mercredi 28 mars 2018

Limiter le recours à l’imagerie médicale ?

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En progression continuelle, l’imagerie cérébrale permet de voir toujours plus profondément à l’intérieur du cerveau. Mais cet examen nécessite souvent une interprétation délicate, notamment en psychiatrie et en justice.

Limiter le recours à l’imagerie médicale ?
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SPL/BSIP 
Parmi les différentes techniques en plein développement, la neuro-imagerie ou imagerie cérébrale tient une place importante, car elle permet de « voir » l’anatomie ou le fonctionnement du cerveau, « l’organe de la conscience et de la pensée ». Cet outil est en effet aujourd’hui très utilisé en recherche humaine, en médecine, mais aussi dans des domaines de la vie quotidienne comme la justice (neurodroit) ou l’économie (neuroéconomie).
Venant après l’électroencéphalogramme (EEG) qui, au moyen d’électrodes posées sur le cuir chevelu, permet de mesurer le simple courant électrique circulant entre les neurones, l’imagerie cérébrale regroupe plusieurs techniques comme la radiographie aux rayons X, le scanner X, la tomographie par émission de positons (TEP) et enfin, depuis les années 1970, l’imagerie par résonance magnétique (IRM). « Cette dernière permet de visualiser les zones cérébrales impliquées dans les principales fonctions intellectuelles (langage, mémoire, pensée), émotionnelles et motrices », explique Lionel Naccache, neurologue à la Pitié-Salpêtrière et membre du Comité consultatif national d’éthique (1). « Les performances des techniques d’imagerie cérébrale ont permis à l’homme de réaliser un rêve : “voir” le cerveau vivant en train de fonctionner », rappelle Catherine Vidal, neurobiologiste honoraire à l’Institut Pasteur de Paris.

Après avoir placé le corps du patient dans un grand aimant cylindrique, on suit ainsi sur écran les réponses électromagnétiques des atomes et des molécules qui le constituent. L’IRM anatomique explore le cerveau au repos et informe sur la nature des tissus (matière grise, blanche, vaisseaux sanguins). « En diagnostic médical, elle permet de localiser des accidents vasculaires cérébraux (AVC), des tumeurs cancéreuses ou des malformations congénitales», poursuit Lionel Naccache. Une autre forme d’imagerie par résonance magnétique, l’IRM fonctionnelle (IRMf), permet, elle, de visualiser les neurones en activité, en mesurant l’afflux de sang oxygéné qui se produit dans la ou les régions où s’activent les neurones.
Au moyen de ces différentes variantes, l’IRM s’avère être un instrument puissant permettant une exploration de plus en plus fine de ce qui se passe dans le cerveau d’une personne. On sait maintenant, grâce à l’imagerie cérébrale, que raconter des histoires personnelles évoquant des événements majeurs de la vie d’un individu tombé dans le coma induit des réponses fonctionnelles chez cet individu, y compris dans les états végétatifs chroniques. Cela complique la codécision des médecins et de la famille d’interrompre ou non les soins.
Mais une découverte récente pourrait contribuer à lever ce doute à l’avenir. Ainsi, en février dernier, un essai mené à l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière auprès de 200 patients dans trois pays européens et réalisé au moyen d’une troisième variante de l’IRM a permis de prédire le réveil de patients tombés dans le coma après un arrêt cardiaque. « Cet indicateur, basé sur l’analyse du mouvement des molécules d’eau dans la substance blanche, la partie interne du cerveau, et mesuré par IRM-DTI a permis de prédire avec une très haute précision le devenir clinique à six mois de ces patients, explique Louis Puybasset, chef du service anesthésie-réanimation. « Cette technique est très supérieure à tous les autres tests utilisés à ce jour, mais il convient de confirmer ce résultat à grande échelle. »
L’IRM fonctionnelle doit néanmoins être interprétée avec précaution, insiste Pierre-Marie Lledo, neurobiologiste au CNRS et directeur du département de neurosciences à l’Institut Pasteur. « En 2016, une étude de l’université de Linköping (Suède) a révélé que 70 % des études réalisées à partir d’une IRMf reposaient sur des erreurs statistiques, et une autre antérieure critiquait l’exagération de neuroscientifiques à propos de liens entre l’activité cérébrale et les émotions. En toute rigueur en effet, onne voit pas directement les neurones en train de s’activer », explique le neurobiologiste (2).
En France, en 2012, le Comité national d’éthique (CCNE), l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques (OPECST) et le Centre d’analyse stratégique, directement rattaché au premier ministre, avaient alerté sur le manque de fiabilité de l’imagerie cérébrale. Par exemple, la corrélation entre les lésions au sein du cortex orbito-frontal et le déclenchement de comportements compulsifs ou de pulsions sexuelles n’est pas assez robuste pour être considérée comme une cause de ce comportement, selon Lionel Stoléru, psychiatre et chercheur à l’Inserm.
Pour éviter toute dérive, la loi prévoit que « les techniques d’imagerie ne peuvent être employées qu’à des fins médicales ou de recherche scientifique ou dans le cadre d’expertises judiciaires », et avec le consentement du patient. Malgré ces précautions, l’utilisation de l’IRM à des fins judiciaires fait depuis lors l’objet de critiques. « Les autorités politiques aimeraient que les neurobiologistes trouvent et valident des indicateurs biologiques de dangerosité », explique Hervé Chneiweiss (Inserm, Collège de France). Et de fait, selon deux étudiants en sociologie (Le Monde du samedi 10 février), un amendement à la loi de bioéthique de 2011, passé inaperçu, « autorise un magistrat à mandater un expert en neurosciences pour qu’il évalue les risques de récidive, la véracité d’un témoignage ou le degré de responsabilité pénale d’un prévenu ».
Le fait de corréler ainsi les cartes fonctionnelles de l’activité cérébrale et certains caractères comme l’agressivité, la violence, voire les prédispositions au passage à l’acte, n’est pas sans soulever de profondes questions éthiques. D’abord parce que la technique n’est pas suffisamment fiable. Ensuite en raison de l’intrusion dans le psychisme humain que représentent de telles investigations, sans parler des risques de dérives. À ce jour toutefois, cette possibilité n’a jamais été mise en œuvre en France, contrairement aux États-Unis, où des avocats ont déjà réclamé aux tribunaux des peines plus clémentes en se fondant sur les résultats de l’IRM de leur client.
Le recours à l’IRM existe aussi dans d’autres domaines comme l’économie ou le marketing, essentiellement à des fins commerciales cette fois. Ainsi la neuroéconomie, une science qui a pour objet de mieux comprendre comment notre cerveau fonctionne lorsque nous sommes confrontés à des choix économiques et financiers, intéresse certains neurobiologistes. Pour cela, ils analysent à l’aide de l’IRM l’activité cérébrale de clients potentiels en leur montrant des images d’objets à vendre et en leur indiquant leur prix, afin de comprendre leur comportement d’achat. En France, il existe quelques sociétés de conseil mesurant les émotions des consommateurs à l’aide d’outils issus des neurosciences pour de grandes entreprises. Là encore, « cette application des neurosciences, hors des laboratoires de recherche, nécessiterait une réflexion éthique », insiste Olivier Oullier, professeur de psychologie et de neurosciences à l’université d’Aix-Marseille.
Denis Sergent

(1) Auteur avec Karine Naccache de Parlez-vous cerveau, Odile Jacob, 2018. (2) Auteur de Le Cerveau, la Machine et l’Humain, Odile Jacob, 2017.

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