mardi 14 avril 2020

Journal d’un parent confiné, semaine IV : devoir de vacance

Publié le 13 avril 2020

Alors que l’éducation nationale prône le travail pendant les congés de Pâques, Nicolas Santolaria et ses fils revendiquent le droit au farniente.


XAVIER LISSILLOUR

En France, pour faire face à la pandémie, on n’a pas de stock de masques, mais on a des idées. Le 31 mars, sur l’antenne de CNews, le ministre de l’éducation nationale, Jean-Michel Blanquer, faisait la démonstration de cette incroyable créativité en annonçant le lancement de l’opération « vacances apprenantes ». Kézako ?, se demande l’élève, déjà en train d’imaginer des scénarios de farniente pour la quinzaine de Pâques ? « Cela signifie que les professeurs peuvent donner des devoirs avant le début des vacances, pour que les enfants puissent travailler, de façon modérée d’ailleurs, parce qu’on a vu que les premières semaines ont parfois été très intenses », précisait le ministre dans la matinale de la chaîne d’information.

Injonction contradictoire

Voilà une étrange conception du repos. Rappelons tout d’abord que le terme « vacances » vient du verbe latin vacare, qui signifie « être libre, inoccupé ». Il semble donc bien mal se marier avec l’adjectif verbal « apprenant » qui, lui, évoque un cerveau en train de se remplir. Les spécialistes de rhétorique appellent cela un oxymore, soit une figure de style qui consiste à rapprocher deux termes que tout semble opposer. Comme cette fameuse « obscure clarté », évoquée dans Le Cid, de Corneille. Lorsque l’on a affaire à un poète, cette figure de style peut exprimer toute la subtilité d’une pensée paradoxale, complexe. Malheureusement, s’appliquant au domaine de l’action publique, l’oxymore a plutôt tendance à relever de l’injonction contradictoire, du nœud au cerveau, de la clarté obscure.
« Les vacances, c’est les vacances ! Pourquoi est-ce qu’il veut qu’on travaille, le ministre ? Moi, je suis pour des vacances reposantes »
Comme le souligne Bertrand Méheust, dans son ouvrage La Politique de l’oxymore (La Découverte, 2014), plus on produit d’oxymores et plus les gens sont désorientés et inaptes à penser. Lorsque j’ai évoqué les « vacances apprenantes » avec mon fils aîné, il m’a fait une réponse tautologique digne du film L’aventure, c’est l’aventure : « Les vacances, c’est les vacances ! Pourquoi est-ce qu’il veut qu’on travaille, le ministre ? Moi, je suis pour des vacances reposantes. » Une partie (qu’on imagine large) du corps enseignant semble se retrouver dans cette analyse : « Les enfants ne sont pas des machines apprenantes. Ils vivent une situation inédite. Confinés chez eux, privés de leurs amis, abreuvés d’informations anxiogènes… Qu’on leur foute la paix pendant quinze jours ! », écrivait sur Twitter Caroline, professeure des écoles.

Un petit geste immense

En tant qu’enseignant intérimaire, j’aspire moi aussi à souffler. En plus de la continuité pédagogique, mes enfants et moi avons eu récemment beaucoup de défis à relever, au premier rang desquels la gestion de la promiscuité. Or, de manière insidieuse, les « vacances apprenantes » laissent planer l’idée que les semaines de confinement n’auront finalement donné lieu qu’à une forme de « travail glandouillant », un temps scolaire mal rentabilisé et qu’il faut rattraper.
Contrairement à ce que semble supposer le ministre, pour s’adapter à cette situation d’exception, les élèves n’ont pas chômé, le corps enseignant non plus : il a fallu fournir des supports de cours, corriger les devoirs à distance, prendre des nouvelles de tous, maintenir la cohésion de la classe, bref s’employer sans compter… Chaque vendredi, l’enseignante de mon plus jeune fils retournait ainsi dans la salle de classe pour réaliser une petite vidéo et montrer aux enfants que rien n’avait changé, que leurs prénoms étaient toujours au tableau, les jouets à leur place. Un petit geste immense, que rien ni personne ne l’obligeait à faire.

Nietzschéisme managérial

Au lieu de saluer la bonne volonté de chacun, le ministère a choisi d’obscurcir le début des vacances de Pâques (pour la zone C) avec un affreux concept marketing aux allures de gros nuage. Directement importée de l’univers de l’entreprise, la notion d’« organisation apprenante », qui désigne une structure s’adaptant sans cesse aux évolutions de son écosystème, évoque une sorte de nietzschéisme managérial où tout ce qui ne nous tue pas est censé nous rendre plus fort. Comprendre : l’enseignement doit être accommodé à la sauce start-up. Car derrière les appels invitant les enseignants volontaires à faire du soutien scolaire, ce qui se joue ici est d’un autre ordre : la remise en cause du temps légitime de repos.
Les désirs du ministre n’ont pas tardé à produire leurs effets sur notre petite cellule familiale puisque nous avons reçu, au début des congés, une liste de devoirs et une incitation à lever le pied, bref, un message profondément contradictoire. Un peu à l’image des cahiers de vacances que l’on trimballait d’un lieu de villégiature estivale à un autre sans jamais les ouvrir, mais en se disant qu’on aurait dû, cette nouvelle pédagogie supplicielle ne donnera lieu (soyons lucides) qu’à des progrès très marginaux en termes de maîtrise de l’imparfait. Elle fonctionnera plutôt comme une culpabilité lancinante, un fil à la patte. Mais aura eu au moins une vertu : souligner notre incapacité chronique, durant le confinement comme le reste du temps, à être vacants. Capital à faire fructifier, nous devons nous remplir de séries formidables, de recettes extraordinaires, de livres éblouissants. Apprenants ? Plutôt boulimiques, incapables de saisir tout ce que la fréquentation du vide aurait à nous enseigner.

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