samedi 1 septembre 2018

Néandertal, un homme presque comme les nôtres

Par Arthur Le Denn — 


Kinga en cours de création au moyen de la dermoplastie. Une réalisation d’Elisabeth Daynès.
Kinga en cours de création au moyen de la dermoplastie. Une réalisation d’Elisabeth Daynès.Photo S. Entressangle

Comment se débrouillerait notre lointain cousin en 2018 ? «Libé» imagine quelle serait l’attitude de cet hominidé pas si différent de «Homo sapiens», et auquel le musée de l’Homme consacre une exposition.

Sourire aux lèvres et posture affirmée, Kinga trône dans l’une des salles du musée de l’Homme. Cette petite rousse plutôt trapue, habillée pour l’occasion d’un cardigan bleu, d’un pantalon et de baskets blanches, est néandertalienne. La statue, œuvre de la paléo-artiste Elisabeth Daynès exposée dans le cadre de l’exposition Néandertal à Paris jusqu’au 7 janvier 2019, donne à voir un humain et non pas une bête comme on aurait pu l’imaginer. Ces dernières années, une succession de découvertes scientifiques tend à réduire le fossé entre nous autres, Homos sapiens, et notre lointain cousin Homo neanderthalensis, disparu il y a 35 000 ans, après avoir occupé une grande partie de l’Eurasie.
Nos deux sous-espèces y auraient cohabité plusieurs milliers d’années. Malgré des divergences biologiques et culturelles, Sapiens et Néandertal auraient d’ailleurs eu une descendance viable. A tel point que ce dernier serait encore un peu présent en nous. «Nous avons découvert que les Eurasiens d’aujourd’hui possèdent encore entre 1 et 3 % d’ADN néandertalien. Sachant que chacun a hérité de gènes différents, nous sommes en mesure de reconstituer près de 50 % du génome total de Néandertal», explique le biologiste Svante Pääbo, responsable du département de génétique à l’institut Max-Planck d’anthropologie évolutionniste de Leipzig (Allemagne).
Une petite bombe dans le monde scientifique, pour qui cette «présence néandertalienne» dans notre ADN pourrait expliquer des prédispositions à avoir des caillots sanguins, être diabétiques ou déprimés. Concrètement, cette hybridation entre les deux sous-espèces du genre Homo pousse surtout à réaffirmer la place de Néandertal dans l’humanité. L’exposition qui lui est consacrée a déjà émerveillé 117 000 visiteurs parisiens, et prendra la route de Montpellier début 2019. Elle déroute, chamboule nos préjugés. Et on s’interroge : et si, par magie, des Néandertaliens étaient amenés à réapparaître demain, dans quelle mesure parviendraient-ils à s’adapter à notre société moderne ? Libération a demandé à des spécialistes de se prêter au jeu de cette uchronie au travers de quatre situations de la vie quotidienne.

Pourrait-on croiser Néandertal au cours de crossfit ?

Il en aurait bien besoin pour s’acclimater à notre mode de vie. Habitué à vivre dans la nature, Néandertal reste à ce jour l’hominidé le plus robuste que la Terre ait connu. Il était trapu et mesurait en moyenne 1,61 m pour 72 kilos. Fort de ses muscles, il serait naturellement bien meilleur que nous pour soulever de la fonte. «Il faudrait créer des compétitions sportives spécialement taillées pour lui», s’amuse le chercheur au CNRS Ludovic Slimak, spécialiste des sociétés néandertaliennes.
Les Néandertaliens brûlaient 5 000 kilocalories par jour, soit l’équivalent d’un coureur du Tour de France sur une étape, contre seulement 2 000 en moyenne pour un homme d’aujourd’hui. «Physiquement, nous ne ferions pas le poids face aux Néandertaliens. Ils n’avaient pas tous le gabarit du judoka Teddy Riner, mais ils nous mettraient quand même en charpie», relève Jean-Jacques Hublin, titulaire de la chaire d’anthropologie au Collège de France. Leurs muscles étaient si puissants qu’ils exerçaient une pression sur leurs os et les courbaient. Résultat : les Néandertaliens avaient des bras et des jambes plus courts que nous. «Leur locomotion leur est donc plus coûteuse que la nôtre pour nous. Cela dit, elle ne constituerait pas un handicap dans la vie quotidienne», assure le préhistorien Pascal Depaepe, commissaire scientifique de l’exposition du musée de l’Homme. Ainsi, notre lointain cousin pourrait, à notre image, emprunter le métro ou louer un appartement au cinquième étage sans ascenseur…

Néandertal suivrait-il un régime végan ?

