vendredi 8 juin 2018

AUTANT EN EMPORTE LA COLÈRE

Par Frédérique Roussel    — 

Chaque vendredi, «Libération» fait le point sur l'actualité du livre jeunesse. Aujourd'hui, trois livres à partir de 3 ans, pour aider à apaiser cette colère en soi qui monte, qui monte.

Aujourd’hui, on ne sait pas très bien pourquoi, mais on est très en colère. Aucune envie de lire des contes de fées ou des histoires de voyages extraordinaires, comme on aime le soir à la lueur de la lampe de chevet, pour bien partir en rêve. Plutôt des albums qui disent tout haut ce qu’on pense tout bas. Comme Ma sœur est une brute épaisse, par exemple. Parce que ça c’est vrai.
 Regardez-la : elle a l’air adorable avec ses couettes blondes et son regard ravageur. Détrompez-vous. C’est une peste turbulente. Moi le grand frère, plutôt calme et doux, je ne peux pas lire tranquillement à l’ombre d’un arbre sans qu’elle soit là à m’embêter en me balançant des feuilles. Le dimanche matin, j’aime bien rester sous la couette au chaud. Pas elle. Elle vient me déranger. Il  n’y a que le soir, quand je lui lis des histoires et qu’elle se blottit contre moi, que je me dis «heureusement qu’elle est là ma sœur». Là, ma rage contre elle tombe. Le premier album d’Alice de Nussy, illustré par Sandrine Bonini, montre les tensions qui peuvent exister entre membres d’une fratrie. D’un côté, un grand frère au caractère paisible et pacifique. De l’autre, la petite sœur, intrépide et casse-pieds. Un texte écrit sur un rythme antagonique et humoristique, avec des dessins fluos et expressifs. De quoi y retrouver avec satisfaction l’expression de sa mauvaise humeur.
Ma sœur est une brute épaisse d’Alice de Nussy et Sandrine Bonini, Grasset Jeunesse, 32 pp. A partir de 3 ans.
En voilà un autre qui dit clairement dans quel état on est, sans se tortiller de mots. Le titre est très clair: Bonjour colère. Sur la première page intérieure, on y voit un enfant avec un ciré jaune, des bottes vertes, sous une pluie battante. Surtout, à la place de son visage, un énorme nuage noir. C’est exactement ce qu’on ressent. Ce livre est destiné aux parents comme aux enfants. Il propose, dit-il, quatre relaxations pour aider les enfants «à dire et à traverser leur colère». Avec à chaque fois, un texte explicatif pour l’adulte qui détaille un mouvement, et s’accompagne d’une histoire illustrée. Exemple: Mon lion. L’enfant visualise le lion qui gronde en lui, en sortant ses griffes, en marchant sur place, en faisant des mouvements croisés avec les bras et les jambes. «Il peut rugir, rugir pour traverser cette grande force émotionnelle et aller vers les mots.» Ensuite, Anne Crahay, sortie de l’Ecole des arts graphiques (ESA) de Saint-Luc Liège, qui conçoit des albums jeunesse depuis 2007, conseille un geste de détente en se touchant le front. L’histoire illustrée qui suit parle de ce lion qu’on peut avoir en soi, et comment l’apprivoiser. Des mouvements et des gestes simples qui allient corps et mots, et qui permettent de mettre des images rassurantes sur des émotions.
Bonjour colère d’Anne Crahay, Albin Michel Jeunesse, 43 pp. A partir de 3 ans. 
Pour rendre métaphorique cette colère qui naît d’un coup pour retomber de la même manière, on peut se saisir du dernier album de Marie Saarbach, le Vent se lève. L’histoire, on la connaît bien: il fait beau, magiquement beau, une petite fille et son chien profitent du soleil dans le jardin. Mais soudainement, les feuilles s’agitent, le tonnerre gronde, l’orage éclate, et il faut courir aux abris. Le texte décrit par une seule phrase à chaque fois la dégradation du temps, qui passe par toutes les couleurs, avant de revenir à l'«avant-beau», l’arc-en-ciel. Les dessins de Marie Saarbach, une jeune illustratrice diplômée des arts décoratifs de Strasbourg, s’apparentent à de splendides peintures presque abstraites quand le paysage est totalement bousculé par les éléments, comme l’orage, la grêle, la brume. Mais dans chaque dessin, on peut y retrouver les éléments familiers du décor premier, celui de la belle journée ensoleillée avec la maison. Un très bel album qui illustre simplement un vieux proverbe, «après la pluie le beau temps». Ou après la colère, la sérénité retrouvée.
Le vent se lève de Marie Saarbach, Seuil Jeunesse, 32 pp. A partir de 3 ans. 

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