vendredi 11 mai 2018

JACQUES MARESCAUX, PRÉSIDENT DE SANTÉ MENTALE FRANCE "Les premiers secours en santé mentale pourront contribuer à déstigmatiser les troubles psychiques"


Annoncée récemment dans le plan gouvernemental de prévention, une formation aux premiers secours en santé mentale devrait être expérimentée en 2019. Le président de Santé mentale France, qui a contribué à promouvoir ce projet — déjà implanté dans de nombreux pays — auprès des tutelles, explique à Hospimedia les modalités et ambitions du dispositif.

Hospimedia : "Parmi les mesures figurant dans le plan de prévention présenté par le Gouvernement le 26 mars dernier (lire notre article) figure l'annonce d'un projet pilote de formation aux premiers secours en santé mentale. Mais sans plus de détails à ce jour. Or vous avez contribué à souffler cette mesure à l'oreille des tutelles...


Jacques Marescaux : En effet, en partenariat avec l'Infipp, qui est un organisme de formation en santé mentale, notre fédération d'associations Santé mentale France a contribué à promouvoir l'idée de développer en France cette formation aux premiers secours en santé mentale. Nous sommes convaincus que ce type de formation, dispensée à des publics larges (550 000 personnes entre 2001 et 2016 en Australie), pourra contribuer notamment à déstigmatiser les troubles psychiques en faisant évoluer les représentations sociales sur les pathologies, mais aussi à améliorer la situation des personnes touchées par ces troubles. Le fait que la stratégie nationale de santé mette l'accent sur la promotion de la santé, la prévention, et que la ministre de la Santé, Agnès Buzyn, ait souligné à plusieurs reprises qu'elle plaçait la santé mentale dans ses priorités nous a confortés dans l'idée que le moment était propice pour proposer ce projet, déjà mis en œuvre dans une vingtaine de pays. Nous en avons parlé il y a plusieurs mois au directeur général de Santé publique France, François Bourdillon, qui s'est montré tout de suite intéressé par l'idée et nous avons pu l'exposer plus longuement à ses services et à la Direction générale de la santé (DGS).

H. : L'idée est d'abord de diffuser des connaissances sur les troubles psychiques aux non-professionnels ?

J. M. : Le dispositif vise à former spécifiquement des personnes pour leur permettre de fournir un soutien initial à une autre personne (proche, collègue, ami...) qui commencerait à manifester des troubles psychiques ou traverserait une crise. Il diffuse et renforce les connaissances en santé mentale pour que les personnes formées disposent de compétences pour identifier ces troubles, puissent adopter un comportement adapté face à une situation problématique et sachent vers qui orienter ou transmettre une alerte. Il subsiste beaucoup de méconnaissance, de préjugés, de fantasmes sur les troubles psychiques, encore connotés très négativement, ce qui entraîne de l'exclusion pour ces personnes en souffrance, des retards voire des absences de prises en charge.

H. : Le programme de formation existe déjà dans plusieurs pays, a-t-il besoin d'être repensé ou adapté pour répondre à des spécificités françaises ?

J. M. : C'est l'adaptation du programme Mental Health First Aidinitié en 2001 en Australie, puis repris par le Canada, le Royaume-Uni, le Japon, les États-Unis, la Finlande, etc. La Suisse est sur le point de lancer le dispositif et l'Allemagne est également intéressée. Nous nous sommes posé la question de recréer un modèle pour la France ou d'adapter ce programme (sous licence) en s'appuyant sur l'existant. C'est la seconde configuration qui est retenue, puisque ce programme a fait l'objet de plusieurs études d'impact, nous avons déjà du recul sur sa mise en œuvre et sur un plan international. Et nous disposons de surcroît de contenus pédagogiques, y compris de pays francophones, même si bien sûr il conviendra de les adapter au contexte français, notamment pour y intégrer les spécificités nationales (acteurs, modalités d'accompagnement et de prises en charge sanitaires, médico-sociales, organisation du système de santé).

H. : Le plan prévention du Gouvernement évoque un projet pilote destiné dans un premier temps aux étudiants...


J. M. : Effectivement, c'est le public retenu par le Gouvernement pour débuter le projet. C'est intéressant car l'on sait que la période des 15-25 ans est souvent associée aux risques de consommation de substances addictives et/ou des risques suicidaires. C'est aussi la période durant laquelle peuvent commencer à se manifester certaines pathologies psychiatriques graves. Or on sait que les prises en charge précoces permettent de freiner le développement de certaines pathologies, de réduire les risques de handicap psychique futur ou le niveau de sévérité de ce handicap. Après va se poser la question du financement de la formation pour un étudiant, qui est à examiner. Est-ce que ce sera financé par ses parents, la mutuelle ou l'université ? S'il s'agit de former par exemple des professionnels du social ou médico-social, il est plus évident d'imaginer le financeur, ça peut être pris en charge, selon le lieu de travail et le statut de ces professionnels, par l'entreprise ou une collectivité, un établissement, etc. Quoi qu'il en soit, sur le fond, le programme peut aussi se décliner avec des modules spécifiques. Certains pays ont développé des modules sur des thématiques (suicide, addictions) ou des populations spécifiques, comme les personnes âgées ou les militaires (pour d'éventuels syndromes de stress post-traumatique) par exemple.

H. : Qui va former les futurs formés aux premiers secours ?


J.M. : Il reste à déterminer les contours de l'entité chargée de gérer le programme, notamment son statut juridique. Cette entité pourrait associer principalement l'Infipp, Santé mentale France et l'Union nationale des familles et amis de personnes malades et/ou handicapées psychiques (Unafam), qui devrait très probablement valider en interne fin avril sa décision de s'associer au projet. La DGS souhaite participer au pilotage du dispositif, ce qui est bien sûr légitime. Cette entité sera notamment chargée de garantir l'intégrité du programme, de former et habiliter les formateurs, produire et actualiser les supports pédagogiques, délivrer des attestations, gérer le financement, etc. Nous allons rencontrer en juillet prochain la délégation australienne de Mental Health First Aid. Cela permettra de former une première vague "d'instructeurs", professionnels et bénévoles issus des secteurs de la santé mentale et du handicap. Ceux-ci seront à leur tour chargés de former des formateurs. Un déploiement du dispositif dans certains territoires pourrait s'opérer au cours du premier trimestre 2019, puis progressivement, au cours de l'année, sur l'ensemble du territoire."
Propos recueillis par Caroline Cordier

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