mardi 9 octobre 2018

Nounous de nuit : les parents bien bordés

Par Emmanuèle Peyret, Photo Cyril Zannettacci — 
Une nounou de nuit à Paris, le 2 octobre.
Une nounou de nuit à Paris, le 2 octobre. Photo Cyril Zannettacci pour Libération

Pour pallier les rythmes de travail décalés mais aussi pour soulager des parents épuisés ou débordés, le recours nocturne aux nurses se banalise. Une solution de garde des enfants qui se diffuse dans tous les types de familles.

A 21 heures pétantes, Laurène, 29 ans, auxiliaire de puériculture depuis dix ans, sonne à la porte des parents d’Oscar. Jusque-là rien d’inhabituel, si ce n’est que la jeune femme ne vient pas juste pour une soirée ciné du couple, mais pour toute la nuit. La «nounou», ou plutôt la professionnelle de santé qu’elle est au vu de sa formation et de son expérience, met sa casquette de «bonne fée», du nom de la plateforme de mise en relation des parents et des nurses qui l’emploie depuis huit mois : «Je cherchais à quitter le milieu hospitalier à cause de conditions de travail dégradées et pour trouver quelque chose de plus en accord avec les valeurs de mon diplôme», explique Laurène, elle-même mère d’un petit de 2 ans. «Ce que j’aime le plus dans cette fonction de nurse, c’est le rôle d’aide et de soutien auprès des parents et des bébés.»C’est le cas de Marie et Philippe (1), épuisés par plusieurs nuits difficiles avec Oscar, 8 mois : «On a veillé, marché pendant des heures dans l’appart, explique la mère. Une des semaines les plus difficiles de notre vie de parents, car il faut continuer à aller travailler, s’occuper de la plus grande qui a 3 ans et demi et continuer à faire tourner la maison.» Alors ils ont contacté Ma bonne fée, parce qu’ils voulaient des pros et pas de baby-sitters «payés au black». «Le fait que ce soit encadré rassure, les profils sont déjà sélectionnés, on est en confiance absolue.»

Pas pour toutes les bourses

Nounou de nuit : le phénomène n’est pas nouveau mais se répand comme une traînée de lait en poudre chez les parents de tout-petits, comme en témoigne le nombre de sites comme Nurse de nuit, Bonne nuit maman, Nounou décalée ou Ma bonne fée : «Depuis le lancement en novembre 2017, nous enregistrons une croissance mensuelle de plus de 20 % : de 100 nuits en trois mois, nous sommes passés à 100 nuits par mois en juin, et avons déjà plus de 150 nuits réservées à la mi-septembre», détaille Delphine Cochet, cofondatrice de Ma bonne fée et ex-mère épuisée de deux enfants en bas âge. Les «fées» sont payées directement par les parents, 12 euros nets de l’heure, hors charges sociales, soit 96 euros pour une nuit de huit heures (10 % de la somme revient à Ma bonne fée). Pas pour toutes les bourses, ni tous les logements. «Mais les parents peuvent bénéficier d’aides, notamment avec le complément de libre choix du mode de garde (CMG) de la CAF et le crédit d’impôt de 50 %. Donc le coût final peut revenir à 28,50 euros pour une nuit de 8 heures d’accompagnement», précise Delphine Cochet
Chez Ma bonne fée, «en moyenne, les parents réservent environ cinq à six nuits sur les trois premiers mois, explique la jeune femme. Aujourd’hui nous comptons plus de 200 couples : des mamans sorties trop tôt de la maternité, des parents épuisés qui n’arrivent pas à remonter la pente, la famille qui fait un cadeau de naissance - 5 % de nos réservations -, les parents qui souhaitent de l’aide professionnelle et des conseils. Il y a souvent aussi le cas des pères qui sont débordés de travail ou encore des parents de jumeaux ou triplés, et ceux qui ont déjà des fratries».Evidemment, tous les profils de parents sont concernés par le manque de sommeil ou le stress. «Nous avons des cadres, des professions libérales, des commerçants, des entrepreneurs, des indépendants, mais aussi des personnes en recherche d’emploi pour assurer des rendez-vous professionnels, des fonctionnaires, des militaires», reprend Delphine Cochet. Les nurses de nuit sont souvent «des professionnelles de santé qui s’occupent de bébés et trouvent par ce biais une réponse complémentaire à leur travail à l’hôpital, où les gens ont des salaires bas. Par exemple, cette auxiliaire de puériculture avec vingt-cinq ans d’expérience, en temps plein avec un dimanche par mois : 1 400 euros nets. Eh bien, ça lui fait un plus, 360 euros nets pour trois nuits dans le mois». En prime, le choix de leurs horaires de travail et la flexibilité que cela permet.
Justine (2), fondatrice en 2013 de Bonnenuitmaman.fr, la quarantaine, a fait ce choix après vingt-trois ans de puériculture. De «20 heures à 6 heures, du dimanche soir au vendredi soir, sourit la nurse de nuit. Je porte une attention très particulière aux relations que je noue avec le bébé, pas de bisous sur le visage, pas de parfum, pas de surnom, pas d’emploi de "mon"». Et de préciser qu’elle aussi a affaire à des typologies de parents très différentes : «Ceux qui ont besoin d’aide psychologique, au bord du burn-out, des familles monoparentales, une maman qui doit reprendre le boulot, des libéraux qui continuent à produire juste après l’accouchement, etc.» C’est par exemple Florence, mère de jumeaux en banlieue parisienne : «Avec deux grands de 7 et 10 ans, j’avais beaucoup à faire. L’aide de Justine me permettait d’être opérationnelle le lendemain pour m’occuper des enfants, et de tout ce qui va avec, parce que les lessives avec les jumeaux, c’est un peu l’industrie.» Et, poursuit la mère, «la nurse tient un carnet de nuit, s’occupe des enfants sans nous réveiller. Elle prend aussi le temps de ranger et laver avant de partir». Et surtout, elle rassure les parents débutants comme Katia, mère d’un petit Enzo, épuisée, mais qui sentait aussi la nécessité d’être guidée par Justine «pour les premiers pas de parents. Savoir comment faire les soins du nez, changer le débit de la tétine et ce conseil précieux : "La nuit vous êtes là pour lui rendre service, c’est-à-dire le nourrir. Les câlins, c’est pour la journée"», alors que la mère de 32 ans prodiguait bisous et chansons à 4 heures du matin.

«Horaires atypiques»

Est-on là face à un business surfant sur la fatigue et la crainte de mal faire de certains parents ? Pas seulement. «Les horaires décalés sont une réalité pour de nombreux parents,souligne Angela Jotic, fondatrice en 2012 du site Nounou décalée. 63 % des salariés travaillent selon des horaires que l’on qualifie "d’atypiques", mais désormais majoritaires. Restauration, santé, transports, tourisme, logistique : les métiers concernés sont toujours plus nombreux. Le rythme de travail a beaucoup changé dans la grande distribution, par exemple», avec des embauches à l’aube, du travail le dimanche, etc. Une analyse que partage Delphine Cochet : «La parentalité telle que nous la vivons aujourd’hui n’est plus en phase avec notre société et nos modes de vie : des séjours plus courts en maternité, des familles géographiquement éloignées, des grands-parents souvent encore actifs.» Autant de facteurs qui alourdissent la tâche des parents, par ailleurs pris en sandwich entre les contraintes du monde du travail et l’injonction d’être un parent parfait.
(1) Tous les prénoms des parents et des bébés ont été modifiés. (2) Qui n’a pas souhaité donner son patronyme.

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