mardi 12 mai 2020

Coronavirus : ce que la science ignore encore à l’heure du déconfinement

Par Hervé Morin , Sandrine Cabut , David Larousserie , Pascale Santi , Paul Benkimoun , Nathaniel Herzberg et Chloé Hecketsweiler

Publié le 11 mai 2020

DÉCRYPTAGES De nombreuses incertitudes demeurent, au moment où la principale mesure d’endiguement de la pandémie est levée.

La période de déconfinement s’ouvre en France, alors qu’un certain nombre d’incertitudes subsistent sur le comportement du nouveau coronavirus et notre capacité à enrayer l’épidémie hors d’un cadre très contraint de réduction des contacts interindividuels, facteurs de contamination. Depuis quatre mois, la machine scientifique tourne à plein régime pour comprendre les spécificités de cette pandémie, mais elle est loin d’en avoir percé tous les secrets. A l’heure où on s’apprête à baisser la garde face au SARS-CoV-2, passage en revue de questions scientifiques en suspens.

Qui ont été les contaminés du confinement ?

Selon les chiffres de la direction générale de la santé, 8 674 nouveaux tests positifs au SARS-CoV-2 ont été officiellement enregistrés entre le 1er et le 9 mai, en France. Malgré les gestes barrières, malgré la distanciation sociale, malgré le confinement, il y aurait encore, en réalité, de 3 000 à 4 000 nouvelles contaminations chaque jour, selon l’épidémiologiste Daniel Lévy-Bruhl, responsable de l’unité des infections respiratoires de Santé publique France (SPF). « C’est nettement moins qu’il y a un mois, mais c’est encore beaucoup, rappelle Anne-Claude Crémieux, professeure d’infectiologie à l’hôpital Saint-Louis, à Paris. On va donc déconfiner avec des chaînes de contamination encore actives et une connaissance très grossière de ce qui se passe. On ne dispose pas d’un état des lieux sur l’ensemble des Ehpad, ni dans tous les hôpitaux, et on ne connaît pas les conditions d’infection des nouveaux contaminés, alors que cette période aurait dû nous permettre de bien analyser tous ces points. Il n’y a pas eu de réelle stratégie de santé publique pour réussir le déconfinement. »


Le constat est sévère. Il est vrai que l’infectiologue alerte depuis déjà un mois, à travers les communiqués de l’Académie de médecine, dont elle est membre, ou par des entretiens dans la presse. « Quand nous avons vu qu’après trois semaines de confinement les niveaux d’infection restaient très élevés, nous avons réclamé un changement de stratégie. » Comme casser notamment les chaînes familiales en développant les accueils de malades dans des hôtels médicaux. Différentes études internationales ont montré, il est vrai, le rôle des contaminations à domicile. Dès février, les premières études chinoises conduites sur les foyers (« clusters ») de plus de trois cas ont conclu que 80 % étaient familiaux. Une autre étude, réalisée à Hongkong sur 318 regroupements de malades, a trouvé le même résultat. Loin derrière figuraient les transports.

D’autres enquêtes ont suivi les chaînes de contamination. A Shenzhen, le taux d’attaques secondaires, autrement dit la proportion de personnes en contact avec un premier malade et qui se voient ainsi contaminées, est de 11 % dans la famille, selon une étude publiée le 27 avril dans The Lancet Infectious Diseases. A Taïwan, il est plus bas, proche de 5 %. « Mais hors de la famille, c’est 1 % », insiste Anne-Claude Crémieux, sur la foi d’un article publié dans la revue JAMA Internal Medicine. La professeure d’infectiologie avance encore le constat fait à Wuhan lorsque, après les multiples mesures de distanciation, avec des malades maintenus à domicile, le R0 – c’est-à-dire le nombre de personnes contaminées par un individu infecté – restait à 1,32. « Ils ont décidé d’isoler les patients dans des hôtels réquisitionnés : le R0 est tombé à 0,32. »

