lundi 25 mai 2020

Savoir annoncer une maladie grave est un enjeu permanent dans la formation des médecins

 Isabelle Moley-Massol, onco-psychologue à l'hôpital Cochin
"Tout est utile à partir du moment où une parole pleine, structurante, circule"


Isabelle Moley-Massol

Isabelle Moley-Massol est médecin psychanalyste, onco-psychologue en libéral et à l'hôpital Cochin à Paris. Autrice de "L'annonce de la maladie. Une parole qui engage", elle revient sur l'importance d'être formé à l'annonce d'une mauvaise nouvelle.

Hospimedia : "Jusqu'à aujourd'hui, comment a évolué la réflexion sur la préparation à l'annonce d'un cancer ?


Isabelle Moley-Massol : Pendant des siècles on a privilégié une passivité du malade. Les médecins, détenteurs d'un savoir, décidaient pour le malade tenu dans une certaine ignorance de son affection. Ce sont les malades atteints d'un cancer qui ont notablement fait bouger les comportements lors des premiers états généraux des malades atteints d'un cancer. Depuis un certain nombre d'années et plus précisément depuis le premier plan Cancer, l'importance du moment de l'annonce de la maladie a été mise en avant avec certaines recommandations sur le déroulé, l'organisation de consultations dédiées à l'annonce et des dispositifs d'annonce à l'hôpital notamment. Médecins et soignants ont depuis toujours compris que ce moment de bascule est un temps très sensible pour le malade. Aujourd'hui, le travail de sensibilisation à l'annonce s'est étendu à bien d’autres spécialités que l'oncologie mais de façon très inégale. L'objectif n'a jamais été de donner clé en main une méthodologie d'annonce standardisée, ce qui serait à l'opposé même des recommandations : s'adapter à chaque patient, révéler pas à pas, expliquer, nommer la maladie, donner une parole authentique et préserver un espoir réaliste.

H. : Où en est aujourd'hui la formation des professionnels de santé ?

I M.-M. : La formation des médecins est très disparate dans ce domaine. Elle dépend des programmes des facultés de médecine. Celle de Montpellier (Hérault) par exemple a été une des premières à mettre en place, avec l'aide de comédiens professionnels, des jeux de rôles pour préparer les étudiants aux annonces difficiles et à leurs conséquences. Dès les études médicales, une sensibilisation précoce aux annonces est indispensable. À côté des universités, le travail sur l'annonce peut passer par la formation continue, le développement professionnel continu (DPC), etc. Dans ce cas, la formation est à l'initiative de chacun. Tous les médecins mais aussi tous les soignants devraient recevoir un enseignement sur les annonces incluant une part importante de simulations, sous forme de jeux de rôle notamment et de groupes de paroles à partir de cas cliniques, et s'autoriser un recours individuel à des psychologues, en situation de souffrance. Tout est utile à partir du moment où une parole pleine, structurante, circule.

Chaque situation qui confronte le malade à une attente sur ce qu'il en est de sa maladie, son avenir, sa vie, sont des situations d'annonces qui doivent être prises et penser comme telles par les équipes médicales.

H. : Le dispositif d'annonce est développé depuis 2006 dans le cadre du plan Cancer. Quelle place prend aujourd'hui ce sujet dans la formation et la réflexion des médecins ?


I. M-M. : La sensibilisation fait son œuvre mais il y a beaucoup de chemin à parcourir encore. L'annonce diagnostique n'est pas la seule qui compte, il y a aussi l'annonce d'une récidive, des soins palliatifs, de la fin de vie mais aussi de chacun des traitements qui peut bouleverser le malade autant que la maladie elle-même. Ce n'est jamais rien de devoir se faire retirer un sein, un bout de colon, de subir une chimiothérapie, avec toutes ses conséquences. Chaque situation qui confronte le malade à une attente sur ce qu'il en est de sa maladie, son avenir, sa vie, sont des situations d'annonces qui doivent être prises et pensées comme telles par les équipes médicales. Le cancer a été un modèle pour faire évoluer l'approche de l'annonce de la maladie mais toutes les spécialités sont concernées. L'annonce d'un handicap, d'une maladie chronique, neurologique, cardiaque, digestive, génétique ou autres ont toujours un retentissement psychique et émotionnel à prendre en considération, avec des spécificités liées à chaque spécialité et aux représentations qu'elles font naître chez les malades et les proches. En médecine, il n'existe pas d'annonce anodine.

