samedi 23 mai 2020

Les audiences en psychiatrie vont-elles rapidement se tenir de nouveau à l'hôpital ?

Publié le 22/05/20


Supprimé légalement en 2013, le recours aux visio-audiences pour contrôler les soins sans consentement est à ce jour autorisé dans le cadre de l'état d'urgence. Des acteurs de la psychiatrie appellent au retour sans délai des audiences à l'hôpital.
État d'urgence sanitaire oblige, un grand nombre de dispositions légales dérogatoires ont fait leur apparition et la psychiatrie n'y a pas échappé. La situation sanitaire liée à la circulation du coronavirus, en particulier la période de confinement, a ainsi nécessairement entraîné une nouvelle organisation des audiences tenues par les juges des libertés et de la détention (JLD) chargés de contrôler la régularité des mesures de soins sans consentement. La possibilité de recourir à la visioconférence pour la tenue de ces audiences, qui avait été supprimée par la loi du 27 septembre 2013, a ainsi été à nouveau autorisée. Depuis la levée du confinement le 11 mai, plusieurs acteurs de la psychiatrie publique réclament d'ores et déjà la fin de ces visio-audiences au nom du strict respect des droits du patient. Que permet à ce jour le droit en vigueur ?

Des pratiques jadis "combattues"

La mise en garde émane conjointement de la Conférence nationale des présidents de commissions médicales d’établissement (CME) de CH spécialisés, de la Fédération nationale des associations d’usagers en psychiatrie (Fnapsy) et de l’Union nationale de familles et amis de personnes malades et/ou handicapés psychiques (Unafam). Dans un communiqué le 13 mai, ces représentants de psychiatres et usagers rappellent que la crise liée au Covid-19 a conduit les établissements spécialisés en psychiatrie à opérer "une profonde réorganisation de leurs activités de soins" ambulatoires et hospitaliers. Ils soulignent cependant que "la période de déconfinement qui s'amorce doit continuer à assurer une particulière vigilance quant au strict respect des droits et des libertés des patients".

C’est pourquoi les cosignataires demandent à ce que les audiences foraines des JLD soient reprises dans les espaces dédiés au sein de l'ensemble des établissements de santé autorisés en psychiatrie "dès lors qu'ils y ont installé les mesures de protection sanitaires" contre le Covid-19. Les associations et la conférence "s'opposent fermement" à ce que les audiences aient lieu par vidéoconférence ou par déplacement au tribunal. Ils indiquent qu'ils n’accepteront pas que "sous couvert d’aménagements exceptionnels ponctuels liés à la crise épidémique soient entérinées des pratiques que tous avaient combattues" avant que la visioconférence ne soit supprimée par la loi en 2013 (lire notre article).

Des visio-audiences possibles jusqu'en août

Si l'on regarde dans le détail des textes, la période ouvrant la possibilité de recourir à ces visio-audiences dépasse la durée de l'état d'urgence sanitaire et ce droit court de manière dérogatoire jusqu'à début août. En effet, une ordonnance datée du 25 mars a prévu des dispositions applicables aux juridictions de l'ordre judiciaire statuant en matière non pénale pendant la période comprise entre le 12 mars 2020 et "l'expiration d'un délai d'un mois à compter de la date de cessation de l'état d'urgence sanitaire", dans les conditions de l'article 4 de la loi du 23 mars 2020. Cette loi prévoyait initialement un état d'urgence jusqu'au 24 mai. Le Gouvernement a depuis fait voter une nouvelle loi datée du 11 mai 2020 prolongeant ce délai jusqu'au 10 juillet inclus. Ce qui permet en conséquent la tenue des audiences en visioconférence jusqu'au 10 août.