Les familles, donc. Mais aussi les hôpitaux et les établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad). Didier Guillemot, directeur d’unité à l’Institut Pasteur et professeur de médecine à l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP), vient de lancer une vaste étude pour tenter de déterminer l’ampleur et l’origine de la contamination des personnels hospitaliers. « Comment se sont-ils infectés ? Au contact de patients, dans leur famille, ailleurs dans la ville ? », s’interroge-t-il. Et qui ont-ils pu infecter à leur tour ? L’enjeu est essentiel tant le rôle de l’hôpital dans la dynamique épidémique globale apparaît ambigu. « Lorsqu’on hospitalise les patients les plus contagieux, fait-on baisser cette dynamique, car on contrôle ainsi des vecteurs potentiels, ou l’hôpital joue-t-il au contraire un rôle d’amplificateur ? » Le professeur Guillemot entend bien apporter une réponse. « Mais pas avant début juillet », prévient-il.

Ce n’est également pas avant juillet que le professeur Philippe Vanhems, des Hospices civils de Lyon, espère disposer des premiers résultats d’une étude du même type sur les Ehpad de la région, qui devrait permettre de caractériser les regroupements de cas, selon la situation des patients, des soignants, l’organisation des ressources, l’environnement extérieur… Un rythme éclair pour la recherche, mais qui n’offrira de leçons que deux mois après le déconfinement.

« Nous avons quelques observations empiriques, explique Renaud Piarroux, chef du service de parasitologie à l’hôpital Pitié-Salpêtrière, à Paris, et promoteur du réseau Covisan, ces équipes mobiles récemment mises en place en région parisienne, chargées de repérer les malades et de tracer leurs contacts. On voit beaucoup de familles en grande promiscuité. Des résidents de foyers. Quelques contaminations au travail, également : policiers, personnels hospitaliers ou d’Ehpad, des petits boulots… Mais ça reste très impressionniste. La vérité, c’est qu’à ma connaissance il n’y a pas eu d’étude précise. D’abord on a dit aux gens de rester chez eux tant qu’ils le pouvaient pour ne pas encombrer le système. Donc on s’est privé de toute information. Maintenant on va les voir, mais on nous a demandé de ne pas les accabler de questions, juste le minimum, de quoi trouver leurs contacts, les isoler, briser les chaînes de contamination. On ne s’est jamais donné les moyens de savoir. »

Quel est le poids des asymptomatiques ?

Que sait-on de la proportion d’asymptomatiques et de leur rôle dans la propagation de l’épidémie ? Selon Daniel Lévy-Bruhl, ils représenteraient entre 20 % et 50 % (du total des contaminés), avec pas mal d’incertitudes : « Pour la France, on aura une idée plus précise quand les résultats des enquêtes séroépidémiologiques [permettant de mesurer la présence d’anticorps dans le sang] seront disponibles. Elles nous diront combien de personnes ont été infectées, chiffre que nous comparerons avec l’estimation du nombre de cas. Mais cela restera un calcul approximatif. » La charge virale des personnes asymptomatiques n’est probablement pas très différente de celle des symptomatiques, estime-t-il. « Mais la transmissibilité est vraisemblablement liée à l’expression clinique de la maladie : si vous toussez, si vous éternuez, vous avez un potentiel de transmission bien plus important que quelqu’un qui n’a aucun symptôme. »

« La proportion de porteurs asymptomatiques est encore mal connue, évaluée autour de 20 % ou plus, avec toute la prudence que ce chiffre impose », avançait le Conseil scientifique Covid-19 dans un avis du 20 avril. De fait, des études menées dans différents pays retrouvent des résultats très variables. Entre 1,2 % et 57 % des individus testés positifs sont asymptomatiques, et entre 23 % et 78 % des personnes asymptomatiques au moment du test développent des symptômes dans les jours suivants (on parle de personnes présymptomatiques), selon un rapport québécois de l’Institut national d’excellence en santé et en services sociaux.

