mercredi 28 août 2019

Délier les langues pour relier les mondes


Dans une classe de Quimper (Finistère) en 2017.
Dans une classe de Quimper (Finistère) en 2017. Photo Fred Tanneau. AFP



La France est aujourd'hui un pays multilingue, pourtant de nombreuses langues parlées par les élèves ne trouvent toujours aucune place à l'école. A quand une éducation inclusive ?

Tribune. «Je ne veux pas parler espagnol, on est en France, ici mes copains parlent français», dit un enfant franco-colombien de 5 ans. «Aucun problème pour chanter une comptine en anglais. Mais une berceuse en lingala, je ne suis pas sûre d’en avoir le droit», déclare une professionnelle de la petite enfance dans une crèche en région parisienne. Aujourd’hui, en France, on parle de nombreuses langues autres que le français, langue officielle de notre République. La France est donc bien un pays multilingue, comme de nombreux autres pays d’ailleurs et, à vrai dire, elle l’a toujours été. Mais l’idéologie de l’Etat-nation a instauré dans notre culture un monolinguisme qui a fortement marqué notre imaginaire, et en particulier notre système éducatif. Certes, on enseigne les langues étrangères depuis très longtemps mais de nombreuses langues parlées par les élèves n’y trouvent toujours aucune place.

De l’inégalité des langues et des bilinguismes

En France, comme le dit l’élève cité plus haut, on parle français, on apprend en français et «le» français, au singulier, mais la pluralité des pratiques orales et écrites actuelles des Français et des francophones dans le monde, tout comme la pluralité des langues parlées par de nombreux enfants dans leur famille, y reste invisible. De même, dans une crèche française, il est légitime de chanter en anglais mais pas en lingala.
On l’aura compris, les langues ne sont pas égales, ni dans la société ni à l’école et certains bilinguismes sont valorisés (quand il s’agit de langues européennes telles que l’anglais ou l’allemand) et d’autres sont stigmatisés quand il concerne les langues de la migration. Si l’on estime qu’en France, aujourd’hui, environ un enfant sur quatre grandit avec deux ou plusieurs langues dans sa famille, il est légitime de se demander ce que ces langues deviennent à l’école. La réponse est déconcertante : ces enfants bi/plurilingues redeviennent pour la plupart monolingues à l’école, où leurs compétences linguistiques sont soit ignorées soit interdites.
Pourtant, ce sont maintenant 50 ans de travaux de recherche sur le bilinguisme et l’éducation bilingue qui ont montré de façon convaincante les avantages cognitifs du bilinguisme sur la pensée divergente, la capacité à apprendre d’autres langues, la sensibilité dans la communication et la compréhension des différentes cultures. Ces nombreux travaux ont aussi montré le rôle primordial de la langue familiale dans les apprentissages de la langue de l’école et qu’un enfant ne peut pas apprendre à lire dans une langue qu’il ne parle pas. Alors pourquoi un tel gâchis ? Pourquoi le multilinguisme fait-il peur et est encore associé au communautarisme ? Pourquoi ne pas offrir davantage de soutien aux familles qui désirent transmettre leur langue, leur histoire et leur culture ? Les recherches ont aussi montré qu’il n’est pas facile de maintenir le bilinguisme au sein de la famille si l’école ne prend pas le relais.

Un racisme linguistique

On admettra que la diversité linguistique pose des questions éminemment politiques et très complexes. D’ailleurs, les chercheurs en sciences du langage ont montré qu’au-delà des phénomènes d’islamophobie et d’antisémitisme, il existe aussi un racisme linguistique (qui a désormais un nom : la glottophobie), soit des discours qui stigmatisent les locuteurs perçus comme s’exprimant dans une langue éloignée de la norme standard. Que faire dès lors pour déconstruire cet imaginaire négatif sur le multilinguisme et pour aider les enfants plurilingues à apprendre le français sans sacrifier leur langue familiale ?
Depuis plusieurs années, des chercheur·se·s et associations se mobilisent pour tenter de déconstruire ces préjugés et impulser une ouverture aux langues et aux cultures, afin de mettre en place une éducation inclusive, plurilingue et interculturelle. Nous invitons l’ensemble des enseignants et acteurs éducatifs à rejoindre ce mouvement afin de répondre aux enjeux des écoles multilingues du XXIe siècle.
Le site de l’association Dulala : www.dulala.fr

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire