mercredi 28 février 2018

Des «conditions indignes» au CHU de Saint-Etienne

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Manifestation à Paris, le 15 juin 2014, pour le respect et la dignité des personnes souffrant de troubles psychiques.
Manifestation à Paris, le 15 juin 2014, pour le respect et la dignité des personnes souffrant de troubles psychiques. Photo Albert Facelly


Patients attachés, isolement abusif… Une visite des contrôleurs généraux des lieux de privation de liberté début janvier a révélé des pratiques «honteuses» qui se faisaient pourtant au grand jour. Des recommandations ont été transmises au ministère de la Santé.

C’est une visite qui aurait dû être anodine, comme les contrôleurs généraux des lieux de privation de liberté en font régulièrement. Ils arrivent sans prévenir. Et regardent. La scène se passe au CHU de Saint-Etienne, entre le 8 et le 15 janvier dernier, le but étant de se pencher sur les conditions d’hospitalisation en psychiatrie. D’abord ils se rendent aux services des urgences, puis dans les services de psychiatrie. Ce qu’ils voient ? Ils n’en reviennent pas. Des patients sont attachés sur des brancards pendant plusieurs jours. «Des conditions indignes», voire honteuses. Dans les étages, en psychiatrie, les chambres d’isolement sont toujours remplies ; des patients sont maintenus en contention sans visite médicale et cela pendant des semaines - des pratiques d’isolement généralisées en contradiction absolue avec la réglementation.

Bref, les dysfonctionnements sont majeurs. Au point qu’aussitôt, la contrôleure générale, Adeline Hazan, adresse à la direction du CHU et à la ministre de la Santé, Agnès Buzyn, des recommandations avec des demandes précises, comme l’arrêt immédiat «de ces atteintes aux droits». Alors que ces recommandations sont publiées au Journal officiel ce jeudi, la ministre n’avait toujours pas réagi mercredi soir.
«C’est terrifiant, ce qui se passe. Le pire, c’est que certains s’y habituent»,s’indigne le DHervé Bokobza, fondateur du Collectif des 39 qui s’est battu contre cette psychiatrie sans hospitalité. Ce que décrivent les contrôleurs est ahurissant, d’autant plus qu’il a fallu le passage de ces experts pour que des personnes réagissent alors que ces pratiques se font au grand jour. L’Agence régionale de santé (ARS) comme la Haute Autorité de santé, qui a pourtant fait une visite dans l’établissement cet automne, sont passées à travers, n’ont rien vu. Au printemps, la direction du CHU se vantait même de sa situation. Comme le racontait alors France Info,«depuis 2013, l’établissement affiche sa bonne santé budgétaire. Le CHU dégage même régulièrement, depuis quatre ans, de la marge financière. Depuis trois ans, l’établissement a ainsi comptabilisé 18 millions d’euros de nouvelles recettes via ses activités. Le CHU de Saint-Etienne est bel et bien sur la voie de l’autonomie financière. Son taux de marge réalisée de 8,1 % est même unique dans la région Auvergne-Rhône-Alpes».

«Aucune confidentialité»

Que demander de mieux ? Dans ce CHU, la psychiatrie adulte est une discipline importante. Elle dispose de 216 lits, contre 14 lits et 64 places pour la pédopsychiatrie. Et il n’y a pas de manque criant de personnel. En tout cas, le parcours de soins se veut précis : en dehors des hospitalisations programmées, tous les patients sont pris en charge, au départ, par les urgences.
Seulement voilà, selon le rapport, «ce jour-là, les contrôleurs ont constaté la présence, aux urgences générales du CHU, de vingt patients relevant de la psychiatrie en attente de places. Treize de ces vingt patients attendaient, allongés sur des brancards dans les couloirs des urgences. Sept patients faisaient l’objet de contention au niveau des pieds et d’une ou des deux mains. Ces sept personnes se trouvaient aux urgences depuis des durées allant de quinze heures à sept jours, cinq étant présents depuis plus de trois jours. Ils n’avaient pu ni se laver, ni se changer, ni avoir accès à leur téléphone portable. Trois d’entre eux devaient user d’un urinal posé le long de leur jambe sur le brancard, au-dessus du drap».
Peut-être était-ce en raison de leur pathologie ou de leur dangerosité ? En aucun cas. «Aucun de ces patients ne présentait d’état d’agitation, certains demandant juste à pouvoir être détachés, sans véhémence, dans une forme de résignation et d’acceptation.» Plus effrayante encore, l’indifférence ambiante : «Les contentions étaient visibles de toute personne circulant dans les couloirs des urgences […] Les entretiens avec les médecins et infirmiers, comme la délivrance des traitements, s’effectuaient sans aucune confidentialité.»
Les urgences sont-elles un cas à part ? Négatif. Les contrôleurs découvrent des pratiques qui semblent être institutionnalisées. Ainsi,«toute personne admise en soins sans consentement est systématiquement placée sous contention». Sans aucune raison. Dans les services d’hospitalisation, rien ne va mieux, sans que nul ne s’en offusque. On voit«une pratique générale d’isolement et de contention dans les unités d’hospitalisation complète ne répondant pas aux exigences législatives et réglementaires». Exemple : le pôle de psychiatrie dispose de quatre chambres d’isolement identiques qui comportent un lit fixé au sol, un point d’eau avec des toilettes, et un bouton d’appel mural.

«Données inexploitables»

«Lors du contrôle, toutes les chambres d’isolement étaient occupées. L’enfermement est également fréquent en chambre ordinaire, y compris avec contention et sans traçabilité informatique. Une patiente non agitée mais souffrant de troubles compulsifs est ainsi placée en isolement dans sa chambre ordinaire depuis plusieurs mois, avec porte des toilettes fermée à clé et quatre sorties d’un quart d’heure autorisées par jour, pour fumer.» Comme si cela ne suffisait pas, «les placards de rangement de chaque unité abritent une dizaine de nécessaires de contention alors même qu’il n’y a qu’une chambre d’isolement». Au cas où…
Certaines unités ont même mis au point des «périodes d’isolement régulières, de plusieurs semaines». Sans oublier ces patients, en hospitalisation libre, qui se retrouvent isolés et attachés, ce qui est totalement illégal.
«L’analyse des pratiques est inexistante et les données communiquées par le CHU sont fausses et inexploitables.» In fine, le rapport renvoie l’image de malades en perdition, vulnérables, isolés, attachés, sans aucune raison médicale. «Ces mesures se prolongent sans contrôle médical et dans l’illégalité», insiste la contrôleuse générale. Le CHU a reconnu une grande partie des faits. Et Adeline Hazan de préciser à Libération : «En même temps, nous sommes désarçonnés. Car ce sont des équipes qui se sont montrées ouvertes, comme d’ailleurs la direction de l’hôpital. Dès qu’ont été débattues leurs pratiques, elles ont convenu que cela n’allait pas, et elles sont prêtes à les modifier rapidement.» Une naïveté pour le moins folle ?
Par ÉRIC FAVEREAU

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