« Le pourcentage d’asymptomatiques dépend de nombreux facteurs : la circulation du virus dans la population étudiée et le profil de celle-ci, la technique de test, mais aussi ce que l’on retient comme symptômes évocateurs de Covid », énumère le professeur Xavier Duval, du centre d’investigation clinique de l’hôpital Bichat (AP-HP, Paris). Avec son équipe, il étudie une cohorte prospective de sujets ayant eu un contact avéré avec une personne Covid +, identifiés lors d’une enquête de contact tracing au début de l’épidémie (dont le cluster des Contamines-Montjoie, en Haute-Savoie), ou lors du suivi de soignants infectés. L’étude a pratiquement terminé l’inclusion des 300 participants prévus. « Nos premières estimations, dans nos conditions expérimentales et sur la base de résultats préliminaires, montrent qu’après un contact rapproché, non protégé, souvent unique avec un individu Covid +, une personne sur cinq s’infecterait. Et seulement 20 % d’entre elles resteraient complètement asymptomatiques à la suite de cette infection », résume le professeur Duval, en précisant que tout symptôme, même banal (maux de tête…), est pris en compte, et que ce recueil prospectif permet une grande sensibilité.

Cette recherche française a aussi montré que certains individus excrètent du virus avant même de présenter le moindre symptôme, s’ils en déclarent. Le poids des sujets asymptomatiques ou présymptomatiques dans la transmission du SARS-CoV-2 serait même important : ils sont à l’origine de presque la moitié des cas de contamination (44 %), selon une étude chinoise publiée le 15 avril dans la revue Nature Medicine, portant sur une centaine de malades.

Les enfants sont-ils peu transmetteurs ?

Les enfants semblent autant sujets à l’infection par le SARS-CoV-2 que les adultes. Mais, en Corée du Sud ou en Islande, les moins de 10 ans seraient moins touchés (6,7 %) que les plus de 10 ans (14 %). L’analyse présentée par l’équipe du professeur Christian Drosten (hôpital de La Charité, Berlin) indique que les très jeunes patients infectés par le SARS-CoV-2 ne présentent pas une charge virale significativement différente de celle des adultes.

Au niveau mondial, le nombre d’enfants atteints de Covid-19 représente entre 1 % et 5 % de l’ensemble des cas. Ils font moins de formes graves et présentent majoritairement des formes asymptomatiques ou peu graves. En France, entre le 1er mars et le 24 avril, les moins de 18 ans ont représenté 0,16 % des cas hospitalisés et 0,04 % des décès survenus à l’hôpital, selon SPF.

L’importance des enfants dans la transmission du virus reste mal connue. La transmission est dépendante des symptômes et de leur sévérité, comme l’a montré l’étude chinoise de Lei Luo (Centre de contrôle et de prévention des maladies, Guangzhou-Canton) sur la transmission aux contacts proches. Contrairement à ce qui était dit au début de l’épidémie, par analogie avec d’autres virus comme la grippe, les enfants transmettraient moins la maladie. « Dans plusieurs séries, la majorité (près de 90 %) des enfants infectés l’ont été par l’intermédiaire d’une exposition intrafamiliale à un cas suspecté ou confirmé chez un adulte », souligne SPF. Une récente étude des services de santé australiens a montré que, dans quinze écoles primaires et secondaires de Nouvelle-Galles du Sud, 18 personnes (neuf élèves et neuf membres du personnel) ont été testées positives au coronavirus. Dans leur entourage de 735 élèves et 128 membres du personnel, seuls deux enfants semblent avoir contracté le virus.

Du côté des adolescents, la transmission dans le milieu scolaire semble cependant plus forte qu’au sein de la famille, comme l’indique une étude de détection d’anticorps contre le SARS-CoV-2, menée par une équipe dirigée par Arnaud Fontanet (Institut Pasteur) à Crépy-en-Valois (Oise), autour d’un lycée où deux cas avaient été détectés début février, l’un des premiers foyers épidémiques en France. Elle a mis en évidence chez les lycéens une fréquence de la présence d’anticorps (38 %) se rapprochant de celle de leurs enseignants (43 %) ou des personnels administratifs (59 %) – signe d’une circulation importante du virus dans l’établissement –, mais nettement plus élevée que dans leur milieu familial (10 % des parents et 11 % de la fratrie). D’autres études en cours visent à mieux évaluer le risque. A ce stade des connaissances, « il est actuellement très difficile d’évaluer la circulation du virus », expliquait un document de SPF début de mai. Par conséquent, « l’appréciation du rôle des enfants lors du “déconfinement” est très incertaine », notait l’établissement.

