lundi 15 avril 2019

Pr Marie-Rose Moro : « Si la radicalisation n’est pas une pathologie psychiatrique, il se passe bien quelque chose à l’intérieur »

Elsa Bellanger
| 15.04.2019




  • Marie-Rose Moro
Marie-Rose Moro
Crédit Photo : Didier Goupy

Installé début avril, le Comité scientifique de prévention de la radicalisation (COSPRAD) doit permettre de faciliter le dialogue entre les administrations publiques et les chercheurs en sciences humaines et sociales et ceux des sciences médicales. L’objectif ? Favoriser la prévention et la lutte contre les processus de radicalisation. Le Pr Marie-Rose Moro, pédopsychiatre et membre de ce comité, revient sur les missions de cette nouvelle entité.

LE QUOTIDIEN DU MÉDECIN : Quels sont le rôle et les missions du COSPRAD ?
PR MARIE-ROSE MORO : Le Comité a été mis en place par Frédérique Vidal, ministre de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation, et par Laurent Nuñez, secrétaire d’État auprès du ministre de l’Intérieur, avec le but d’aider à penser les enjeux et à comprendre ce qui est à l’œuvre dans la radicalisation. Il s’agira d’établir comment les sciences humaines et sociales et les sciences médicales peuvent éclairer ce processus d’inscription dans la radicalité, dans cette violence extrême, ou comment ce processus se développe à l’école, en milieu carcéral, etc.
Pour y parvenir, le Comité réunit des experts de la radicalité en France, que sont les sociologues, les historiens et les anthropologues, mais aussi des experts internationaux, tels que des spécialistes de Boko Haram, par exemple. Le Comité est pluridisciplinaire et ouvert. Notre première journée a été consacrée à la présentation des différentes expertises et à la définition d’une méthode.
Sur les 13 personnalités qualifiées nommées dans le Comité, on ne compte que deux représentants du monde médical. Est-ce suffisant ?
Nous ne sommes que deux en effet : un neurochirurgien américain qui s’intéresse aux processus cérébraux à l’œuvre et moi-même qui travaille sur le psychisme des adolescents concernés. Il s’agira de comprendre ce que vivent ces jeunes, pourquoi cette voie est plus fascinante que l’école par exemple.
Ce qui concerne l’intime reste peu présent. Pourtant, si la radicalisation n’est pas une pathologie psychiatrique, il se passe bien quelque chose à l’intérieur. L’approche neurochirurgicale est importante pour comprendre le lien avec les addictions par exemple. Si la méthode est d’éclairer le phénomène, il va peut-être falloir se battre au sein du Comité pour que soient pris à leur juste valeur les apports médicaux.
Quels sont les objectifs fixés au Comité ?
Notre feuille de route n’est pas de proposer des recettes toutes faites qui de toute façon ne fonctionnent pas. Tout le monde le sait. Une simple analyse de la littérature disponible le montre. Les publics concernés sont trop variés : des protocoles généraux seraient inopérables. Un adolescent illettré, issu d’un milieu défavorisé, qui plonge dans la radicalité, ressemble peu à un radicalisé par conviction religieuse. Il est nécessaire de comprendre et de former les professionnels amenés à intervenir auprès de ces différents publics.
L’ambition est d’apporter un éclairage par différents travaux et d’articuler ces différents niveaux, dans l’optique d’amener une représentation plus juste de ce qui attire les jeunes et de ce qui auto-entretient le phénomène.
Selon moi, les adolescents concernés ont deux types de profils : il y a ceux qui sont fascinés et ceux qui n’ont plus que cette possibilité, quel que soit d’ailleurs le contenu de la radicalité ou de la violence. Si nous, en tant que société, nous focalisons sur la radicalisation islamiste, d’autres formes s’expriment. Au Canada, le phénomène est décrit comme un processus de polarisation. Cela concerne l’islamisme, mais aussi l’extrême droite ou l’écologie violente. Les adolescents sont en recherche de sens, ont des idéaux et peuvent aller jusqu’au bout. Rien ne les arrête et cette violence s’exprime contre les autres mais aussi contre soi.

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