jeudi 10 octobre 2019

Syndrome confusionnel des patients hospitalisés, que font les antipsychotiques ?

Publié le 05/10/2019

Un syndrome confusionnel est fréquemment observé chez les patients hospitalisés. La prévalence est d’environ 20 % dans la population générale mais peut culminer à 80 % chez les patients en soins intensifs ventilés artificiellement. Il associe diminution soudaine de l’attention et de la conscience, désorientation, troubles cognitifs fluctuant sur 24 heures. Il peut être à l’origine de nombreux effets délétères, dont une prolongation de la durée d’hospitalisation, une institutionnalisation, des atteintes cognitives persistantes, voire un accroissement de la mortalité. Les facteurs prédisposants sont multiples : âge avancé,  troubles neuro psychiques pré existants, utilisation préalable de benzodiazépines ou de drogues sédatives autres, sévérité de la maladie causale, présence d’un état septique.

Bien qu’il n’existe, sur le plan thérapeutique, aucun médicament approuvé par l’US Food and Drugs Administration, l’halopéridol et les antipsychotiques de seconde génération sont fréquemment utilisés pour combattre ce syndrome, notamment chez les patients en état critique. A ce jour cependant, la balance bénéfices/ risques de ces différentes approches reste mal définie. Une revue systématique a donc été conduite à partir d’essais cliniques randomisés (ECR) et d’études observationnelles (EO), afin de définir la place de l’halopéridol et des antipsychotiques plus récents, vs placebo ou autres médicaments, chez des adultes hospitalisés victimes d’un syndrome confusionnel.

Les principaux paramètres étudiés étaient l’impact sur les fonctions cognitives, la durée d’hospitalisation, la sévérité et la durée du syndrome confusionnel, l’importance de la sédation induite, la durée de l’administration des antipsychotiques, la mortalité et les effets iatrogènes cardiaques et/ ou neurologiques.

Cette analyse a été menée dans la population générale mais également dans certains sous-groupes spécifiques, tels que les patients en réanimation, ceux de plus de 65 ans, opérés, en unité de soins palliatifs ou encore présentant déjà une démence. Elle a fait appel aux principales banques de données informatiques, depuis leur création jusqu’au 11 Juillet 2019, sans restriction à la seule langue anglaise. Comme habituellement, un lecteur critique a examiné les données et en précisé le niveau de preuve (SOE), un second a confirmé tandis que 2 autres, de manière indépendante, ont calculé le risque de biais (ROB). Ont été exclus les travaux sans diagnostic validé du syndrome confusionnel.

Vingt-six publications, au total, remplissaient les critères d’éligibilité de la revue systématique (soit 5 607 participants). Il y avait 16 ECR (n = 1 768), dont 9 avec ROB faible et 10 EO (n = 3839), dont 9 avec ROB modéré ou notable. Toutes les études avaient été conduites chez des patients hospitalisés, dont 7 uniquement chez des malades en soins intensifs. Il n’était décelé aucune différence sur la cognition de départ, appréciée à l’aide du Mini Mental State Examination, entre les patients ayant reçu l’halopéridol et les antipsychotiques de deuxième génération (olanzapine, rispéridone, quetiapine…).

Pas d’impact sur la longueur de l’hospitalisation, la sédation, la durée de la confusion et la mortalité

Douze ECR (n = 924), dans diverses populations, ont étudié la sévérité du syndrome confusionnel sous antipsychotiques, notamment l’halopéridol, vs placebo. Les résultats ont été, en règle, contradictoires, sans différences significatives et avec un SOE insuffisant. Il en était de même lors de la comparaison des 3 antipsychotiques récents cités supra avec l’halopéridol ou entre eux.

L’examen de la durée d’hospitalisation, dans 4 ECR conduits en milieu de soins intensifs médico-chirurgicaux ne relève pas non plus de différence significative, tant pour la comparaison halopéridol vs placebo (SOE modéré) que lors de la comparaison ziprasidone ou quetiapine vs placebo ou halopéridol (SOE la encore modéré). Aucun essai n’a étudié les effets des différents antipsychotiques de seconde génération entre eux sur la durée d’hospitalisation, ni n’a porté sur la durée nécessaire de maintien de ces médicaments.

Onze ECR (n = 1 150) et 6 EO (n = 324) ont porté sur l’importance de la sédation induite. Là encore il n’est noté aucune différence manifeste pour le risque de sédation excessive sous halopéridol vs placebo (risque relatif RR : 1,81 ; intervalle de confiance à 95 % IC : 0,71- 4,62). Des résultats similaires ont été retrouvés lors de la comparaison quetiapine et ziprasidone vs placebo, tant chez des patients en état critique que chez d’autres sans détresse vitale (RR : 1,10 ; IC : 0,78-1,53 ; ROB modéré).