Quant à savoir pourquoi les enfants et les adolescents développent des formes moins graves, plusieurs hypothèses sont évoquées. Selon le pédiatre Robert Cohen, « il existe plusieurs exemples de maladies infectieuses plus graves chez l’adulte que chez l’enfant, la varicelle, la rougeole, les oreillons… où l’on voit que l’enfant contrôle mieux sa réponse immunitaire ». Une des portes d’entrée du virus, le récepteur cellulaire ACE2, qui lui permet de pénétrer dans les cellules respiratoires, serait quasi absente chez l’enfant. La piste génétique est aussi explorée.

Une inconnue demeure sur des cas d’enfants et d’adolescents hospitalisés en France et dans d’autres pays pour des syndromes inflammatoires rares, avec des atteintes cardiaques dans certains cas proches du syndrome de Kawasaki. Une quarantaine de cas en France sont en cours d’investigation pour ces atteintes « vraisemblablement en lien avec une infection symptomatique ou non par le SARS-CoV-2 », précisait SPF le 4 mai. Le gouverneur de l’Etat de New York, Andrew Cuomo, a annoncé samedi 9 mai le décès de trois « jeunes New-Yorkais » de cette maladie inflammatoire. Soixante-treize cas seraient recensés aux Etats-Unis.

Des modélisations épidémiques évaluant l’impact sur les capacités des services de réanimation d’Ile-de-France de différents scénarios de réouverture des établissements scolaires ont précédé la décision, annoncée jeudi 7 mai par le premier ministre, d’engager à partir du 11 mai une sortie progressive du confinement. L’équipe Inserm-Sorbonne Université de Vittoria Colizza et Pierre-Yves Boëlle prévoyait ainsi qu’une reprise pour les seuls écoliers de maternelle et primaire le 11 mai ne mobiliserait que 72 % des capacités hospitalières dans deux configurations : le maintien de la fermeture des autres établissements jusqu’aux vacances d’été ou bien une réouverture à 25 % des collèges et lycées, avec une augmentation progressive les semaines suivantes. A l’inverse, une reprise de l’ensemble des élèves, de la maternelle au lycée, le 11 mai, aurait exposé à une seconde vague épidémique, similaire à la première. Un événement qui, selon les modèles, pourrait être évité en limitant à 50 % l’effectif pour l’ensemble des classes.

Peut-on reconnaître les « super propagateurs » ?

L’installation de l’épidémie a fait un peu oublier que, derrière les moyennes, il y a de fortes variations individuelles. Le paramètre R0, qui indique combien de personnes peuvent être infectées par un porteur du virus, est un élément épidémiologique-clé pour comprendre et suivre l’épidémie : au-dessus de 1, la maladie se développe ; en dessous, elle s’arrête. Mais ce paramètre est une moyenne et n’interdit pas que des gens puissent contaminer plus, ou au contraire moins que ce qu’indique ce R0 moyen.

Ainsi il est fort probable que des chaînes de contamination anciennes se soient arrêtées d’elles-mêmes, alors qu’on ne parlait pas encore d’épidémie, car le R0 du contaminé était inférieur à 1. « Cela signifie aussi que le premier cas détecté n’est peut-être pas celui responsable de l’épidémie », rappelle Samuel Alizon, chercheur du Centre national de recherche scientifique (CNRS) au laboratoire maladies infectieuses et vecteurs : écologie, génétique, évolution et contrôle de Montpellier.

En 1992, à Minneapolis, une seule personne a été responsable de 35 % des cas de tuberculose.

