jeudi 19 mars 2020

Covid-19 : « Des confrères sont morts dans les tranchées hospitalières pour sauver des vies », témoigne un réanimateur italien

PAR 
ARIEL F. DUMONT -  
PUBLIÉ LE 19/03/2020

Crédit photo : DR
Alors que l’Italie vient de franchir la barre des 2 900 morts et des 35 000 cas déclarés depuis le début de l’épidémie de Covid-19, le Pr Alessandro Vergallo, président de l’association syndicale des réanimateurs et anesthésistes (AAROI-EMAC), qui représente 10 000 spécialistes italiens, brosse un état des lieux complet de la situation pour « Le Quotidien ». Il s'inquiète du risque de pénurie d'équipements de protection qui contribue à fragiliser psychologiquement la profession et fait le point autour de la polémique sur le triage des malades. « Les anesthésistes-réanimateurs n’ont abandonné aucun patient », martèle-t-il.
LE QUOTIDIEN : Quelles sont les conditions de travail de vos confrères actuellement en première ligne ?
Avec la propagation du virus, notamment dans les régions les plus touchées par l’épidémie comme la Lombardie, nous sommes au bord de la rupture en termes de rythme et de conditions de travail.
En Lombardie, le nombre de lits en réanimation a été doublé depuis le début de la crise. En temps normal, tous les lits ne sont pas occupés. Avec le nombre croissant de patients placés en soins intensifs et l’augmentation des lits, la charge de travail des anesthésistes-réanimateurs a augmenté de 80 %.

Jusqu’à présent, nos confrères ont affronté cette situation de grande crise avec beaucoup de courage. Toutefois, la peur d’une pénurie d'équipements de protection comme les masques et les combinaisons contribue à déstabiliser psychologiquement les réanimateurs car ils sont exposés au quotidien au risque de contamination biologique.
Pouvez-vous brosser un état des lieux du système hospitalier ?
Au sud du pays, les structures hospitalières ne sont en soi pas en mesure d’affronter une telle situation de crise. Plus qu’ailleurs, elles sont insuffisantes en moyens techniques, en centres et en main-d’œuvre. En revanche, cette partie du pays a eu plus de temps pour s’organiser puisque la progression du virus, comme l’indique la courbe de l’évolution du Covid-19, y est plus lente. Par conséquent, le pic pourrait y être moins élevé.
Au nord, l’épidémie est particulièrement virulente en Lombardie, Emilie-Romagne et Vénétie. Ces régions ont nécessité la mise en place de protocoles de soins ciblés. Notre expérience dans le nord pourrait aider le système sanitaire du sud de l’Italie mais aussi les autres pays européens touchés par la crise du Covid-19 à tenir le choc.
La question du triage des patients a suscité de nombreuses réactions d'un point de vue éthique. Comment réagissez-vous ?
Les médecins et les anesthésistes-réanimateurs font toujours des choix thérapeutiques pour des raisons d’ordre professionnel. Je ne parle pas d’éthique.
Il ne s’agit pas de choisir qui va vivre et qui va mourir mais de tenir compte des résultats cliniques, de ne pas tomber dans l’acharnement thérapeutique. Nous devons agir tant que nous savons que le patient réagit et qu’il peut être soigné. J’ai le sentiment que la discussion a explosé après la publication d’un document rédigé par la société scientifique des anesthésistes-réanimateurs qui évoquait les difficultés objectives des spécialistes face à une épidémie de cette ampleur et dans des situations d’exception liées à la médecine de catastrophe.
Les anesthésistes-réanimateurs n’ont abandonné aucun patient. Mais il est certain que le manque de lits a un impact sur l’hospitalisation des patients moins graves qui sont placés dans d’autres structures et dans d’autres départements hospitaliers. Tout est une question de priorité en situation d’exception. Le fait d’avoir doublé le nombre de lits en quelques jours à peine démontre que nous nous occupons de tous les patients sans faire le tri. Depuis le début de l’épidémie, des confrères et des paramédicaux sont morts dans les tranchées hospitalières après avoir été contaminés justement pour sauver le plus de vies possible. Ne semons pas le doute.
Lorsque l’épidémie sera jugulée, demanderez-vous au gouvernement italien de réformer le système sanitaire ?
Nous sommes en train de dresser un état des lieux national et international pour pouvoir organiser un système de prévention contre ce type d’épidémie. L’idée est de faire levier au niveau européen pour éviter à l’avenir les erreurs de coordination et de prévention commises.
Nous listons aussi les mesures adoptées en Italie pour enrayer la progression du virus, les délais de mise en place et la nature des indications logistiques données pour soigner les patients.
Il va falloir remodeler le système et renoncer à l’autonomie régionale en matière de santé pour remettre à niveau le paysage hospitalier et aussi renforcer les effectifs des anesthésistes-réanimateurs. Si le gouvernement refuse de nous entendre, nous organiserons des mouvements de grève sans précédent dans l’histoire de la médecine hospitalière.
Les modélisations sur l’évolution de la pandémie de Covid-19 indiquent plusieurs scénarios. Faut-il une gestion commune au niveau européen pour affronter une crise sur le long terme ?
La résolution de la crise sanitaire sera d’autant plus compliquée que les délais de propagation du virus sont différents pour chacun des pays d’Europe.
Après avoir réussi à créer un effet bouclier au niveau national, chaque état va devoir prolonger les mesures adoptées pour contenir l’épidémie tout en tenant compte de la circulation des marchandises et des citoyens.
Il faudra une remise à plat des mécanismes de l’Union européenne qui n’ont pas fonctionnés. Les différents organismes ont eu une attitude souverainiste. L’union européenne doit changer pour mieux protéger ses ressortissants en matière de politique sanitaire, de coordination et de soutien aux différents systèmes de santé.
Qu'avez-vous à dire à vos confrères français ?
L’épidémie a commencé en décembre et nous avons été frappés de plein fouet par un véritable tsunami en l’espace de quelques jours à peine. Je souhaite donc dire ceci à nos confrères français en ce moment difficile : ne sous-évaluez pas les anomalies cliniques que vous pourriez remarquer chez les patients observés.

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