vendredi 19 janvier 2018

Donald Trump, génie burlesque

Une séquence photographique montrant le président des Etats-Unis, prise en novembre 2017, a ressurgi à l’occasion des récents soubresauts qui ont secoué la Maison Blanche. Pourquoi la lisons-nous comme révélatrice ?

LE MONDE  | Par 


Aux sommets de l’Asean, la tradition veut que les dirigeants présents se croisent les bras pour se serrer la main.
Aux sommets de l’Asean, la tradition veut que les dirigeants présents se croisent les bras pour se serrer la main. Andrew Harnik/AP

Donald Trump, entre le premier ministre du Vietnam, Nguyen Xuan Phuc, et le président des Philippines, Rodrigo Duterte, a éprouvé des difficultés à effectuer le geste, le 13 novembre 2017.
Donald Trump, entre le premier ministre du Vietnam, Nguyen Xuan Phuc, et le président des Philippines, Rodrigo Duterte, a éprouvé des difficultés à effectuer le geste, le 13 novembre 2017. Andrew Harnik / AP
La séquence avait beaucoup circulé, elle a ressurgi quand le président des Etats-Unis s’est autoproclamé « génie très équilibré », le 6 janvier.

La séquence avait beaucoup circulé, elle a ressurgi quand le président des Etats-Unis s’est autoproclamé « génie très équilibré », le 6 janvier. Andrew Harnik/AP
C’est l’une de ces images qui semblent condenser une évidence flottant dans l’air du temps. Le président des Etats-Unis, convié à participer à une chaîne symbolique avec d’autres dirigeants et chefs d’Etat, semble empêtré dans son corps et mettre quelques instants avant de parvenir à croiser les bras correctement. Dans cette difficulté à reproduire une consigne gestuelle simplisme, certains ont vu une nouvelle preuve de sa déficience.

Cette photographie d’Andrew Harnik pour Associated Press a d’abord été relayée par des internautes, puis par divers journaux et sites Internet américains le jour même de l’incident, le 13 novembre 2017. Prise lors du 31e sommet de l’Association des nations de l’Asie du Sud-Est (Asean), à Manille (Philippines), elle a resurgi à la faveur d’un contexte chargé pour la présidence Trump. Les doutes concernant la capacité à gouverner de ­Donald Trump ont été alimentés ces derniers jours par la sortie du livre à charge Fire and Fury, du journaliste ­Michael Wolff, ainsi que par les saillies sur Twitter du président lui-même assurant de sa « stabilité » et se qualifiant de « génie ».


Lapsus corporel


Le comique de la situation n’échappe à personne, mais quels en sont les ressorts ? Christian Godin, philosophe et auteur de l’ouvrage Chaplin et ses doubles. Essai sur l’identité burlesque (Champ Vallon, 2016), nous rappelle que Hegel définissait le comique comme l’expression d’une contradiction non résolue : « Cette photographie condense un ensemble particulièrement riche de contradictions. Entre la solennité de l’instant [qui regroupe des chefs d’Etat clôturant un sommet international] et la pitrerie involontaire du président incapable d’y répondre ; entre la puissance et l’autorité qu’il doit incarner en tant que chef de la première puissance mondiale et son incompréhension de la situation ; entre le talent supposé, voire reconnu de showman de ce président (il a participé à des émissions de télé-réalité dans une vie antérieure) et sa maladresse à effectuer un geste pourtant élémentaire ».

Pourquoi cette image, parmi les dizaines, qui, chaque jour, immortalisent les faits et gestes du personnage Trump et se prêtent à la caricature ? C’est que, précisément, elle manifeste un écart par rapport à une iconographie stable et protocolaire ; un écart qui, dans le contexte actuel, est interprété non pas comme une banale incompréhension, un moment ordinaire de flottement, mais comme une preuve de plus apportée au récit médiatique de l’incapacité mentale du président. Une sorte de lapsus corporel symptomatique – il est par ailleurs intéressant que l’analyse des poignées de main de Donald Trump avec Shinzo Abe et Justin Trudeau, les premiers ministres japonais et canadien, ou Emmanuel Macron, fasse chaque fois couler beaucoup d’encre, comme si son langage corporel était révélateur d’une bestialité que chacun cherche à débusquer.

Car ce que cette image manifeste, poursuit Christian ­Godin, « ce pourrait être aussi, comme souvent avec le burlesque, une inquiétude qui perce derrière le rire ». Peut-être moins celle de la déficience supposée ou réelle du chef d’Etat et de la « rupture » qu’il introduit dans la diplomatie internationale, que justement de l’absence de rupture, de contradiction. Donald Trump, le bouffon de pantomime que l’opinion publique souhaite reconnaître ici, est bel et bien au pouvoir et fêtera bientôt le premier anniversaire de son investiture. Quelle mécanique trop bien huilée a permis l’avènement et le maintien de ce que nous voulons voir comme une marionnette désarticulée ? C’est peut-être parce qu’on ne cherche pas, au fond, à répondre à cette question que l’on s’amuse d’un cliché.


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