mardi 5 novembre 2019

Chez les étudiantes, un nouveau rapport à la contraception

Prescriptions moins normées, écoute plus individualisée : à l’espace santé de l’université de Bordeaux, les jeunes femmes s’émancipent des schémas de contraception classiques.
Par   Publié le 4 novembre 2019
ISABEL ESPANOL
Dans la salle d’attente de l’étage aux portes mauves, on reconnaît certaines jeunes femmes à la fiche verte qu’elles froissent entre leurs mains. Ces étudiantes, discrètes, ont rendez-vous avec une sage-femme. Ici, elles bénéficient du tiers payant intégral et n’avanceront donc aucun frais. Mais là n’est pas l’unique raison de leur présence à l’Espace santé de l’université de Bordeaux. Elles savent, par le bouche-à-oreille et les forums sur Internet, qu’elles vont pouvoir y échanger librement sur des sujets intimes et parfois délicats : leur sexualité et leurs modes de contraception.
Alicia, 18 ans, accepte de témoigner, porte fermée : « Avant de venir ici, j’ai vu une gynéco très vieux jeu dans un cabinet libéral à Bordeaux. Je voulais des renseignements sur le stérilet en cuivre, je suis repartie avec une ordonnance pour la pilule ! Elle a commencé par me demander si j’avais eu des enfants… J’ai senti que le dialogue allait être compliqué… En bref, elle me disait : “C’est moi la spécialiste et tais-toi”. »
Ici, sur le campus de Pessac (60 000 étudiants) de l’université de Bordeaux, l’approche est inversée : « On part du principe que la patiente sait mieux que nous ce qui est bien pour elle », explique Mathilde Lafaysse, médecin généraliste avec une formation complémentaire en gynécologie. La volonté, partagée par les deux sages-femmes et quatre consœurs généralistes du cabinet, est de se montrer très ouvertes lors des consultations, sans a priori. « Les étudiantes nous disent souvent que c’est la première fois qu’elles sont reçues ainsi. A travers leur approche, certains professionnels de santé reproduisent indéfiniment une forme de maltraitance », regrette Mathilde Lafaysse, 40 ans, elle-même mère de trois filles.

Le temps de l’écoute et de la parole

La patiente a-t-elle effectivement besoin d’une contraception ? A-t-elle des rapports hétérosexuels ou homosexuels ? A-t-elle envie de tomber enceinte ? A-t-elle subi des violences ? « On ne fait pas de suppositions sur des éléments qu’on ne connaît pas, ajoute Mathilde Lafaysse. On s’interdit aussi l’examen gynécologique systématique quand cela n’est pas nécessaire. » Avec trente minutes de consultation – une exception –, l’équipe prend le temps de l’écoute et de la parole.
« A l’Espace santé, les médecins ont l’habitude de voir des jeunes qui, comme moi, commencent tout juste leur contraception, poursuit la jeune Alicia, étudiante en deuxième année de droit. Moi, je suis très angoissée par le sujet, j’ai besoin de temps pour être à l’aise et poser toutes mes questions. » Sans partenaire régulier, mais ayant une « vie sexuelle épanouie » depuis son premier rapport il y a quelques mois, Alicia reste traumatisée par un « craquage de capote » et les effets secondaires de la pilule du lendemain. Depuis, elle conjugue préservatif et patch contraceptif, en attendant d’être prête pour la pose d’un stérilet. « Au début, je pensais que la contraception était réservée à celles qui sont en couple. Mais je ne veux plus prendre de risque, j’ai besoin d’un parachute de secours. »
A la sortie de sa pénible consultation en cabinet libéral, Alicia avait jeté son ordonnance, convaincue qu’elle ne prendrait jamais cette pilule tous les jours, incompatible avec sa difficulté à avaler des comprimés et son côté tête en l’air. Aujourd’hui, les garçons imaginent, en voyant son patch, qu’elle porte un pansement sur la cuisse. « La médecin de l’Espace santé m’a montré un stérilet. On en fait tout un plat mais en vrai, c’est plus petit qu’un tampon ! J’ai vu aussi comment elle l’introduit dans le col de l’utérus, elle a fait une simulation pour me rassurer. Et même si mon patch est microdosé, pour moi, ça reste une solution transitoire : modifier ce qui se passe naturellement dans mon corps avec des hormones me dérange beaucoup. »

Déclin de la pilule

Depuis le scandale de 2012-2013 autour des pilules de 3e et 4e générations, qui a révélé qu’elles étaient associées à un risque de thrombose, les étudiantes ont-elles eu tendance à délaisser cette méthode de contraception ? « Malgré des évolutions, le schéma contraceptif en France est longtemps resté figé : utilisation du préservatif au moment de l’entrée dans la sexualité, adoption de la pilule au moment de la mise en couple, jusqu’à son remplacement par le DIU [dispositif intra-utérin ou stérilet] chez les femmes ayant des enfants », indique l’étude de Santé Publique France de 2016.
Selon cette étude, si la pilule reste aujourd’hui la première méthode de contraception pour les 20-24 ans, son utilisation est passée de 60 % en 2010 à 52,6 % en 2016. Pour cette même tranche d’âge, le stérilet gagne du terrain, avec 4,7 % d’utilisatricesUne enquête de l’Observatoire national de la vie étudiante datant de 2018 conduit à des résultats proches : 62 % des étudiantes interrogées ayant des rapports sexuels prennent la pilule, 8 % utilisent un stérilet, et 4 % un implant ou un anneau.
« La contraception n’est plus de l’unique ressort du professionnel, c’est à la femme de choisir, une fois qu’elle dispose de toutes les données »
Contrairement aux idées reçues et selon les recommandations scientifiques, il n’y a aucune raison que le stérilet soit réservé aux femmes ayant déjà eu des enfants. Oui, mais… « Il faut compter environ six ans entre l’annonce d’une recommandation professionnelle et sa réelle mise en œuvre sur le terrain, déplore Isabelle Derrendinger, secrétaire générale du conseil national de l’ordre des sages-femmes. On assiste aujourd’hui à un changement de paradigme : le professionnel doit s’adapter au désir de la femme. La contraception n’est plus de son unique ressort, c’est à la femme de choisir, une fois qu’elle dispose de toutes les données. »

