vendredi 2 février 2018

Stéphane Gayet: « Il faut retrouver le sens de l’hygiène »

L’hygiène n’est pas un ensemble de gestes rituels ou obsessionnels, mais une partie de la médecine qui nécessite de la connaissance et de la réflexion, explique dans une tribune au « Monde » le médecin infectiologue et hygiéniste.

LE MONDE SCIENCE ET TECHNO  | Par 

Tribune. Le terme « hygiène » est aujourd’hui dévoyé, car mal compris. Son mésusage actuel est à l’origine d’un fourvoiement langagier et d’erreurs comportementales préjudiciables.


Le mot « hygiène » provient d’un terme grec signifiant « sain », « bien portant ». L’hygiène est la partie de la médecine qui vise à conserver et à améliorer la santé. Dans la mythologie gréco-romaine, Hygie est la déesse de la santé, fille d’Esculape, dieu de la médecine.

On peut affirmer que toute mesure que l’on appelle en langage courant « hygiène » et qui ne concourt pas à notre santé ne relève pas de l’hygiène, mais d’autre chose qu’il faut appeler par son nom. Il existe en réalité plusieurs hygiènes : alimentaire, sexuelle, mentale…

Eviter les infections


Quand le mot « hygiène » est employé sans adjectif, il signifie généralement hygiène microbienne. C’est un ensemble de mesures visant à éviter les infections. L’hygiène, ainsi, intervient principalement en faisant obstacle à la contamination microbienne – c’est-à-dire à l’apport de bactéries ou de virus – et a pour objectif d’en écarter le danger.

Prenons deux exemples. Lorsque nous nous trouvons face à une personne malade de la grippe et qui tousse, nous sommes en présence d’un danger. Une mesure d’hygiène utile consiste à s’écarter à plus d’un mètre cinquante. Une autre, concernant la personne malade, à porter un masque antiprojection ou à défaut à mettre sa main devant sa bouche en toussant.

En période d’épidémie de gastro-entérite virale, après avoir serré la main d’une personne, il faut avoir conscience que notre main peut être contaminée par le virus pathogène circulant. Une mesure d’hygiène efficace consiste à se laver ou à se désinfecter les mains avant de toucher notre bouche ou tout élément susceptible d’entrer en contact avec elle (c’est simple en théorie, mais, en pratique, cela demandeun effort).

Se laver les mains à longueur de journée n’est pas de l’hygiène ; se les laver ou se les désinfecter au bon moment, oui






Dans ces deux exemples, il est clair que le danger de contamination vient d’une autre personne. En effet, l’hygiène n’est pas affaire d’environnement, du moins aujourd’hui. Certes, lors des épidémies meurtrières qu’ont été la peste, le choléra et le typhus, les mesures d’hygiène s’adressaient aussi à l’environnement qui jouait un rôle indéniable. L’hygiène comprenait alors également la salubrité et la propreté des habitations. Mais nous n’en sommes plus là.

Car il faut comprendre que les bactéries et virus qui sont responsables d’infections aujourd’hui ont pour réservoir essentiel le corps humain. Les bactéries de l’environnement ne sont pas – pour l’immense majorité d’entre elles – pathogènes pour l’homme, contrairement à une idée répandue ; au contraire, elles nous sont souvent bénéfiques.

La véritable contamination dangereuse est soit interhumaine, c’est-à-dire de personne à personne, soit autonome, c’est-à-dire d’une région du corps à une autre chez un même individu (par exemple, se frotter l’œil après avoir déféqué puis s’être essuyé l’anus).

Les infections courantes les plus sensibles à l’hygiène sont les diarrhées infectieuses. En France, on estime leur nombre annuel à au moins 30 millions. A l’échelle mondiale, environ 4 milliards de jeunes enfants sont atteints chaque année, dont plus de 1,5 million en meurent. Des mesures d’hygiène appropriées pourraient sans doute éviter la moitié des cas.

Maladies nosocomiales


Quant aux infections associées aux soins (nosocomiales), elles concernent entre 5 % et 7 % des personnes hospitalisées en France, soit plus de 750 000 cas par an. Mais ce nombre est déjà le résultat d’une baisse d’environ 25 % à 30 % en dix ans, due à l’application systématique – en principe –de mesures d’hygiène par les professionnels de soins.

En revanche, le nettoyage, et qui plus est, la désinfection du sol de la cuisine, de la salle de bains et des toilettes ne sont pas des mesures d’hygiène : cela n’évite aucune infection. La toilette corporelle générale n’est pas non plus une mesure d’hygiène, pour la même raison.

Nous empoisonnons notre intérieur en nous évertuant à désinfecter les sols et surfaces avec des produits antimicrobiens toxiques






On évite les infections en supprimant l’usage d’essuie-mains multi-utilisateur, en se lavant les mains avant de les porter à sa bouche ou à toute autre muqueuse, et avant de toucher quelque chose qui va aller à la bouche (nourriture…). On évite encore les infections en nettoyant et en désinfectant une plaie récente qui est une porte d’entrée. L’hygiène nécessite de la connaissance et de la réflexion : elle n’est pas un ensemble de gestes rituels ou, pire, obsessionnels. Se laver les mains à longueur de journée n’est pas de l’hygiène ; se les laver ou se les désinfecter au bon moment, oui.

Propre et mauvaise hygiène


Aujourd’hui, et c’est préjudiciable, le terme « hygiène » a pris dans le langage courant le sens de « nettoyage », de « propreté » ou encore de « désinfection ». C’est une grave erreur sémantique. Les expressions telles que « produits d’hygiène », « rayon d’hygiène », « hygiène corporelle », « soins d’hygiène », « papier hygiénique », « serviette hygiénique », « manquer d’hygiène » sont presque constamment employées à la place de « propreté » ou d’évitement d’odeurs désagréables : l’hygiène n’est ni la propreté ni l’absence de mauvaise odeur.

On peut être propre et avoir une mauvaise hygiène, dès l’instant où cette propreté est obsessionnelle, irréfléchie et irrationnelle, donc peu efficace. Au contraire, nous pouvons irriter notre peau si nous utilisons des produits agressifs, ce qui favorise les maladies. Dans le même ordre d’idées, nous empoisonnons notre intérieur en nous évertuant à désinfecter les sols et surfaces avec des produits antimicrobiens toxiques.

Retirons le mot « hygiène » de toutes les actions et expressions qui ne contribuent pas à éviter les infections, et nous pourrons alors avoir une véritable hygiène bien pensée, rationnelle et efficace.

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