H. : L'annonce du diagnostic selon la Ligue contre le cancer est le pire moment du parcours de soins (lire notre article). Est-ce également le cas pour le soignant ?


I. M.-M. : Les maladies et handicaps susceptibles de mettre en jeu le pronostic vital ou qui bouleversent la projection du malade dans son avenir sont toujours les plus difficiles à annoncer. Ce qui amène à considérer aussi la souffrance des soignants annonceurs de la mauvaise nouvelle. Cela ne va jamais de soi de dire le difficile à dire. Il est plus aisé pour un médecin d'annoncer une maladie bien connue, pour laquelle existe un traitement et un protocole bien établi, c'est évident. Mais les vécus et les craintes des médecins ne coïncident pas toujours avec ceux des malades Il est donc important en tant que soignant de ne pas projeter ses propres croyances sur le malade et rester le plus à l'écoute possible de ce qu'il apporte en consultation, c'est-à-dire ses mots, ses silences, ses émotions, attitudes, gestes, mimiques, postures, son langage verbal et non verbal. Les soignants peuvent aider les malades à communiquer avec leur entourage, à trouver la distance adéquate, même si cette parole appartient en propre aux malades.

H. : Quelles sont les principales difficultés que rencontrent les médecins dans cette situation ?


I. M.-M. : Les médecins sont particulièrement sensibles aux annonces qui les confrontent à un sentiment d'impuissance ou d'échec, comme lors d'une récidive, d'un échappement thérapeutique, face aussi à des cancers d'emblée métastatiques, à des enfants ou des adultes jeunes. La relation avec des patients agressifs, mutiques, aux antécédents psychiatriques, avec des malades qui dénient leur maladie, avec des proches ou familles très envahissantes sont aussi particulièrement problématiques. Les médecins confrontés plusieurs fois par jour à des annonces difficiles ou à des fins de vie sont plus à risque de burn out. Ils devraient apprendre à mieux se faire aider quand cela est nécessaire mais on a parfois le sentiment qu'ils s'interdisent ce recours. C'est une erreur qui conduit au syndrome d'épuisement professionnel des soignants que l'on constate de plus en plus à l'hôpital où la charge est lourde, le soignant débordé, avec souvent un fort sentiment d'impuissance, des frustrations, une perte de sens et de valeurs et un climat qui n'est pas toujours solidaire.

Aucun médecin n'est tout puissant face aux annonces, là comme ailleurs et un excellent médecin, doué d'une grande empathie peut très bien "rater" une annonce du point de vue du patient.

H. : Quels éléments doivent être pris en compte par le soignant lors de l'annonce d'un diagnostic grave ?


I. M.-M. : Annoncer est toujours une double violence pour celui qui parle et celui qui reçoit. Elle est aussi une rencontre aux effets qui peuvent être ravageants ou tout au contraire structurants, puisque ce lien de confiance est le socle de la relation de soins. Pour qu'une relation de bienfaisance s'instaure, le malade doit avoir le sentiment d'être écouté, respecté et que l'équipe qu'il reconnaît compétente lui présente un projet thérapeutique qu'il peut accepter. Tout ce qui contribue au sentiment de considération du malade en tant que sujet à part entière est à prendre en compte : savoir accueillir le malade, laisser des temps de silence, autoriser l'expression des émotions, sans les rendre non plus obligatoires, reformuler, inviter à poser des questions. La posture du médecin, les mots choisis, son langage non verbal, ont aussi leur importance, ainsi que le lieu choisi qui respecte une confidentialité. On évitera les veilles de week-end, le soir, surtout pour les malades qui vivent seuls, etc. Ceci constitue un environnement idéal, pas toujours réalisable à l'hôpital, où le temps est compté, mais il suffit parfois de peu de chose et de beaucoup d'empathie. Cependant, aucun médecin n'est tout puissant face aux annonces, là comme ailleurs, et un excellent médecin, doué d'une grande empathie peut très bien "rater" une annonce du point de vue du patient. Le moment est si complexe. C'est bien pour cela qu'il convient de s'y appliquer."

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