Pas de hiérarchie dans les modes de contraception

A l’Espace santé de l’université de Bordeaux, le stérilet représente désormais 17 % des choix des étudiantes. « On essaie de s’adapter à un glissement des mentalités, détaille Mathilde Lafaysse. Le service est connu et reconnu pour cela : certaines patientes viennent ici parce qu’elles l’ont identifié comme lieu ressource pour la pose du DIUalors qu’elles ont auparavant été confrontées aux réticences d’autres professionnels. »
Marine Rondos, 28 ans, sage-femme à l’Espace santé de Bordeaux, dénonce au passage « l’attitude conservatrice et paternaliste » d’une poignée de professionnels de la santé. « Les étudiantes représentent une population qui réfléchit. Elles s’informent et ne sont pas plus libertines que les autres. Pourquoi, par exemple, refuser un stérilet à une jeune femme simplement parce qu’elle n’est pas en couple depuis plus de six mois ? »
Pour l’équipe du centre, il ne doit pas exister de hiérarchie entre la pilule ou le stérilet, le patch ou l’implant. Tout dépend du contexte de vie de l’étudiante, qui va elle-même faire son choix. Par exemple, si elle vit chez ses parents et n’est pas « censée » avoir de relations sexuelles, il existe un risque d’échec avec l’option de la pilule, sa prise étant forcément quotidienne et à heure fixe.
Cette approche basée sur l’écoute est d’autant plus importante pour les étudiantes qui, sociologiquement, de par leur capital culturel et leur expérience de transition vers une vie d’adulte, portent un regard plus critique sur le « pouvoir » des médecins. « Plus on a un niveau d’études élevé, plus on est en mesure de contester les normes dominantes. Et puis, les jeunes générations ont moins cette mémoire politique de ce qu’a représenté la légalisation de la contraception en France », analyse Nathalie Bajos, directrice de recherche à l’Inserm.

Parfois, des parcours « chaotiques »

Dans les années 1970, les effets secondaires de la pilule étaient relégués au second plan : l’enjeu majeur pour les femmes était de pouvoir contrôler elles-mêmes leur fécondité, de gagner une plus grande liberté, avec une envie de développer leur vie professionnelle. « Au fil des générations, la transmission de cette lutte s’est atténuée, poursuit la sociologue et démographe Nathalie Bajos. Aujourd’hui, alors que la pilule représente une évidence sociale, on peut davantage mettre en avant ses effets secondaires – la perte de libido, les troubles de l’humeur, les nausées, etc. » Plus largement, chez les étudiantes, les critiques de la pilule s’inscrivent dans un vaste mouvement de défiance vis-à-vis d’une « hypermédicalisation », de la prise d’hormones de synthèse. Sans oublier une forme de rejet du contrôle du médecin sur leurs corps.
« Face à la parole divine du médecin, j’étais incapable d’affirmer que je ne voulais pas de la pilule »
Alexandra, 22 ans, qui vient de terminer son master 2 en économie sociale et solidaire à l’université de Bordeaux, raconte sans tabou son « parcours chaotique de contraception ». Première pilule à 18 ans : dépression, plaques dans le dos, arrêt au bout de six mois. « Face à la parole divine du médecin, j’étais incapable d’affirmer que je n’en voulais pas. » Deuxième pilule pendant près d’un an : douleurs de règles insupportables. Stérilet hormonal ensuite, le temps de son Erasmus au Portugal : « J’avais des contractions tous les mois, mon corps essayait de l’expulser. Je n’ai jamais eu aussi mal de ma vie. Je n’avais plus de vie sexuelle, plus rien n’était possible. » On ne détaille pas les effets de la troisième pilule, puis du stérilet en cuivre : « J’ai décidé de tout arrêter. Le préservatif est devenu la seule contrainte acceptable », lâche Alexandra, qui reconnaît qu’avec son médecin de famille, désormais à la retraite, elle ressentait « un gros décalage de génération ».
« Il n’existe pas une méthode de contraception idéale pour toutes les femmes et les hommes, l’enjeu est de trouver celle qui convient le mieux », souligne Nathalie Bajos. Un précepte parfaitement intégré par Emmanuelle (prénom d’emprunt), 21 ans, rencontrée à la sortie de son rendez-vous à l’Espace santé. Pour cette étudiante en médecine, la pilule ne pose aucun problème : « J’ai le même copain et la même pilule depuis six ans. Je ne fume pas, pas de prise de poids, pas d’acné, ça roule. » A chacune de trouver sa voie.
*OVE : http://www.ove-national.education.fr/wp-content/uploads/2019/01/Reperes_sante_etudiants_2018-1.pdf

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