jeudi 26 décembre 2019

La leçon de Noël de Claude Lévi-Strauss

Mis en ligne le 13/09/2012

Pourquoi voulons-nous que nos enfants croient au Père Noël ? Voici la réponse lumineuse du célèbre anthropologue, disparu le 30 octobre 2009. [À relire]

Et si les Indiens Pueblo d’Amérique de l’Ouest, avec leur croyance dans l’esprit des morts, nous permettaient de comprendre la fonction du Père Noël ? Voilà le détour étonnant que propose Claude Lévi-Strauss et qui lui permet de prédire un long avenir à ce « nouveau » rite païen. C’était en 1952, dans un article intitulé « Le Père Noël supplicié » paru dans Les Temps modernes. Les catholiques brûlaient alors l’effigie du Père Noël quand des intellectuels de gauche dénonçaient un mythe créé par la société de consommation. Dans une magistrale leçon d’anthropologie structurale appliquée, Lévi-Strauss démontre que la croyance au Père Noël n’est pas seulement une mystification infligée par les adultes aux enfants, mais une forme d’échange, « le résultat d’une transaction fort onéreuse » : en comblant les enfants de leur générosité, les vivants règlent leurs comptes avec les morts ! Comme toujours chez l’anthropologue, la comparaison des mythes a une fonction ultime qui est profondément philosophique. C’est la raison pour laquelle nous avions demandé à Claude Lévi- Strauss l’autorisation de publier des extraits de ce texte à la veille de Noël. Il nous avait amicalement donné son accord le 17 octobre 2009. Aujourd’hui, au lendemain de sa disparition survenue le 30 octobre, c’est une occasion redoublée pour nous de saluer l’un des plus grands penseurs du siècle.
Les fêtes de Noël 1951 auront été marquées, en France, par une polémique à laquelle la presse et l’opinion semblent s’être montrées fort sensibles et qui a introduit dans l’atmosphère joyeuse habituelle à cette période de l’année une note d’aigreur inusitée. Depuis plusieurs mois déjà, les autorités ecclésiastiques, par la bouche de certains prélats, avaient exprimé leur désapprobation de l’importance croissante accordée par les familles et les commerçants au personnage du Père Noël. Elles dénonçaient une « paganisation » inquiétante de la fête de la Nativité, détournant l’esprit public du sens proprement chrétien de cette commémoration, au profit d’un mythe sans valeur religieuse. Ces attaques se sont développées à la veille de Noël ; avec plus de discrétion sans doute, mais autant de fermeté, l’Église protestante a joint sa voix à celle de l’Église catholique. Déjà, des lettres de lecteurs et des articles apparaissaient dans les journaux et témoignaient, dans des sens divers mais généralement hostiles à la position ecclésiastique, de l’intérêt éveillé par cette affaire. Enfin, le point culminant fut atteint le 24 décembre, à l’occasion d’une manifestation dont le correspondant du journal France-Soir a rendu compte en ces termes :
Devant les enfants des patronages, le Père Noël a été brûlé sur le parvis de la cathédrale de Dijon
Dijon, 24 décembre (dép. France-Soir)


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