jeudi 9 mai 2019

Centenaire et boulimique !






The British Journal of Psychiatry évoque un rapport adressé à la Royal Society en février 1672 par Sir Thomas Browne[1] (1605–1682), un « touche-à-tout » (a polymath) qui pratiquait notamment la médecine à Norwich, en Angleterre. Il y présentait le cas inattendu d’une femme boulimique... âgée de 102 ans !


Restée probablement unique dans toutes les annales de la littérature médicale, cette observation insolite décrit Elizabeth M., une patiente « répondant encore assez bien aux questions ordinaires », mais probablement démente car elle « craint que sa fille aînée ne soit sa propre mère. »

Autre caractéristique remarquable, dans l’histoire de Mme M.: « avoir accouché d’un fils après l’âge de 50 ans. » L’auteur précise que l’intéressée « mange avidement jour et nuit », ne vomit pas, boit de la bière ou de l’eau, et accepte « sans distinction ni refus toutes sortes d’aliments » (viandes, poissons, pommes, poires...) donnés par « les amis ou les personnes charitables » de son entourage. Elle dort bien « jusqu’à ce que la faim la réveille. »

Difficultés thérapeutiques


Thomas Browne compare la boulimie de cette femme à « un appétit de chien » (a dog-appetite) et il rattache la cause de cette maladie au « sal esurinum chymicorum », dans le sillage des conceptions de l’alchimiste van Helmont[2], présentées notamment dans son traité de 1624 sur les eaux de Spa. Supplantant l’antique théorie des humeurs[3] (défendue entre autres par Hippocrate, Aristote et Galien), ces idées de van Helmont prêtent à ce prétendu « sel de la faim » le pouvoir de « favoriser la digestion gastrique et l’appétit. »



Dans une allusion à la dimension « thérapeutique » de cette observation, Thomas Browne hésite toutefois à donner à la patiente « six grains d’ambre gris[4] », une substance à laquelle un prix très élevé assure alors une importante valeur placebo... Et près de 350 ans plus tard, cette très surprenante forme clinique d’une centenaire boulimique rappelle la permanence historique de cette affection, avec les difficultés concrètes de son traitement.





Dr Alain Cohen

RÉFÉRENCE
Wilkinson G : Sir Thomas Browne: Boulimia centenaria. Br J Psychiatry, 2019, 214: 102.

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