jeudi 21 mai 2020

Coronavirus : ruée sur les tests sérologiques pour savoir si l’on a été contaminé par le Covid-19

De plus en plus de particuliers se font tester. Mais les autorités incitent à la prudence, répétant qu’un résultat positif ne garantit pas l’immunité.
Par  Publié le 21 mai 2020
Jean-Francois Badias / AP
Les autorités ont beau inciter à la prudence et les certifications françaises tarder à se matérialiser, les tests sérologiques suscitent l’engouement des particuliers, avec ou sans ordonnance.
Pour le constater, dans les grandes villes, il suffit presque de traverser la rue : au premier laboratoire d’analyses médicales venu, il y a foule, la plupart des grands réseaux nationaux disposant désormais, depuis quelques semaines, de stocks suffisants de ces tests réalisables à partir d’une simple prise de sang et fournissant des résultats en un à deux jours.
Savoir si l’on a été, oui ou non, en contact avec le virus, même sans symptômes, si cette grippe harassante attrapée début mars ou fin janvier n’était pas le Covid-19, les raisons d’être curieux ne manquent pas. Pour autant, martèlent les pouvoirs publics, une sérologie positive ne doit pas être considérée comme un « passeport d’immunité », au regard des interrogations qui demeurent sur la réponse immunitaire au Covid-19.
« Depuis le 5 mai, le jour où l’on a reçu les tests, ça n’arrête pas. On aurait dit le premier jour des soldes », constate, dans le 4arrondissement de Paris, une biologiste ayant tenu à rester anonyme, à la tête d’un laboratoire où les files de patients et les journées s’allongent, entre prélèvements Covid-19 et début de rattrapage de l’activité habituelle. Sur 120 patients journaliers, 40 % viennent pour un test sérologique, estime-t-elle. Le taux de positifs est d’environ 6 %, comme pour les tests PCR, ces prélèvements nasopharyngés à partir desquels on détecte la présence du virus lui-même, et non celle des anticorps.

« On paie la politique de ne pas dépister »

Des personnes attendent de se faire tester à Incheon, en Corée du Sud.
Des personnes attendent de se faire tester à Incheon, en Corée du Sud. Yun Hyun-tae / AP
« C’est beaucoup du diagnostic de rattrapage, on paie aujourd’hui la politique de ne pas dépister », ajoute la biologiste. Parfois aussi, le test est un « gadget » que s’offrent les personnes qui en ont les moyens, sans toujours avoir eu de symptômes ni vu de médecin, regrette-t-elle. Le test, facturé 30 à 40 euros, n’est pas remboursé pour le moment, sauf pour les soignants – la Haute Autorité de santé (HAS) s’est toutefois prononcée, dans un avis publié mercredi, pour le remboursement de deux types de tests, sur prescription médicale et dans des cas précis (diagnostic complémentaire ou de rattrapage, soignants).
Dans un quartier moins cossu du 12arrondissement, place Félix-Eboué, l’affluence n’est pas moindre. Un jeune homme « à risque » s’enquiert au comptoir : « Vous testez bien les IgG et les IgM [deux types d’anticorps] ? » La plupart des laboratoires proposent des tests quantitatifs s’appuyant sur la méthode éprouvée Elisa (des automates de laboratoire détectent la quantité des anticorps anti-SARS-CoV-2 dans le sérum sanguin) et tous respectent les critères de performance énoncés par la HAS.
Le téléphone sonne : « Oui, madame, c’est sur prise de sang, par contre ce n’est pas remboursé. » Schéhrazade Sbahi, biologiste médicale, estime à plus d’une centaine le nombre de tests quotidiens. « Il y a ceux qui veulent reprendre le boulot, revoir la famille et les grands-parents, ceux qui doivent voyager ou se déplacent dans leur pays d’origine », dit-elle. La rentrée des classes a aussi amené son lot de parents inquiets, venus faire tester leur enfant.

