heure n'est plus aux tergiversations, il ne pourra pas surfer sur la vague d'empathie à l'égard des soignants », prévient le Pr Jean-Luc Jouve.

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