Les audiences auprès d’un JLD civil, donc celles relatives au contrôle des hospitalisation sous contrainte, font parties de celles qui ont été maintenues depuis le début du confinement (et font actuellement partie des priorités juridictionnelles dans le cadre de la reprise de l'activité judiciaire depuis le 11 mai), notamment car elles sont soumises à des délais de procédure. Selon les mesures en vigueur à ce jour, le JLD "peut, par une décision non susceptible de recours, décider que l'audience se tiendra en utilisant un moyen de télécommunication audiovisuelle permettant de s'assurer de l'identité des parties et garantissant la qualité de la transmission et la confidentialité des échanges entre les parties et leurs avocats". Il n'est pas obligatoire que l'avocat soit physiquement présent auprès du patient. En cas d'impossibilité technique ou matérielle de visio-audience, le juge peut, "par décision insusceptible de recours, décider d'entendre les parties et leurs avocats par tout moyen de communication électronique, y compris téléphonique, permettant de s'assurer de leur identité et de garantir la qualité de la transmission et la confidentialité des échanges".

"Travaux en cours" des ministères concernés

Les modalités actuelles de tenue de l'audience sont donc à la main des magistrats, sans possibilité pour les avocats des patients de s'opposer à la visioconférence qui serait éventuellement décidée par le JLD. Quelles sont les consignes du ministère des Solidarités et de la Santé dans ce contexte ? Le 22 mars, une fiche de recommandations générale pour la psychiatrie était publiée (lire notre article), préconisant aux établissements concernés de se mettre en contact avec leur juridiction locale pour "organiser les audiences [du JLD] de façon dématérialisée (audiences en visio ou autre procédé)".

Dans une foire aux questions "FAQ Covid-19" mise en ligne durant le confinement, l'Association des établissements du service public de santé mentale (Adesm) a signalé que "la solution dominante a consisté à délocaliser les audiences au tribunal de grande instance (TGI) mais sans présence des patients". Elle ajoute qu'il "est évident que des solutions de visio-conférence seraient opportunes pour entendre le patient" et rappelle que "les avocats doivent conserver libre accès à leur client, selon des formes aménagées à l’épidémie". Depuis la levée du confinement, le ministère a publié le 12 mai une nouvelle fiche de recommandations à destination des établissements (lire notre article), mais la question de l'organisation des audiences du JLD n'y est pas abordée. Contacté par Hospimediale ministère de la Santé indique sans plus de précisions pour l'instant que "des travaux conjoints sont en cours avec le ministère de la Justice".

Des clarifications des tutelles attendues

Pour l'heure, sauf nouvelles dispositions légales ou règlementaires à ce sujet, le recours aux visio-audiences n'a a priori pas vocation à perdurer, une fois l'échéance du 10 août passée. Contactés, plusieurs signataires du communiqué expliquent cependant que leur prise de position se veut une mise en garde à titre préventif pour empêcher un éventuel recul des droits et que la situation ne revienne difficilement à la normale. Des clarifications des tutelles sont par conséquent attendues de leur part sur cette problématique. L'un d'eux explique "craindre que des juges, se retrouvant dans une situation très embouteillée par plusieurs mois de retard dans le traitement des contentieux habituels, ne considèrent pas prioritaire d'aller à l'hôpital, soient réticents à se déplacer et continuent à tenir les audiences à distance". D'autant que dans certains secteurs, la distance entre les tribunaux et les établissements de santé peut occasionner des déplacements de plusieurs heures aller-retour, commente-t-il.

Comme l'expliquait il y a quelques années — avant que la loi de 2013 ne soit votée — le contrôleur général des lieux de privation de liberté (CGLPL), Jean-Marie Delarue, le recours à cette visioconférence ne s'impose que dans un nombre restreint de circonstances pour les personnes privées de liberté. Dans un avis spécifique à cette question, il indiquait notamment que cette visioconférence peut être mise en place si elle est la seule possibilité pour que la personne concernée puisse bénéficier par exemple d'une audience du JLD. Ou encore, si pour des raisons administratives seules, la visioconférence permet de respecter les délais de procédure. Il insistait en outre sur la nécessité d'un "consentement éclairé" des personnes en ayant usage. Dans le cas où ces personnes seraient hors d'état de donner leur consentement, l'accord d'un tiers responsable devrait alors être recueilli. Il avait par ailleurs à plusieurs reprises défendu l'organisation des audiences à l'hôpital et non au tribunal, en estimant notamment que "les salles du TGI ne sont pas faites pour ces patients, encadrés par deux blouses blanches, se demandant ce qu'ils ont fait de mal" (lire notre article).

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