vendredi 1 juin 2018

Dans certains collèges, l’interdiction du portable porte déjà ses fruits

Une proposition de loi sur l’interdiction du portable doit être examinée le 29 mai en commission à l’Assemblée. Environ la moitié des collèges, selon une estimation du ministère, ont déjà inscrit l’interdiction au règlement intérieur.

LE MONDE  | Par 


La proposition de loi intervient après une explosion du taux d’équipement en smartphones des adolescents.
La proposition de loi intervient après une explosion du taux d’équipement en smartphones des adolescents. ALAIN LE BOT / PHOTONONSTOP


Fini les sonneries en cours, les élèves déconcentrés et les photos qui circulent le soir sur Facebook. Au collège Lucie Faure, dans le 20e arrondissement de Paris, ces tracas ont disparu lorsque la principale de l’établissement a décidé, en septembre 2016, que les téléphones resteraient rangés au fond du sac. « On ne peut pas, selon la loi, interdire aux élèves de venir avec leurs portables », précise la principale. Il fallait donc, jusqu’ici, inscrire l’interdiction d’usage des téléphones dans le règlement intérieur.

Mais une étape supplémentaire devrait être franchie, le 29 mai, avec l’examen en commission à l’Assemblée d’une proposition de loi qui interdit « l’utilisation d’un téléphone mobile dans les écoles maternelles, les écoles élémentaires et les collèges », à l’exception de certains lieux prévus dans le règlement. Le texte, qui renvoie à une promesse de campagne du candidat Macron, entérine un principe présent dans le code de l’éducation : le téléphone est interdit pendant les heures d’enseignement, mais aussi sur d’autres temps scolaires, en fonction du règlement (récréation, pause déjeuner…).

Où est alors le changement ? Du côté des juristes, on fait valoir qu’une proposition de loi qui se limite à rappeler l’existant – sans rentrer dans le détail du « comment faire » – n’a qu’une valeur symbolique. Pour les chefs d’établissement, le passage par la voie législative vient au contraire « sécuriser » les usages. En clair, la valeur symbolique de la loi justifiera les confiscations, qui pouvaient jusqu’ici poser problème dans les collèges où l’utilisation du téléphone était déjà interdite par le règlement. Rue de Grenelle, on explique qu’il faut en passer par la loi pour assurer l’interdiction dans l’ensemble établissements. Le code de l’éducation, rappelle-t-on, interdisait l’usage pendant « les heures d’enseignement », ce qui paraît aujourd’hui obsolète. « Les pratiques pédagogiques actuelles, avec usage du téléphone comme support en classe, ne sont pas sécurisées », souligne-t-on dans l’entourage du ministre.

La proposition de loi est consécutive à une explosion du taux d’équipement en smartphones des adolescents. En 2016, 93 % des 12-17 ans disposaient d’un téléphone mobile, pour 72 % en 2005. Dans ce contexte, priver les élèves de leurs précieux joujoux ne va pas de soi. Au collège Lucie Faure, des ajustements ont été nécessaires, comme de placer un surveillant près des toilettes à la récréation, par exemple. Mais un an et demi plus tard, les élèves semblent habitués. Jules*, en 6e au collège, n’apporte plus son téléphone. « J’habite à côté, je rentre à pied… je considère que ça ne sert à rien. » Pour son camarade Ben*, élève de 3e qui vient au collège en métro, il est essentiel d’être joignable par sa mère, qui s’inquiète de savoir s’il est bien rentré. Le téléphone est rallumé sitôt la porte du collège passée.

Le cyberharcèlement, hantise des chefs d’établissement


La nécessité de joindre son enfant après la sortie des cours est l’une des principales justifications de l’achat du portable. D’abord pensé comme un outil « sécurisant » au moment de l’entrée en 6e, celui-ci pose vite plus de problèmes qu’il n’en résout. Pour ce père d’élève de 3e du collège Marracq de Bayonne (Pyrénées-Atlantiques) qui a équipé sa fille à l’entrée au collège, celle-ci passe « trop de temps » sur son téléphone. « On essaie de dire qu’il y a mieux à faire. Mais le portable monopolise son esprit et c’est difficile de l’en détacher. D’ailleurs, c’est pareil pour moi. »

Le collège offre un relais salutaire dans cette « éducation aux écrans » si difficile à mener. Quand un téléphone est confisqué – ce qui arrive deux à trois fois par semaine au collège Marracq, pour 850 élèves – il n’est pas rare qu’il reste une petite semaine dans le bureau de Philippe Prévot, le principal. « Ce sont les parents qui nous disent “gardez-le, ça nous fera des vacances !” », s’amuse ce dernier.

La hantise des chefs d’établissement – et l’une des raisons d’être de la nouvelle loi – est le cyberharcèlement, qui se nourrit volontiers d’images saisies aux dépends d’un élève et circulent ensuite sur Facebook et Snapchat. 63 % des 11-14 ans sont inscrits sur au moins un réseau social, selon une enquête citée dans la proposition de loi.

Au collège La Gautrais à Plouasne, dans les Côtes d’Armor, le portable est interdit depuis 2014. Pour Yves Koziel, le principal, cela offre au moins un peu de répit dans la gestion des « histoires » entre ados. « Un conflit qui commence le dimanche sur Facebook va ressurgir le lundi en classe », commente-t-il. Interdire le portable règle aussi le problème des vidéos consultées à la récréation. « Si les téléphones sont autorisés dans la cour, vous n’avez plus aucun contrôle sur l’accès aux réseaux et aux sites inappropriés », martèle le principal qui touche du bois – le problème ne s’est jamais posé même si « c’est un vrai risque ».
*Les prénoms ont été modifiés.

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