Confusion et pédagogie sur les bénéfices d’un test

Le laboratoire du 4arrondissement a ainsi accueilli une famille dont les parents ont eu de lourds symptômes, l’un d’eux a été testé positif par test PCR (prélèvement nasal). Ce mois-ci, ils ont fait tester leurs trois enfants : sérologie négative. Venu aussi se faire tester, ce couple qui a fêté le déconfinement en dînant avec un ami, pour apprendre deux jours plus tard que ce dernier avait déclaré des symptômes et était positif au Covid-19. Pour ces derniers, ce sera donc un test PCR, précise la biologiste chargée de leur suivi, qui doit régulièrement renvoyer chez eux des gens symptomatiques venus à tort pour une sérologie.
La HAS, dans sa série d’avis, a réaffirmé la prééminence des tests PCR comme outil privilégié de diagnostic pour toute personne présentant des symptômes ou pour les « cas contacts ». Elle reste prudente sur la sérologie, qui n’est praticable qu’à partir de quatorze jours après les premiers symptômes, le temps que des anticorps aient pu se former, et rappelle qu’une sérologie positive ne garantit pas de protection contre le virus ni ne permet de dire si l’on est contaminant.
Cédric Carbonneil, chef du service d’évaluation des actes professionnels de la HAS, maintient cet appel à la prudence : « Il n’y a pas de raison que les patients se rendent dans un laboratoire sans avoir vu au préalable un médecin qui va statuer sur l’examen clinique et prescrire le test adéquat », dit-il.
Quant à l’espoir, compréhensible, de connaître son degré de protection face au virus :
« La réponse, aujourd’hui, est que l’on ne sait pas, on n’a pas de garantie que, s’il y a une présence d’anticorps, on sera protégé contre une réinfection ultérieure. Il ne faut pas qu’il y ait cette volonté de se rassurer, parce que ça va être faussement rassurant. »

Théorème de Bayes et prévalence du virus

Outre les inconnues sur l’immunité, plusieurs facteurs sont cités par la HAS pour déconseiller un dépistage généralisé. Un des arguments s’appuie sur la règle de Bayes, principe cardinal des probabilités conditionnelles, qui permet d’affiner la probabilité d’un événement en fonction du contexte dans lequel il survient. Dans le cas du Covid-19, plus la prévalence du virus est faible dans une population, plus le risque de faux positif du test sérologique est grand.
Par exemple, si un patient est testé dans un hôpital où la prévalence du virus est estimée à 69 %, un test sérologique positif garantit à 99 % qu’il a eu le Covid-19. En revanche, s’il fait partie d’une population où l’on présume que le virus a une prévalence de 5 %, soit à peu près la prévalence nationale estimée par l’Institut Pasteur (4,4 %), la valeur prédictive d’un test positif descend à 70 %, les faux positifs devenant plus fréquents. De là vient notamment la recommandation, traduite en mesures concrètes mardi par le ministre de la santé, Olivier Véran, de tester avant tout les soignants et les intervenants dans des milieux à risque.
Tableau de la Haute Autorité de santé présentant des simulations de valeur prédictive positive des tests sérologiques en fonction de la prévalence de la maladie.
Tableau de la Haute Autorité de santé présentant des simulations de valeur prédictive positive des tests sérologiques en fonction de la prévalence de la maladie. HAUTE AUTORITE DE SANTE
Ce choix ne fait toutefois pas l’unanimité et alimente les différends entre épidémiologistes, virologues et immunologistes, entre acteurs de santé publique et chercheurs, dont les manières d’aborder l’épidémie s’opposent parfois publiquement, souvent plus silencieusement.

Une « envie de savoir » légitime

A l’Institut Curie, l’immunologiste clinique Olivier Lantz reconnaît d’emblée que les tests sérologiques sont entourés de confusion et que « trouver des anticorps, c’est une chose, savoir s’ils sont protecteurs, c’en est une autre ». Cette capacité neutralisante fait d’ailleurs l’objet de recherches toujours en cours. Toutefois, estime-t-il, « que des gens qui ont eu des symptômes en région parisienne, où la prévalence dépasse sans doute les 10 %, aient envie de savoir s’ils l’ont eu, c’est parfaitement légitime ». Déplorant une communication fondée sur des arguments d’autorité, voire sur la peur, il ajoute :
« On peut toujours voir le verre à moitié vide ou à moitié plein, mais a priori ils sont protégés pour au moins quelques mois dans l’immédiat. C’est une vérité provisoire, comme toujours en science, mais c’est cela qu’il faut expliquer, plutôt que de dire qu’il ne faut surtout pas faire de sérologie parce que vous allez croire que vous êtes protégé alors que vous ne l’êtes pas. »
Dans les mois qui viennent, son équipe va suivre la sérologie de 2 500 volontaires de l’institut de recherche et tenter de répondre à quelques questions de sérologie cruciales : dans quelle mesure des asymptomatiques ont-ils été en contact avec le virus, combien de temps les personnes touchées vont-elles garder leurs anticorps et, enfin, celles qui en possèdent sont-elles protégées en cas de deuxième exposition au virus ?
Huit cent soixante-dix employés ont déjà été prélevés, avec « différents niveaux d’exposition, plein de choses intéressantes à faire… », note-t-il. Si les pouvoirs publics restent réticents à inclure plus largement les tests sérologiques dans leur arsenal, du point de vue de la science, dit-il, pour comprendre ce qu’il se passe, « la sérologie, c’est la clé de tout ».
INFOGRAPHIE LE MONDE

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