lundi 15 janvier 2018

Amine Benyamina, doc addict

Par Eric Favereau, photo Stéphane Remael — 


Photo Stéphane Remael pour Libération

L’enthousiaste psychiatre franco-algérien demande à Emmanuel Macron de faire des addictions une «grande cause nationale».

Si c’était un enfant, on diagnostiquerait une pathologie d’hyperactivité, tant Amine Benyamina parle, s’agite, s’impose pour occuper tout le terrain. Il a toujours mille anecdotes à raconter, une foule de souvenirs à partager, une énergie folle à dépenser.
Mais voilà, ce n’est plus un ado, il est psychiatre, même professeur de psychiatrie, et il dirige aujourd’hui un des pôles les plus importants de prise en charge des conduites addictives, situé à l’hôpital Paul-Brousse de Villejuif près de Paris. Fin décembre, il a écrit une lettre au président de la République pour qu’il décrète les addictions «grande cause nationale». «Il faut que cela bouge, et à présent, on se heurte à une impossibilité car on mélange tout. Il faut distinguer, par exemple, le "cannabis thérapeutique" et le "cannabis festif". Et dans le "festif", distinguer les consommateurs problématiques, qui sont peut-être de l’ordre de 10 %. A tout mettre dans le même panier, on stagne dans l’impasse. Comme depuis vingt ans.»

