lundi 1 octobre 2018

Perte d’autonomie : un épouvantail nommé Ehpad

Par Florian Bardou — 
Une résidente dans sa chambre, dans un Ehpad de Paris, le 5 juillet.
Une résidente dans sa chambre, dans un Ehpad de Paris, le 5 juillet. Photo Stéphane de Sakutin. AFP

Commandée par la fondation Terra Nova à l’occasion de la Journée internationale des personnes âgées ce lundi, une étude du Crédoc tente d'évaluer l’ampleur du malaise entourant l’entrée en maison de retraite des personnes âgées.

C’est presque un poncif : en France, les établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ephad), les maisons de retraite, n’ont pas bonne presse. D’abord en raison du sentiment de maltraitance généralisée des résidents, «un délabrement éthique» pointé du doigt en mai par le Comité consultatif national d’éthique ; mais aussi à cause d’un manque cruel de moyens humains dont souffrent les personnes âgées comme les personnels soignants. Pourtant, l’ampleur de ce malaise n’a jamais vraiment été sondée. Et ce, alors que des millions de Français sont aujourd’hui (et seront, avec le vieillissement de la population) concernés par l’entrée en maison de retraite.
Rendue publique ce lundi matin à l’occasion de la Journée internationale des personnes âgées et de l’ouverture d’une concertation sur le «cinquième risque» (la prise en charge par la Sécurité sociale de la perte d’autonomie), une étude du Centre de recherche pour l’étude et l’observation des conditions de vie (Crédoc) tente d’apporter de l’eau au moulin de la réflexion sur la prise en charge de la dépendance. Selon Sandra Hoibian, directrice du pôle évaluation et société, les résultats de cette enquête confirment «une intuition» : dans les familles, du choix à la prise de décision, l’entrée en maison de retraite est effectivement «un sujet difficile à aborder». Pour 42% des personnes interrogées, la perspective de l’entrée prochaine en structure d’accueil d’un proche n’a jamais été abordée dans l’entourage.
Un silence qui conduit alors de nombreux interrogés (39%) à anticiper une entrée en maison de retraite sans que le consentement de la personne concernée soit recueilli. «Ces chiffres convergent avec d’autres travaux […] qui mettent en évidence la place souvent réduite de la personne âgée dans les décisions qui la concernent et notamment dans le processus d’institutionnalisation, les choix étant pris par l’entourage familial et/ou professionnelprécise la note du Crédoc. Le manque de communication est d’autant plus important quand les proches pensent que l’entrée se fera contre la volonté de la personne âgée (44%) plutôt qu’en concertation avec elle (36%).»

Maintien à domicile

Ce tabou tient sans doute au fait que les Ephad évoquent le pire dans l’imaginaire des concernés et de leurs proches. Selon 80% des personnes interrogées, l’entrée en maison de retraite est en effet synonyme «de perte d’autonomie de choix» pour ceux qui, déjà diminués, sont susceptibles d’y faire un séjour prochainement. Cela signifie aussi pour près de 70% des interviewés «voir ses proches dans de moins bonnes conditions», et pour 62% «se mettre en retrait de la société». En revanche, une très grande majorité (78%) des futurs concernés considère que l’entrée contrainte contribue à soulager l’entourage «car l’Ehpad vient résoudre les problèmes du maintien à domicile», nuance Thierry Pech, directeur général du think tank social-démocrate Terra Nova, à l’initiative de cette enquête avec la Caisse des dépôts et l’assureur AG2R la Mondiale.
Des craintes sans fondements ? Pas vraiment, car l’entrée des personnes âgées dans ces établissements est peu anticipée par les familles et surgit alors «dans un contexte de crise pour la personne concernée et son entourage», poursuit la note. «Depuis quinze à vingt ans, les pouvoirs publics ont privilégié le maintien à domicile, soulève encore Thierry Pech. Cela correspond aux aspirations des personnes âgées mais cela conduit à des entrées de plus en plus tardives en Ehpad de personnes dans un état de santé dégradé. La population dans ces structures est alors de plus en plus difficile à prendre en charge.»

Des constats sur la prise en charge de la grande vieillesse sans solution ? Pour améliorer la qualité de vie dans les établissements d’accueil des personnes âgées dépendantes, l’étude commandée par le think tank tente la prospection et invite notamment à écouter les attentes envers les structures d’accueil comme le fait d’accueillir des animaux de compagnie (30%), de pouvoir «partager une chambre avec son conjoint» (29%) ou d’avoir la possibilité de participer à des activités extérieures.
Pour préserver la liberté de décision, Terra Nova recommande de mettre l’accent sur les alternatives aux établissements médicalisés comme les résidences autonomes, l’habitat partagé ou le béguinage. Petits hic : ces offres sont rares et le premier critère du choix d’un établissement est bien souvent sa proximité géographique avec le lieu de vie des proches. «Il y a des choses à faire dans les Ephad mais surtout en matière de diversification de l’offre de prise en charge des personnes dépendantes, souligne encore Sandra Hoibian. En développant ces alternatives, on pourrait qui plus est changer le regard de la communauté en fin de vie.» Un nouveau rapport sur cette question est attendu d’ici quelques mois.


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