mardi 27 février 2018

Baclofène : pour le Conseil d’Etat, un verre à moitié plein ?

Par Eric Favereau — 

Au départ, le baclofène est prescrit comme relaxant musculaire.
Au départ, le baclofène est prescrit 
comme relaxant musculaire. 
Photo Garo. Phanie


Alors que de grands alcooliques se disent sauvés par ce médicament, la question des effets secondaires à haute dose inquiète les autorités sanitaires. Une décision est attendue dans les prochains jours.

Le baclofène est vraiment unique. Au point que l’aventure autour de ce médicament, hier utilisé comme myorelaxant puis massivement détourné pour soigner l’alcoolisme, se poursuit depuis dix ans avec des épisodes peu communs. Une décision du Conseil d’Etat sera rendue publique «dans les jours qui viennent»à fait savoir lundi l’institution. Elle fait suite à la requête d’une patiente qui contestait l’interdiction de le prescrire à haute dose, décrétée fin juillet par l’Agence nationale de sécurité des médicaments (ANSM). Cette dernière rendra dans quelques mois son verdict sur ce produit en lui accordant ou pas une autorisation de mise sur le marché.

De fait, on l’a oublié, mais le baclofène peut être aussi un vrai médicament, c’est-à-dire compliqué, incertain, parfois dangereux, à ne pas mettre en tout cas entre toutes les mains. Et parfois efficace. Le problème, comme pour bien d’autres molécules, est son «bon usage». «Le rapport bénéfice risque est nettement favorable à son autorisation à hautes doses, a affirmé sans hésiter, dans Ouest France,Thomas Maës-Martin, dont la femme a saisi le Conseil d’Etat. Bien sûr, il y a des effets secondaires au début, d’ordre psychiatrique essentiellement, raison pour laquelle ce médicament doit être donné par des médecins compétents. Mais cela passe au bout de trois mois et le baclofène peut sortir des gens de trente ans d’alcoolisme en quelques mois.» Et de poursuivre : «J’ai assisté à des miracles. Mon épouse, traitée depuis fin 2012, est passée de deux litres d’alcool par jour à zéro.» Difficile de formuler la moindre objection face à tel un miracle.
«Casse».
Quid néanmoins de la question des effets secondaires ? Le professeur Michel Reynaud, qui a supervisé une des deux grosses études sur le baclofène, se montre, lui, mesuré. Regardons d’abord la situation : le baclofène était au départ prescrit comme relaxant musculaire dans les cas de sclérose en plaques. Depuis dix ans, porté par le succès du livre du Dr Olivier Ameisen, le Dernier Verre, et sous la pression de quelques médecins généralistes et surtout de centaines de malades, le baclofène est apparu comme un produit miracle pour lutter contre l’alcoolisme.

Des réseaux parallèles de distribution se sont mis en place pour répondre à un véritable engouement. Cette pilule marchait, non pas systématiquement, mais chez un nombre non négligeable de grands alcooliques qui le prenaient à des doses importantes. Non sans réticence, l’Agence du médicament a alors autorisé en 2014 la prise du baclofène, mais assorties de restrictions et dans le cadre d’une recommandation temporaire d’utilisation (RTU). Avant de décider en juillet d’abaisser la dose maximale autorisée, à 80 mg par jour contre 300 auparavant, en s’appuyant sur une étude conduite par l’Assurance maladie. Cette dernière conclut en effet que le baclofène à fortes doses (plus de 180 mg par jour) fait plus que doubler le risque de décès par rapport aux autres médicaments contre l’alcoolisme, et accroît de 50 % le risque d’hospitalisation.
C’est cette décision qui est remise en cause par certains patients. «On ne peut pas ne pas tenir compte de l’étude de l’assurance maladie,explique le professeur Michel Reynaud. Dans cette étude, il y a des résultats alarmants. Chez un nombre conséquent de patients qui en prennent à fortes doses, il y a des effets secondaires graves, comme des comas, des crises d’épilepsie voire des décès. Bref, il peut y avoir de la casse. Ce médicament n’est pas sans risque.»
Que faire alors ? Limiter le dosage au risque qu’il ne perde son efficacité ? «Peut-être que l’Agence a été trop prudente, car il ne faut pas oublier les ravages et le nombre de morts dus à l’alcoolisme», poursuit Michel Reynaud. Mais jusqu’où, alors, tolérer le risque ? «En dessous de 100 mg, les risques sont minimes, note Michel Reynaud. Au-dessus, il ne faut pas l’interdire, mais mettre en place un encadrement précis, d’autant que, grosso modo, il ne marche qu’une fois sur deux.»
Bizarrerie.
Voilà. Le baclofène est, aujourd’hui, dans l’entre-deux. A la question, comment bien le prescrire, il n’existe pas de réponse simple. D’autant que les patients ont souvent d’autres pathologies. Outre la décision imminente du Conseil d’Etat, l’Agence du médicament par la voix de son directeur, Dominique Martin, a expliqué qu’il allait«renouveler l’autorisation temporaire pour un an supplémentaire», le temps que la procédure d’instruction de l’Autorisation de mise sur le marché (AMM) aille à son terme.

Enfin, faut-il rappeler cette dernière bizarrerie : le baclofène est une… originalité française. Il y a en France autour de 100 000 patients qui le prennent, selon l’ANSM, qui précise : «Sur 23 pays européens interrogés, seuls cinq disent avoir connaissance de l’utilisation du baclofène dans le cadre de l’alcoolo-dépendance, et encore avec peu de patients.» 

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