vendredi 8 juin 2018

Mineurs trans à l’école : épreuves et solutions

Par Arnaud Alessandrin , sociologue, associé au Centre Emile-Durkheim à l'université de Bordeaux * — 

Photo Denis Allard

L’expérience transidentitaire, le sentiment de ne pas être du genre assigné à la naissance, peut apparaître à tous les âges, même à l’école. Le monde scolaire n’est pas encore prêt. Une étude vient d’être menée en France.

Isolement, craintes ressenties au moment d’accéder aux espaces genrés dans l’enceinte de l’école (toilettes, vestiaires), absentéisme : les conséquences de la transphobie à l’école sont nombreuses et marquent profondément la vie des individus concernés. Bien que nous ayons spontanément tendance à associer les transidentités à l’âge adulte, les enquêtes étrangères comme celles de la chercheuse canadienne Annie Pullen Sansfaçon (1) ont su mettre en avant l’existence et les spécificités des enfants «gender variant» ou«gender creative», c’est-à-dire qui s’éloignent légèrement ou bien complètement, durablement ou bien momentanément, des normes de genre en vigueur. L’expérience transidentitaire, le sentiment de ne pas être du genre assigné à la naissance, peut donc apparaître à tous les âges (2).
Depuis 2014, ces questions sont progressivement abordées en France. Les témoignages, notamment sur Internet, se font de plus en plus nombreux (3). Toutefois, même si l’on compte quelques travaux associatifs, la recherche sur l’expérience des mineurs trans ou gender variant reste peu développée en France et se concentre surtout autour d’enquêtes et de recueil de données qualitatives (4). Il faut attendre 2017, lorsqu’une équipe de recherche (5) à laquelle je participe, se penche plus spécifiquement sur la santé scolaire des personnes LGBTI, pour voir se dessiner des tendances statistiques sur la question des mineurs trans. Les chiffres de cette enquête sont sans appel. Sur 1 059 répondant.e.s au total, nous avons pu créer une strate de 217 jeunes personnes trans scolarisé·e·s. Ces résultats laissent premièrement apparaître des éléments relatifs à la solitude de ces jeunes : si «seulement» 46 % des gays et des lesbiennes rapportent ne pas être parvenu·e·s à parler de leur homosexualité durant leur scolarité, ce pourcentage monte à 76 % pour les jeunes s’étant autodéfinis comme trans ou non binaires. Deuxièmement, les témoignages des jeunes donnent à voir un haut niveau d’appréhension face à l’école (qu’il s’agisse des pairs ou de l’institution) : l’expérience scolaire est perçue comme «mauvaise» ou «très mauvaise» pour 72 % des jeunes trans. Et si l’on considère aussi les personnes intersexes, cette mauvaise expérience scolaire est présente chez 78 % des jeunes intersexes. Enfin, le collège est pointé comme la temporalité la plus anxiogène pour ces jeunes.
Le verbatim de l’enquête permet de distinguer différents facteurs explicatifs : l’importance que revêtent les catégories genrées entre pairs au collège, les transformations corporelles qui imposent des modifications physiques non désirées (règles, poils, mue…), une absence relative de «mots pour se dire» (ce qui semble moins vrai à la fin du collègue et au lycée grâce l’accès à l’Internet et aux associations) ainsi qu’une non-prise en compte, ou une mauvaise prise en charge, des problématiques de ces élèves par l’institution. Notons enfin le rôle non négligeable des programmes scolaires qui, en abordant les questions trans et intersexes, véhiculent aussi les représentations pathologisantes et prioritairement médicales de ces identités.
Si la France est très en retard en ce domaine, d’autres pays comme le Canada proposent des guides et des solutions pratiques pour accueillir et accompagner les demandes de ces jeunes, sans les nier ni les psychiatriser (6). Faciliter le changement de prénom sur les dossiers administratifs, accompagner les demandes médicales sans psychiatriser d’emblée les parcours, former les encadrant.e.s et sensibiliser les autres élèves : autant de petites mesures qui augmentent grandement la participation scolaire des jeunes trans. Si ces bonnes pratiques sont en direction des établissements, d’autres institutions peuvent être interpellées. La famille tout d’abord, qui joue un rôle prépondérant dans le bien-être des enfants trans. C’est ce que note par exemple la chercheuse américaine Diane Ehrensaft dans une typologie qui différencie des familles qu’elle nomme «transphobic», «transformers» ou «transporting» (7). Dans le premier cas, la spécialiste en psychologie clinique et développementale souligne des figures familiales qui rejettent violemment l’idée d’une transition et d’une non-conformité de genre d’un·e enfant. Le second cas de figure regroupe des familles ou des membres «aidants» qui accompagnent pleinement la transformation de l’enfant. Le troisième groupe développe des stratégies de bricolage entre «aide» et «déni», notamment en déplaçant les prises de décision et les accompagnements à des aidants extérieurs. Une autre thérapeutique, dite «acceptante» (8) suggère que les identités de genre trans ne sont pas des pathologies (dans le cas des enfants comme dans le cas des adultes, d’ailleurs). Dans cette perspective, des propositions de suivis hormonaux sont par exemple conseillés et de nettes améliorations en termes de bien-être psychologique ou de participation scolaire se font alors sentir. C’est pourquoi il convient de convoquer pareillement les institutions de santé qui, aujourd’hui en France, sont encore très réticentes à accompagner les mineurs vers la prise de bloquants hormonaux afin de ne pas les confronter aux effets de la sexuation secondaires ainsi que de les protéger des discriminations.
Cette opposition des mondes scolaires et médicaux à une meilleure prise en compte des demandes transidentaires montre à nouveau les difficultés qu’il y a à dessaisir la question trans des cadres de la maladie mentale.
1) Pullen Sansfaçon, A. et al. (2015). «Autoethnography and Academic Parent Activism : Making New Sense of the Trans* Child», Studies in Social Justice, vol. 9, numéro 1, pp. 118-135.
2) Alessandrin, A. (2016). «"Mineurs trans" : de l’inconvénient de ne pas être pris en compte par les politiques publiques». Agora débats / jeunesses, vol. 73, numéro 2, pp. 7-20.
3) Voir le site Vivremongenre
4) Dayer, C., Alessandrin, A. (2015), «L’expérience des minorités de genre et de sexualité à l’école», Oser l’autre, E. Dugas et G. Ferreol dir, ed. EME, pp. 87-110.
5) Johanna Dagorn, Arnaud Alessandrin, Gabrielle Richard, Anita Meidani, Marielle Toulze, Clément Reverse, Marouchka Dubot. Rapport de recherche «Santé LGBTI», DILCRAH.
6) Voir par exemple : http://enfantstransgenres.ca/
7) Ehrensaft, D. (2011), Gender born, gender made : Raising healthy gender non-conforming children, New York, The Experiment Ed.
8) Schneider, E. (2018) «Changement de paradigme médical : de la binarité à la diversité sexuée et genrée dans l’enfance», in Parcours de santé / Parcours de genre, Meidani et Alessandrin dir., PUM, pp. 127-139.
* Auteur de : Sociologie des transidentités (2018), éd. Cavalier bleu.
Arnaud Alessandrin sociologue, associé au Centre Emile-Durkheim à l'université de Bordeaux *

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