jeudi 20 février 2020

Après une licence de psychologie, l’orientation délicate des « sans master »

Moins d’un étudiant sur deux en licence 3 de psychologie obtient une place en master dans cette discipline. Ils peuvent néanmoins s’orienter vers d’autres parcours.
Par  Publié le 20 février 2020
En juin dernier, alors qu’elle terminait sa licence de psychologie, Mélissandre a postulé à quinze masters dans cette discipline très demandée. « Je me disais que, comme ça, je pourrais avoir le choix entre plusieurs propositions. » Mais, de choix, l’étudiante toulousaine n’en a eu aucun. « J’ai vu les refus s’égrener, jusqu’au début du mois de juillet, où ma dernière demande a elle aussi été rejetée, raconte la jeune femme de 21 ans. Certes, je n’avais pas des notes étourdissantes, mais j’avais un projet professionnel précis, inscrit dans le domaine des troubles alimentaires. Je travaillais même dans une association spécialisée dans la boulimie et l’anorexie. »
Après ces multiples refus, Mélissandre peine à rebondir. « Ces candidatures m’avaient pris beaucoup d’énergie et se soldaient par de la frustration et du doute », se souvient-elle. Dépitée, elle cherche « un peu tout et n’importe quoi », pour ne pas se retrouver sans activité à la rentrée. Elle tombe finalement sur une offre en service civique : un poste dans une association qui lutte contre les inégalités scolaires dans un collège du Havre. Elle est acceptée. « Aujourd’hui, je retrouve peu à peu la confiance qui m’avait quittée. Je pense à retenter un master en psycho l’année prochaine. Ou bien un master en métiers de l’enseignement. »

« Faire comprendre aux étudiants qui entrent en première année que démarrer une licence de psychologie ne signifie pas forcément devenir psychologue à la fin »
Depuis la mise en place, à la rentrée 2017, de la sélection dès l’entrée du master 1 (et non plus en master 2), de nombreux étudiants en psychologie, licence en poche, n’ont pas la possibilité de poursuivre dans cette discipline. Si plusieurs facultés ont bénéficié d’une dérogation pour mettre en place la réforme progressivement, elles étaient toutes entrées dans le système à la dernière rentrée.
Actuellement, on compte environ 5 000 places en master 1 pour 12 000 étudiants en licence 3 de psychologie, selon les chiffres de l’Association des enseignants-chercheurs en psychologie (AEPU). Ce qui entraîne une « sélection drastique », convient son président, David Clarys, également doyen de l’UFR de sciences humaines de l’université de Poitiers. Il y voit certains avantages : « Cela évite, comme dans le système précédent, de couper les étudiants en plein milieu d’un master. Autant qu’ils se réorientent avant. »
Mais vers quelles alternatives se tourner après trois années investies dans une filière où seul le master permet d’obtenir le titre réglementaire de psychologue ? « L’enjeu est de faire comprendre aux étudiants qui entrent en première année que démarrer une licence de psychologie ne signifie pas forcément poursuivre en master, ni devenir psychologue à la fin », insiste Grégoire Borst, directeur du master de psychologie de l’éducation à Paris-Descartes.

Enrichir son CV

Dans cet établissement, qui a mis en place la sélection en fin de licence bien avant la réforme, on entend présenter dès la première année les différents domaines et métiers auxquels peuvent prétendre les détenteurs d’une licence de psychologie. « Il s’agit d’ouvrir le champ des possibles : sciences sociales, sciences cognitives, ingénierie du vivant, éthique, enseignement, ou encore certaines licences professionnelles, comme celle consacrée à l’autisme dans notre université, détaille Grégoire Borst. Dans toutes ces filières, les compétences acquises pendant trois ans peuvent être valorisées. »
Reste que de nombreux étudiants ne veulent pas renoncer au titre de psychologue, nécessaire pour exercer. Beaucoup se rendent à l’étranger, en Belgique notamment, pour poursuivre en master. « Mais la reconnaissance du diplôme étranger et l’obtention du titre en France ne sont pas assurées », avertit Grégoire Borst. Certains font le choix d’une année sabbatique, au cours de laquelle ils enrichissent leur CV afin de retenter leur chance l’année suivante.
« Nous ne pouvons pas accepter des candidatures si on considère les dossiers académiques insuffisants pour prendre en charge des patients deux ans plus tard »
Ce fut le cas pour Marie, 24 ans, qui a fait les frais du nouveau système. Elle était entrée sans sélection en master 1 à l’université Lyon-2, la dernière année avant la réforme. Elle n’a pas validé son année, a redoublé, mais s’est retrouvée mêlée pour son second master 1 à des étudiants qui eux, avaient été sélectionnés. Pour la suite, en master 2, il n’y avait pas de place pour tous les étudiants redoublants issus de l’ancien système. Marie s’est alors tournée vers un service civique, au sein d’une association luttant contre le décrochage scolaire, avec l’idée de postuler à nouveau en fin d’année.
Acquérir une expérience professionnelle avant de retenter une admission, une bonne tactique ? L’enseignant David Clarys met en garde : « Cette stratégie est rarement payante, surtout si les candidats n’ont pas été retenus en raison de leurs notes, qui ne changeront pas. » Cet accent mis sur la notation agace Gaelle, 27 ans, dont les demandes de masters ont toutes été refusées l’année dernière en raison de son dossier universitaire. « Cela fait des années que je mûris un projet professionnel très solide pour devenir sexologue-psychologue. J’ai de multiples activités professionnelles, j’ai lancé un magazine sur la sexualité, j’interviens dans des conférences. Les notes ne disent pas tout », pointe la Strasbourgeoise. « La sélection se base aussi sur le projet de l’étudiant et sur ses activités annexes, tempère David Clarys. Pour autant, nous ne pouvons pas accepter des candidatures si on considère les dossiers académiques insuffisants pour prendre en charge des patients deux ans plus tard. »

Parcours du combattant

En outre, ce système fait de nombreux déçus, mais son fonctionnement est encore loin d’être optimal. Ainsi, avec le jeu des désistements, certains masters ne voient pas toutes leurs places remplies. Le « droit à la continuité des études » que consacrait la réforme instaurant la sélection en master est-il vraiment applicable ? Pour la Fédération des associations générales étudiantes (FAGE), le bilan de ce dispositif, censé trouver une place dans un master à ceux restés sur le carreau, reste insuffisant. En 2019, 900 recours ont été déposés par des étudiants en licence de psychologie « sans master », ce qui en fait la filière la plus touchée. « Pour eux, obtenir une proposition relève souvent du parcours du combattant. Celles qui sont faites, souvent éloignées des projets professionnels des étudiants, les satisfont rarement », regrette Orlane François, la présidente de la FAGE.
A Clémentine*, on avait proposé en 2017 une place dans un master « stratégie et ingénierie de la formation d’adultes » à Rennes. « Je ne comprenais même pas l’intitulé », lâche la jeune femme de 24 ans avec ironie. Elle s’inscrit malgré tout, s’ennuie ferme, mais valide son année. « Cela m’a fait me poser plein de questions. » Elle finit par trouver des réponses en s’inscrivant dans une école d’éducateur spécialisé. Un métier qui l’enthousiasme, au point qu’elle se demande aujourd’hui : « Et si tout cela n’était pas, tout compte fait, un mal pour un bien ? »
*Le prénom a été modifié

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