A l’inverse, il est connu que les épidémies se caractérisent par des profils « super propagateurs » dont le nombre de contaminations dépasse largement la moyenne du R0 et qui causent des flambées. Dans un article de 2010 de l’International Journal of Infectious Diseases faisant le point des connaissances sur ce phénomène, le biologiste Richard Stein (Princeton University) rappelle même une sorte de règle : un petit pourcentage, par exemple 20 %, cause la majorité des infections, par exemple 80 %. En 1992, à Minneapolis, une seule personne a été responsable de 35 % des cas de tuberculose. Ces événements peuvent donc avoir un effet sur l’évolution de l’épidémie, la rendant plus explosive. Ils sont d’autant plus imprévisibles que les spécialistes ignorent s’ils sont liés au virus (une virulence particulière), à l’hôte (son profil génétique, son état immunitaire), à une co-infection avec ce nouveau virus, à l’environnement (un rassemblement, des systèmes de ventilation). La menace de l’après-confinement est potentiellement là. D’où la précaution de continuer à limiter les rassemblements.

L’été tuera-t-il le virus ?

Les exemples d’autres infections respiratoires montrent une évolution saisonnière de ces maladies, avec une baisse en été à cause de la température, mais surtout de l’humidité. En 2010, l’épidémiologiste américain Marc Lipsitch (Harvard) relevait cette corrélation favorable pour la grippe saisonnière. « Mais cela n’est souvent pas vrai pour les nouveaux virus. On se souvient qu’en 2009 l’été n’avait pas arrêté la grippe A, mais qu’elle avait continué à circuler à bas bruit avant de réémerger fin octobre, plus tôt que la grippe saisonnière », rappelle Pierre-Yves Boëlle, épidémiologiste à Sorbonne Université. Le SARS-CoV-2 se comportera-t-il de la même manière ? Un espoir initial était né du fait que les pays « tropicaux » semblaient peu touchés, mais ça n’a pas duré et le coronavirus s’est répandu au Brésil ou dans d’autres pays de l’hémisphère Sud.

Le 28 avril, une équipe de l’université de Pékin a fait le point dans Science of the Total Environment en analysant les données de plus de 160 pays. Température et humidité ont bien un effet. Un degré de plus réduit de 1,5 % à 4,6 % le nombre de cas quotidiens. Un pour cent de plus d’humidité fait baisser ce nombre de 0,5 % à 1,2 %. Mais, préviennent les chercheurs, si « l’épidémie pourrait être partiellement supprimée par des augmentations de température et d’humidité, (…) des mesures actives doivent être prises pour contrôler les sources d’infections et bloquer les transmissions afin d’éviter de prochaines flambées ».

Dans un preprint mis en ligne le 7 avril sur Medrxiv.org, leurs collègues de Princeton estiment même, par des simulations, que le nombre de cas pourrait augmenter cet été en l’absence de mesures de contrôle. Enfin, toujours en prépublication, une équipe brésilienne, le 27 avril, a fait le tour de 17 articles parus sur le sujet et a conclu à la faiblesse des preuves que la météo pourrait stopper l’épidémie.

Existe-t-il des pistes thérapeutiques solides ?

Aucun traitement spécifique n’a pour l’heure fait ses preuves face au Covid-19, la prise en charge étant essentiellement celle des symptômes et complications (oxygénothérapie, assistance ventilatoire, prévention des embolies pulmonaires…). Les nombreuses études cliniques lancées dans le monde depuis le début de l’épidémie n’ont pas encore montré une efficacité avérée des médicaments testés. Ceux-là sont des traitements « repositionnés » – aucun n’a encore été développé spécifiquement pour combattre le SARS-CoV-2.

De nombreuses approches sont étudiées : antiviraux, modulateurs de l’immunité, anticorps présents dans le plasma de convalescents, pharmacopée traditionnelle chinoise… Chaque jour, plusieurs études paraissent désormais dans les revues scientifiques ou en prépublication, c’est-à-dire sans avoir encore été examinées et validées par des experts. Cette production scientifique doit être abordée avec circonspection, car peu d’études cliniques répondent aux standards les plus élevés – un traitement comparé à d’autres ou à un placebo, administré à plusieurs groupes de patients constitués de façon aléatoire, et sans que patients et médecins aient connaissance du médicament délivré.