Amine Benyamina, énième dépénaliste à tous crins ? Allons donc, l’homme déroute. Il est unique, lui, l’Algérien d’Oran, médecin à diplôme étranger et aujourd’hui installé sur la plus haute marche de la médecine française. «J’adore la France, dit-il, comme j’adore l’Algérie. Je suis vraiment à 3 000 % un binational.» Son parcours est, en tout cas, peu banal. D’ordinaire, les médecins à diplôme étranger se perdent dans des hôpitaux de seconde zone, lui triomphe, et ce soir-là, il file à une réunion d’un petit groupe de proches conseillers santé d’Emmanuel Macron.
Remontons le temps. Il a tout juste 12 ans. C’est l’été 1978. Amine doit être déjà chaleureux, séducteur. Et pressé. Il vient de passer des vacances à Toulon afin que sa mère puisse s’occuper d’un vieil oncle malade. Son père, ex-officier de l’Armée de libération nationale (ALN), le bras armé du FLN, est directeur du journal l’Echo d’Oran. «A la fin de l’été, ma mère a dit : "On reste".»En 1984, la famille retourne en Algérie. «Je passe mon bac à Oran, raconte Amine Benyamina, mais j’avais le désir ardent, mieux, la certitude, que je reviendrais en France.»
Amine Benyamina est ainsi. Il ne doute pas. Il a 18 ans. Pourquoi choisir de faire médecine ? «J’étais francophone, le niveau des facs en Algérie était bon et dans ma famille, il y a beaucoup de médecins.» Il ajoute : «D’emblée je voulais faire psychiatre. Je lisais beaucoup. Dans la famille, je passais pour l’intello.» A l’époque, alors que monte l’islamisme en Algérie, Oran reste une ville plutôt préservée. «On était très laïques, pas du tout religieux.» Mais la situation va vite se tendre, puis devenir insupportable. A l’image de Mahfoud Boucebci, figure de la psychiatrie d’Alger, fervent militant de la démocratie laïque, qui est mortellement poignardé en 1993 devant l’hôpital qu’il dirigeait. «Ils s’en prenaient clairement aux psychiatres. Je ne pouvais plus rester», se souvient Amine Benyamina.
Il a 30 ans. En juillet 1996, il débarque, seul, à Paris. Au départ, il laisse femme (franco-algérienne, radiologue de métier) et enfants (il en a trois) en Algérie. Nul ne l’attend. Il arrive sans réseau ni adresse. Et va connaître la vie précaire des médecins à diplôme étranger. Il est habile, se dit qu’il faut frapper aux portes des politiques, s’inscrit au Parti socialiste (PS) de son quartier. Il débarque au ministère de la Santé et s’invite parmi les conseillers du ministre d’alors, Bernard Kouchner. Il monte un collectif pour défendre ces praticiens étrangers que l’on commence à exploiter dans les hôpitaux en manque de personnel. «On s’est battu, on s’est menottés aux grilles du Conseil de l’ordre pour pouvoir exercer.»
Amine Benyamina ne désespère jamais. «Je n’ai aucune tendance à l’aigreur, ni aux reproches», dit-il. Un de ses amis : «Il est toujours positif.» Lui : «J’ai fait un bout d’analyse, mais ce n’est vraiment pas mon truc.» Il passe par de multiples stages comme faisant fonction d’interne, puis assistant. Il exerce un moment à l’hôpital Marmottan. Il rencontre aussi bien le docteur Claude Olievenstein que le président de l’ONG Médecins sans frontières (MSF), Rony Brauman, ou l’anthropologue Marc Augé. Il aime cela. Il a de l’entregent, adore rencontrer, débattre. Il se retrouve à l’hôpital Sainte-Anne, où il travaille dans un des tout premiers centres qui fournit de la méthadone.
En 2003, il a 37 ans. Le voilà enfin nommé praticien hospitalier à l’hôpital Paul-Brousse. C’est là qu’il se fixe, entame une carrière de chercheur. Sur la vitre de son bureau, il y a le sigle «Certa», pour Centre d’enseignement, de recherche et de traitement des addictions. Et puis à côté, il y a l’image des ailes déployées d’un albatros, emblème d’un congrès, «son» congrès, qu’il va monter tous les  ans. L’albatros, échappé des Fleurs du mal de Baudelaire : «Exilé sur le sol au milieu des huées / Ses ailes de géant l’empêchent de marcher.» Se sent-il comme cet oiseau ? On pourrait en douter. Lui marche vite, il est pressé, avance sans reculer. Et met en avant son bilan : «Nous avons créé un hôpital de jour, mis en place des hospitalisations, créé un plateau thérapeutique, des unités spécialisées cocaïne, jeux, adolescents, tabac, etc.»
Il a 47 ans quand il est nommé professeur des universités. «On est emporté par son dynamisme, mais il est souvent confus»,tempère un ami psychiatre. Sur le cannabis, il est, pourtant, bien précis. Il en a fait sa thèse et y a consacré une grande partie de ses recherches. «Les dangers sont en proportion moindres que ceux induits par le tabac. Mais le cannabis entraîne des risques au niveau du système immunitaire, de la fertilité, du foie. Et surtout, les problèmes se situent au niveau individuel : le cannabis est dangereux lorsqu’on en consomme beaucoup, que l’on a des antécédents familiaux de troubles psychiatriques, que l’on manifeste des signes d’isolement.» Ajoutant encore : «Ce qui va surtout faire la différence en termes de dangerosité, c’est la quantité et la dose consommée.» Aujourd’hui, il n’est pas peu fier d’avoir fait exister «l’addictologie hospitalière».
On le devine, Amine Benyamina ne va pas s’arrêter. En mouvement toujours. Mais d’un coup, il vous raconte, avec pudeur, le drame qu’il vient de vivre : sa nouvelle compagne, morte dans ses bras, il y a quelques mois d’une crise cardiaque. Silence. Puis il repart, aussitôt. Raconte qu’il a quitté le PS, il y a cinq ans, a voté sans hésitation pour Macron. «Je peux agacer, donner le sentiment d’être trop ambitieux, ou de prendre trop de place.»Assurément, mais et après ? C’est là, le mystère des hyperactifs.
1966 Naissance à Oran (Algérie).
Septembre 1996 Monte un collectif pour les médecins à diplôme étranger.
2013 Professeur en psychiatrie.
Décembre 2017 Lettre à Emmanuel Macron.

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