vendredi 24 janvier 2020

JOURNÉE CONTRE LA SOLITUDE «Deux millions de jeunes sont isolés ou risquent de l’être»

Par Emmanuèle Peyret — 

La solitude a grimpé de 3 % en trois ans selon le Credoc.
La solitude a grimpé de 3 % en trois ans selon le Credoc. 
Plainpicture. Miguel Sobreira

En ce jeudi, journée mondiale contre la solitude, Djelloul Belbachir, délégué général de l’association Astrée, dresse un état des lieux en France. Et pointe notamment la situation des 15-30 ans.

La solitude, un bien joli mot quand elle est choisie, le pire, sans doute, quand elle est subie. Dans notre pays de 67 millions d’habitants, 13 % de la population serait touchée par ce qu’il est convenu d’appeler un fléau, selon une étude publiée l’an dernier par l’institut BVA pour l’association Astrée, qui lance ce jeudi la 3journée mondiale de la solitude, sous le patronage du ministère des Solidarités et de la Santé. Selon l’association, fondée il y a plus de trente ans par Gilbert Cotteau, la solitude est en forte augmentation. Et les plus touchés par cette situation sont sans équivoque les jeunes, qui représentent «60 % des personnes concernées», selon l’étude.

Evidemment, les journées mondiales ne permettent pas de trouver des solutions immédiates, mais elles remettent l’éclairage sur toutes les formes de solitudes, et sur les pistes pour en sortir. Entretien avec Djelloul Belbachir, délégué général d’Astrée.
Pouvez-vous nous parler de l’association ?
Notre volonté est de rompre les solitudes, quel que soit l’âge, grâce à des bénévoles formés à l’accompagnement. Chaque bénévole s’engage à rencontrer physiquement une personne isolée, toujours la même, toutes les semaines et dans la durée. L’association est présente dans 17 villes et agit grâce à un réseau de 550 bénévoles. Les personnes isolées sont de tous âges avec majoritairement des femmes. Cela peut s’expliquer par une plus grande facilité des femmes à demander de l’aide. La solitude est souvent associée à un sentiment de honte, de ne pas avoir de valeur. Il est essentiel de déculpabiliser ceux et celles qui vivent ces situations pour qu’elles osent en parler.
La solitude toucherait toutes les catégories et tous les âges de la population, selon les enquêtes que vous avez menées ?
La moyenne d’âge des gens que nous accompagnons est de 50 ans. Certaines d’entre elles ont 18 ans et d’autres 80. C’est un phénomène qui n’épargne personne et touche 13 % de la population. La Fondation de France, qui nous donne ce chiffre dans le cadre de ses enquêtes régulières, définit comme isolées les personnes ne rencontrant jamais physiquement les membres de tous leurs réseaux de sociabilité, au nombre de cinq : famille, amis, voisins, collègues de travail ou activité associative ou ayant uniquement des contacts très épisodiques avec ces différents réseaux.
Beaucoup de ceux qui viennent à nous ramènent cette solitude à des ruptures : le décès d’un proche, le divorce ou la séparation, la perte d’emploi et des difficultés financières… D’autres nous parlent de maladie et de perte d’autonomie. Contrairement à ce que l’on pourrait penser avec la multiplication des technologies de communication, la solitude ne baisse pas : elle a augmenté de 3 % en trois ans, selon les chiffres de l’étude annuelle du Credoc pour la Fondation de France. Il semblerait que cette solitude soit structurelle dans nos sociétés modernes.
Comment avez-vous pris la mesure de la solitude des jeunes, qui sont pourtant par définition dans des groupes scolaires, sportifs, ludiques ?
Deux millions de jeunes entre 15 et 30 ans sont isolés ou en risque de l’être en fonction de la fréquence des contacts avec les cinq réseaux de sociabilité. De surcroît, ce sont les jeunes qui sont le plus sensibles au sentiment de solitude, même pour les adolescents de moins de 15 ans. La solitude peut exister même lorsque quelqu’un est entouré. Dans ces situations, ce n’est pas la quantité des relations qui questionne, mais la qualité. C’est la raison pour laquelle nous organisons des interventions dans les collèges, afin de favoriser la bienveillance, l’empathie et le soutien entre les adolescents. Pour les 15-30 ans, quitter le cocon familial, l’éloignement géographique pour les études ou encore l’insertion dans la vie professionnelle peuvent être des facteurs de solitude. Quant aux adolescents, il s’agit de solitude ressentie dont une explication pourrait être l’addiction aux écrans.
Justement, n’y a-t-il pas un paradoxe écrasant avec les portables, Internet, Facebook, Instagram, WhatsApp, etc. qui donnent un sentiment d’appartenance à une communauté ?
Il semble que plus on passe de temps sur les réseaux sociaux et autres moyens de communication numériques passifs et plus le sentiment de solitude s’amplifie. Il ne s’agit pas de dire que les réseaux sociaux sont à l’origine du sentiment de solitude mais il existe un lien entre ce sentiment et l’utilisation accrue de ces outils. Cela semble cohérent dans le sens où ce temps passé dans le virtuel n’est pas consacré aux «vraies» relations. Le virtuel ne remplace pas le réel et par ailleurs, le sentiment de solitude vient quand la qualité des relations n’est pas au rendez-vous. Ces relations par le biais d’écrans ne sont sans doute pas aussi satisfaisantes que les relations réelles. Si ces contacts virtuels sont recherchés, c’est sans doute pour leur facilité, leur instantanéité. Ils permettent de réduire la crainte du rejet de soi par les autres.
Comment ces jeunes décrivent-ils leur solitude ?
Elle est souvent associée à l’exclusion, à un sentiment de non-appartenance au groupe, au rejet et en particulier au rejet de la différence. Cette question de la différence revient souvent : on est trop ceci ou pas assez cela, pas assez dans le système très normatif de cette classe d’âge. Ou alors les ados nous disent qu’ils voient d’autres jeunes manger seuls ou être isolés dans la cour. Naturellement, ce sont des situations qui entraînent du mal-être, touchent à l’image de soi et peuvent conduire au repli. Pour que ces adolescents se sentent sécurisés et en confiance, nous proposons aux collèges un programme de soutien par les pairs. En pratique, des élèves volontaires que nous formons ont comme première mission de faciliter le début de la scolarité des élèves de 6e. Ensuite, ces élèves identifiés comme personnes-ressources interviennent, comme une équipe de soutien auprès de ceux qu’ils identifient en risque d’isolement ou d’exclusion. C’est important de faire confiance aux jeunes, en les appuyant pour qu’ils soient activement solidaires de ceux qui vivent des difficultés.

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