La durée du syndrome confusionnel a été analysée dans 9 ECR (n = 1 113). Aucun impact notable n’est décelé, tant avec l’halopéridol qu’avec la ziprasidone ou la quetiapine vs placebo. Il en va pareillement dans 6 autres ECR comparant 4 antipsychotiques de seconde génération avec l’halopéridol.

La mortalité intra hospitalière ou à 30 jours a été étudiée dans 8 ECR (n = 1 102, avec différents ROB), chez des patients en soins intensifs ou non. Aucun impact significatif n’est observé sous halopéridol (RR mixé : 0,98 ; IC : 0,75- 1,27), hormis dans un seul essai ayant concerné des malades en soins palliatifs dans lequel est constatée une moindre survie sous halopéridol (HR : 1,73 ; IC : 1,20- 2,50). Les mêmes type de résultats, négatifs, sont retrouvés avec les antipsychotiques de seconde génération, à l’exception, fait notable, là encore d’ une diminution (non significative) de la survie sous rispéridone chez des patients en soins palliatifs.

Des effets secondaires possibles avec les antipsychotiques de deuxième génération

Six ECR (n = 958) et 4 EO (n = 3474) ont rapporté la possibilité d’effets secondaires cardiaques en cours de traitement. Alors qu’aucun retentissement sur la durée de l’intervalle QT n’est décelé sous halopéridol, le recours à la ziprasidone ou à la quetiapine est apparu associé à une augmentation du QT corrigé (RR mixé : 1,57 ; IC : 0,90- 2,76). Les effets neurologiques ont, quant à eux, été analysés dans 14 ECR (n = 1 599) et 8 EO (n = 2 874). Une méta analyse sur 808 patients en soins intensifs n’a retrouvé, sous halopéridol, aucune majoration d’une symptomatologie extra pyramidale (RR : 0,77 ; IC : 0,29- 2,02), ces résultats étant toutefois en contradiction avec une autre série de 249 patients, là encore en état critique. Les antipsychotiques de deuxième génération n’aggravent pas non plus les signes extra pyramidaux (RR : 0,44 ; IC : 0,14-1,34). Aucune observation de syndrome malin des neuroleptiques n’a été rapportée.

Ainsi, cette revue systématique de 26 ECR et EO, ayant inclus 5 607 patients adules hospitalisés n’est pas en faveur de l’utilisation en routine de l’halopéridol ou d’antipsychotiques de seconde génération en cas de syndrome confusionnel. En effet, sous ces traitements, aucune différence n’a pu être mise en évidence, vs placebo, en ce qui concerne la durée d’hospitalisation, la sédation, la durée du délire et la mortalité. Aucune différence non plus n’a été constatée entre halopéridol et antipsychotiques plus récents sur les fonctions cognitives, la sévérité du délire ou la durée d’hospitalisation. Toutefois, cette revue systématique a attiré l’attention sur des effets iatrogènes plus fréquents, potentiellement graves, avec les antipsychotiques de seconde génération, vs placebo ou halopéridol, notamment la prolongation de l’espace QT.

Cet ensemble de constatations recoupent en grande partie ceux de publications récentes, dont les résultats d’une revue Cochrane ayant porté spécifiquement sur des patients en soins intensifs, avec une recherche bibliographique menée jusqu’en Mars 2019. Ils sont en accord avec les recommandations cliniques actuelles, notamment celles, en 2018, de la Society of Critical Care Medecine, qui ne préconisent pas l’emploi, en routine, des antipsychotiques pour combattre un syndrome confusionnel. Quelques réserves se doivent d’être mentionnées. La majorité des études a porté sur des malades en état critique. N’ont pas été pris en compte les patients porteurs d’affections neurologiques ou cardiovasculaires préalables. L’hétérogénéité des publications est marquée, tant pour les posologies que la fréquence ou les voies d’administration des différents médicaments utilisés. Les instruments permettant de quantifier la confusion ont été restreints…

Au total, ces résultats ne sont pas en faveur du recours, en pratique quotidienne, des antipsychotiques pour traiter un syndrome confusionnel chez des patients adultes hospitalisés. De plus, les effets secondaires pourraient être plus élevés en cas d’emploi d’antipsychotiques de deuxième génération. Des recherches ultérieures restent nécessaires pour préciser leur impact thérapeutique dans des groupes spécifiques de patients, tels ceux avec un âge avancé ou en unité de soins palliatifs.

Dr Pierre Margent
RÉFÉRENCE
Nikooie R et coll. : Antipsychotics for Treating Delirium in Hospitalized Adults : a Systematic Review. Annals Intern Medecine ; 3 September 2019. doi: 10.7326/M19-1860.

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