Le 8 mai, The Lancet a cependant publié une étude approchant ces critères, montrant une efficacité accrue d’un traitement combinant interféron bêta-1b, lopinavir-ritonavir et ribavirin. « C’est la première étude montrant un effet antiviral peu discutable, constate le pharmacologue Mathieu Molimard (Université de Bordeaux). Il semblerait qu’il y ait une réduction de la durée d’hospitalisation… Cela demande à être confirmé par une étude de phase 3. »

L’AP-HP avait fait état de résultats intéressants avec le tocilizumab dans les formes graves, mais cette annonce prématurée, hors publication scientifique, s’est traduite par la démission du conseil scientifique qui supervisait cet essai clinique, toujours en cours.

Aux Etats-Unis, l’Institut national de l’allergie et des maladies infectieuses (ou Niaid, pour National Institute of Allergy and Infectious Diseases) a lui aussi fait état de résultats encourageants (réduction de la durée d’hospitalisation) pour le remdesivir administré de façon précoce, mais a dû reconnaître que la mortalité restait inchangée – comme le montrait une étude chinoise publiée dans The Lancet.

Enfin, concernant le traitement recommandé par Didier Raoult (institut hospitalo-universitaire Méditerranée Infections), combinant hydroxychloroquine et azithromycine, aucune étude de qualité n’a à ce jour confirmé son intérêt thérapeutique – des alertes de pharmacovigilance mettant en garde contre de potentiels effets indésirables, d’ordre cardiaque notamment.

Quelle est la bonne distance de sécurité ?

Six pieds, c’est-à-dire 1,83 m ; 1,50 m ou 1 mètre ? Les recommandations de distance physique à respecter entre deux personnes varient selon les pays. Les autorités américaines et celles du Royaume-Uni préconisent six pieds, l’Italie 2 mètres. C’est 1,50 m dans des pays comme l’Allemagne, la Belgique et les Pays-Bas. La France fait partie de ceux qui se sont alignés sur les recommandations de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) : 1 mètre au minimum.

Quel que soit le seuil retenu, l’objectif est de réduire les risques de contamination du nouveau coronavirus, qui se transmet essentiellement de personne à personne. Selon le Centre de contrôle américain des maladies (CDC), cette transmission se fait principalement par le biais « des gouttelettes respiratoires produites lorsqu’une personne infectée tousse, éternue ou parle », « celles-ci peuvent atterrir dans la bouche ou le nez des personnes qui se trouvent à proximité ou être inhalées dans les poumons ». Pour mémoire, la contamination peut aussi se faire par l’intermédiaire des mains ou des selles. Il existe également des transmissions indirectes par des surfaces infectées et probablement par aérosols, comme l’ont suggéré plusieurs études.

Dans un avis validé le 24 avril, le Haut Comité de santé publique (HCSP) considère que « la distance d’au moins 1 mètre promue en France depuis des années correspond à une distance de sécurité minimale, étroitement dépendante de caractéristiques biologiques, climatiques et comportementales ». Le HCSP note que « cette distance a été régulièrement remise en cause pour d’autres pathologies à transmission respiratoire par le passé ».

« En règle générale et lorsque le site le permet, un espace libre de 4 m2 autour d’une personne est recommandé » Le Haut Comité de santé publique

De fait, la question n’est pas simple : si la grande majorité des gouttelettes propageant le virus se dispersent dans un rayon de 1 ou 2 mètres, il n’y a pas de certitude de ne retrouver aucune particule virale au-delà de cette distance, c’est juste la probabilité qui diminue. Les travaux d’une chercheuse du Massachusetts Institute of Technology (Cambridge) ont ainsi montré que, dans certaines conditions, les gouttelettes contenant des agents pathogènes émises lors de toux ou de postillons peuvent être propulsées dans un nuage jusqu’à environ 8 mètres (JAMA, 26 mars).