Au restaurant, difficile de l’imaginer commander autre chose qu’un steak saignant.«C’était un hyper-carnivore,rappelle Ludovic Slimak. Mais il semblerait que les individus qui vivaient près des côtes raffolaient des fruits de mer.» Il ne serait donc pas impossible de le voir s’adapter à l’alimentation de l’homme moderne. Du tartre dentaire prélevé sur des restes néandertaliens a d’ailleurs livré d’autres secrets sur leur habitude alimentaire. Des traces de phytolithes, ces microfossiles de cellules végétales, ont été retrouvées. Et secouent la communauté scientifique.«Cela confirme la théorie selon laquelle Néandertal était omnivore. Cela laisse penser qu’il mangerait la même chose que nous si l’on partageait un repas ensemble. Il ne faut pas se leurrer : il ne réclamerait quand même pas une deuxième tournée de légumes», avance Pascal Depaepe.
Attention : si vous aviez prévu d’inviter un potentiel voisin néandertalien à dîner, l’omniprésence du sucre et du poivre dans les plats d’aujourd’hui ne serait pas tellement à son goût. Par ailleurs, l’enzyme permettant à l’homme moderne de digérer le lactose est apparue il y a quelques milliers d’années seulement et Néandertal n’a pas connu cette évolution. Il faudra donc veiller à ne pas inclure de produits laitiers dans vos repas. En cas de douleurs, notre lointain cousin a déjà prouvé qu’il était capable de «s’automédiquer» grâce à des plantes aux vertus thérapeutiques. Il consommait notamment des bourgeons de peuplier, qui libèrent une substance antidouleur semblable à de l’aspirine une fois ingérés.

Néandertal pourrait-il travailler ?

La communication est l’un des principes fondateurs de notre société. Or, c’est le domaine dans lequel notre cousin Néandertal pourrait connaître ses premières grosses difficultés. Comment s’organiser avec d’éventuels collègues ? Des analyses anatomiques affirment que la structure de son palais lui permettait de produire un langage articulé, dont les sonorités devaient néanmoins différer des nôtres. «Cela lui servait pour chasser en troupe ou pour préparer les rites funéraires», avance Pascal Depaepe. Selon Jean-Jacques Hublin, «il faut tout de même relativiser quand on sait que la taille de son cervelet était bien plus réduite que le nôtre». Or, on connaît l’importance de cet organe dans la production du langage.
Au-delà de la parole, les différences physiques entre nous pourraient également être à l’origine d’incompréhensions. Absents chez Sapiens, les bourrelets présents au niveau des sourcils de Néandertal lui permettaient par exemple d’impressionner ses congénères. «Mais pas d’exprimer autant de réactions faciales que nous, affirme Jean-Jacques Hublin. Cela pourrait compliquer la communication quand on sait à quel point nos expressions traduisent notre état émotionnel.» Au-delà de la parole, c’est l’ensemble de la construction mentale de l’homme de Néandertal qui interroge. «Même si un bébé néandertalien naissait et grandissait aujourd’hui à Paris, la seule structure de son cerveau ferait qu’il aurait une approche différente à son environnement», estime Ludovic Slimak. Dans les faits, Homo neanderthalensis étant une espèce disparue, aucun test cognitif ne pourra être réalisé dans l’objectif de prendre la mesure de l’étendue de ses capacités intellectuelles. «Je ne pense pas qu’il cocherait toutes les cases en ce qui concerne les différentes formes d’intelligences acquises par Sapiens, comme l’empathie ou l’altruisme», explique néanmoins Jean-Jacques Hublin. Dans le monde actuel, mener une activité professionnelle requiert de la méthode.
Or, les Néandertaliens ne se livraient jamais deux fois à la même activité de la même façon. Les archéologues ont retrouvé de nombreuses pierres taillées, visibles au musée de l’Homme. Aucune ne se ressemble. «Cela s’avérerait problématique pour réaliser une tâche aujourd’hui, constate Ludovic Slimak. Sapiens est le champion de la standardisation.» En d’autres termes, nous assignons une méthode précise à chaque objectif que nous fixons. Une façon de penser bien éloignée de celle de Néandertal. «Si nous cherchions nous-même à nous adapter à lui, cela reviendrait à demander à un boucher de continuer à mener la même activité, mais en changeant d’outil tous les jours», illustre Ludovic Slimak. Exit, donc, les métiers répétitifs tels que contrôleur de bus ou travailleur à la chaîne en usine pour Néandertal.

Comment Néandertal réagirait face à la canicule ?

Pour lui non plus, subir la chaleur de plein fouet ne serait pas une partie de plaisir. «Il se pourrait néanmoins qu’il tienne un peu mieux le choc que nous»,suppute Ludovic Slimak. Notre lointain cousin a, en effet, connu des périodes tempérées légèrement plus chaudes que les épisodes caniculaires que nous connaissons ces dernières années. Il reste néanmoins un grand habitué des périodes glaciaires. En témoignent ses membres courts qui lui permettaient de limiter le contact de sa peau avec l’air frais. Cette adaptation biologique à son environnement tend à faire oublier que sa véritable résistance à la chaleur était sensiblement équivalente à la nôtre. L’inverse n’est pas valable : nous ne résisterions pas à des températures aussi basses que lui. «Aujourd’hui, Néandertal pourrait vivre nu et dehors pendant l’hiver sans courir le moindre risque alors que le froid peut nous être fatal à nous autres, Sapiens», rappelle Jean-Jacques Hublin. Une preuve de sa très grande adaptabilité climatique, qui devrait permettre de casser son éternelle réputation de créature arctique.


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