« En règle générale et lorsque le site le permet, un espace libre de 4 m2 autour d’une personne est recommandé », affirme le HCSP. Il est aussi prudent de prendre ses distances lors d’activités sportives avec une ventilation soutenue, car « les émissions de gouttelettes sont particulièrement importantes et à risque de transmission », explique le HCSP. Lors d’un jogging ou à vélo, la distance minimale à respecter est de 10 mètres, prévient le ministère des sports.

Combien de personnes le confinement a-t-il sauvées (et mises en danger) ?

Le confinement aurait permis d’éviter en France près de 62 000 décès, soit une réduction de 67 % à 96 %, selon des modélisations réalisées par une équipe de l’Ecole des hautes études de la santé publique (EHESP), non encore publiées. Selon cette même étude, le confinement aurait aussi réduit de 87,8 % les hospitalisations en France (− 587 730 personnes), de 90,8 % les admissions en réanimation (− 140 320), évitant la saturation du système hospitalier. Mais cette analyse a été critiquée par Eric Le Bourg (CNRS), Quentin de Larochelambert et Jean-François Toussaint (Irmes) qui mettent en cause plusieurs paramètres, notamment l’intervalle de confiance. Ces modèles mathématiques sont sujets à discussion. Il ne fait cependant aucun doute que le confinement a sauvé un grand nombre de personnes. Mais certains redoutent des effets collatéraux de cette mesure de protection de la population.

Depuis le début du confinement, les consultations chez les médecins spécialistes ont baissé de 51 %

Les hôpitaux ont en effet dû augmenter les capacités de lits de réanimation et déprogrammer des opérations chirurgicales. Depuis le début du confinement, les consultations chez les médecins spécialistes ont baissé de 51 %, selon les chiffres communiqués le 7 mai par le ministère de la santé et les autorités sanitaires, et de 25 % chez les médecins généralistes, du 13 au 26 avril 2020, par rapport à la même période en 2019.

Une diminution du nombre de passages aux urgences et d’hospitalisations pour des pathologies cardio et neuro-vasculaires susceptibles de représenter des urgences vitales a aussi été constatée au début du confinement, ce qui fait craindre des retards de prises en charge.

Dans le domaine du cancer, une étude conduite par Alvina Lai et ses collègues (University College London), publiée sur ResearchGate sous forme de prépublication, a montré qu’il y aurait 6 270 décès supplémentaires parmi les patients atteints de cancer dans un an en Angleterre et 33 890 décès supplémentaires parmi les patients atteints de cancer aux Etats-Unis pour cette même période. Une autre étude d’une équipe de l’Institute Cancer Research (Londres), publiée en preprint, souligne qu’un retard de six mois par patient entraînerait la mort de 10 555 personnes. « Ces estimations me semblent assez proches de la réalité, même s’il sera difficile de le mesurer précisément », dit le professeur Jean-Yves Blay, président de la Fédération nationale des centres de lutte contre le cancer (CLCC, Unicancer).

« Les retards de diagnostic entraînent une surmortalité de 10 % à 25 % par mois de retard, avec des différences selon les types de cancer et leur localisation », précise l’oncologue. Depuis le début de l’épidémie, « les consultations pour premier rendez-vous ont baissé de 50 % dans nos dix-huit centres », précise Jean-Yves Blay, qui se dit préoccupé, craignant des stades avancés de la maladie.

Si les CLCC qui ne traitent que des cancers n’ont généralement pas décalé leurs chirurgies des tumeurs, en dehors de contextes régionaux particuliers, d’autres centres hospitaliers ont eu davantage de difficultés et ont dû reporter ces interventions. La situation tendue des établissements de soin, la fermeture de plusieurs services (radiologie, scanner, etc.) et la hiérarchisation des prises en charge engendrent « des retards de diagnostics mettant en péril de nombreuses vies », a récemment alerté la Ligue contre le cancer dans un communiqué.


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